En décembre, Ciné-Doc propose six projections du documentaire «On va tout péter», suivies de discussions avec des syndicalistes d’Unia.
On va tout péter, c’est l’histoire de ces 300 ouvriers de l’usine d’équipement automobile GM&S dans la Creuse, en France, qui apprennent en 2017 que leur entreprise est menacée de liquidation et dont le plan social laisse la moitié d’entre eux sur le carreau. Son réalisateur, le rebelle britannique Lech Kowalski, connu pour ses films sur le punk rock, les sans-abri ou encore les toxicomanes de New York, a vécu neuf mois à leurs côtés, au cœur d’une lutte acharnée. Caméra au poing, il témoigne de la révolte de ces travailleurs contre un système qui les a détruits mais aussi de la solidarité incroyable de ce mouvement.
Pour sa 4esaison, Ciné-Doc propose en décembre six projections de ce documentaire en Suisse romande. En collaboration avec Unia, c’est une première, toutes les séances seront suivies de discussions avec des syndicalistes régionaux.
Manon Todesco
Plus d’infos: cinedoc.ch/programmation
«Les ouvriers m’ont mené vers le fil de l’histoire»
Cinq questions au cinéaste Lech Kowalski.
Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a amené à faire un film sur l’usine GM&S?
Il y a dix ans, j’avais filmé une autre usine, Sodimatex, que les employés menaçaient de faire exploser, mais je n’avais pas utilisé ces images. Ma productrice, Odile Allard, a appris que les employés d’une autre entreprise, GM&S, menaçaient également de la faire sauter. Je suis donc allé voir ce qu’il s’y passait et deux employés de Sodimatex m’ont accompagné, pour m’aider à comprendre la situation. J’y suis resté pour faire ce film.
Etait-ce un intérêt personnel d’aller sur place et de filmer ce que vivaient les ouvriers?
Oui, cela faisait longtemps que je voulais réaliser un film en France. Mes parents étaient ouvriers, c’est une réalité que je comprends. Et puis, je me demande depuis longtemps comment survivent les ouvriers ici, puisque toutes ces entreprises, du moins en Occident, ferment. La situation économique change. Les gens ont de moins en moins de choix sur la façon dont ils peuvent gagner leur vie. C’est pour moi un aspect fondamental de la démocratie: on doit pouvoir avoir ce choix. Et aujourd’hui, il n’est plus garanti.
Vous êtes arrivé comme observateur. Est-ce qu’il est possible de conserver ce rôle au fil du temps, ou est-ce qu’à un moment donné, on prend part à l’action?
Une fois sur place avec les ouvriers, c’est évident qu’on laisse une place aux émotions, car on voit comme les gens souffrent. En même temps, il est nécessaire de conserver une objectivité. J’ai fait attention à ne pas prendre part à la lutte. Si on participe, on commence à faire de la propagande et ce n’est pas ce que je souhaitais. Ce qui m’intéressait vraiment, c’était les gens, les individus. Ce sont eux qui m’ont mené vers le fil de l’histoire. Ma caméra s’est immergée dans leur vie. C’est un film sur la réalité de notre époque.
Le documentaire montre à la fois une réalité tragique et une grande force collective. Que représentait cette solidarité pour les ouvriers de l’usine?
En filmant, j’ai rapidement compris que ces ouvriers souhaitaient lutter ensemble. Bien sûr, certaines personnes dans ces luttes sont plus motivées que d’autres et deviennent leaders, mais elles n’auraient pas eu la force de prendre ce rôle sans le soutien des autres employés qui les encourageaient et les soutenaient. Ils parlaient constamment entre eux de ce qu’il fallait faire, de comment gérer telle ou telle chose. Ces ouvriers apprenaient à lutter sur le tas.
A un moment donné, il n’était plus question de gagner ou de perdre mais de conserver cette solidarité et une dignité, de se battre contre le système.
Mon sentiment, c’est qu’en tant qu’humanité, nous allons devoir coopérer de façon solidaire contre les forces qui nous font face, c’est-à-dire l’argent et les actionnaires. Il s’agit à mon sens de trouver une nouvelle forme de démocratie. Une manière de fonctionner qui permettrait que le gouvernement représente réellement le peuple. C’est incroyable de constater les sommes dépensées par le Gouvernement français dans les actions de la police sur le site de GM&S: tant d’argent dilapidé au lieu d’essayer de comprendre comment aider les ouvriers.
Qu’avez-vous appris de cette expérience?
Lorsque j’étais avec les ouvriers, j’ai vu une grande connexion entre tout le monde. On en retire une grande énergie, on a une meilleure impression de soi-même. Je me suis intéressé à la lutte dans un sens plus profond. Pour faire le montage du film, je suis resté dans cette région et ne suis pas retourné à Paris, je voulais rester là et continuer à ressentir ce qu’ils ressentaient.
Vous savez, ça m’a pris beaucoup de temps pour faire ce film et je pense que cette énergie que j’ai eue pour le réaliser venait de la solidarité que je sentais chez les ouvriers. Cette force m’a réellement porté durant tout le processus!
Propos recueillis par Mélissa Veuthey pour Ciné-Doc