Ne nous y trompons pas, le secret bancaire suisse de 1934 n’est pas encore mort. Lorsqu’on nous affirme le contraire presque tous les jours, c’est pour cacher le fait qu’il existe intact dans les relations internes à la Suisse. Un étranger qui vit dans notre pays reste protégé par le secret bancaire helvétique. Sauf pour les citoyens des Etats-Unis.
Ce qui a fondamentalement changé la donne, c’est l’échange automatique d’informations entre les pays. Ce dispositif qui a été long à mettre en place ne permet plus aux banques suisses d’aider tous les fraudeurs du monde à passer par elles pour voler le fisc de leur pays ou pour blanchir facilement de l’argent sale.
S’ajoute l’exigence nouvelle faite à ces institutions de s’assurer de la provenance des fonds qu’elles sont invitées à gérer. Pour cela, il a fallu la pression de l’UE, des Etats-Unis et de l’OCDE qui plaçaient notre pays sur des listes noires ou grises. Enfin, nous avons pu sortir de la «pas assez célèbre convention de diligence», qui permettait aux banques suisses de faire semblant de s’autoréguler et d’éviter que, comme pour toutes les autres activités économiques, elles aient à respecter des lois établies démocratiquement.
Nous pouvons enfin compter sur l’article 305ter du Code pénal. Il oblige les gestionnaires de fonds à informer l’autorité s’ils ne parviennent pas à établir la provenance de ces fortunes. S’y ajoute l’article 9 de la Loi sur le blanchiment d’argent qui va dans le même sens. Les conséquences sont considérables. En 2018, il y a eu 6126 communications au MROS, Money Laundering Reporting Office-Switzerland – est-ce du romanche? –. 5% seulement ont abouti à un jugement et, sur 774 affaires, 573 ont entraîné une condamnation. Je tire ces chiffres du livre de Roland Rossier, La Suisse et l’argent sale, publié aux Editions Alphil. Ce dernier se félicite que les banques collaborent enfin avec les autorités.
Quatre ans après «la mort relative» du secret bancaire, nos banques géraient encore 1800 milliards d’euros appartenant à des non-résidents dont plus de la moitié, propriétés d’Européens. Cela représente 27,5% des actifs transfrontaliers sous gestion. Donc la Suisse reste en tête sur le plan mondial. Cette chasse, enfin un peu efficace à l’argent sale et à la fraude fiscale, a tout de même affaibli notre place financière. En dix ans, 77 établissements ont fermé leurs portes. Ils ne sont plus que 253. Et 25000 postes de travail ont été supprimés. Il n’en reste plus que 110000 en 2017. L’hémorragie est lente mais régulière. Genève était au 9e rang mondial des places financières en 2010. Elle pointe désormais au 27e rang.
Gageons que d’ici à 30 ou 50 ans, il n’y aura plus aucun film, plus aucun roman, plus aucun article de presse qui parlera de la Suisse comme le pays où les gangsters, les dictateurs, les escrocs de tous bords venaient cacher le fruit de leurs turpitudes et de leurs fourberies. Nous serons de nouveau fiers d’être Suisses. Peut-être verrons-nous même s’ériger, sur la place Fédérale, un monument consacré à Jean Ziegler sous lequel on pourra lire: «Les Suisses reconnaissants.»
Pierre Aguet, Vevey