Antoinette Rychner vient de publier un nouveau roman. Une fiction inspirée de la théorie de l’effondrement, qui inquiète cette autrice féministe, vent debout contre l’inaction climatique
Une maison dans un carré de verdure, à la lisière du village de Valangin, à Neuchâtel. Une habitation élevée sur plusieurs étages aux espaces décloisonnés, colorés, chaleureux. Dans la lumineuse salle de séjour-cuisine, bordée de bibliothèques bien garnies, la machine à café crépite. Des jouets jonchent le sol révélant la présence de petits enfants. Ambiance bohême et sympathique. Menue, tout en douceur, Antoinette Rychner, 40 ans, parle de son livre coup-de-poing, Après le monde. Un récit épique, littéraire, racontant le quotidien, au lendemain d’un effondrement économique, politique et social. Une narration confiée essentiellement à des protagonistes femmes, faisant écho à la fibre féministe de l’autrice. «J’avais lu l’essai de Pablo Servigne sur la thématique. Un véritable coup de massue. J’ai eu envie d’y répondre par une fiction», explique Antoinette Rychner, pour qui cette issue catastrophique est probable.
Appel du pied à changer
«Le dérèglement climatique a débuté depuis des décennies. On ne se trouve plus dans la projection mais déjà au stade bilan», déplore l’écrivaine, non sans fustiger «l’inertie, la lenteur ou le déni» face à un danger imminent. «Nos structures, elles aussi, montrent leurs vulnérabilités dans un système mondialisé de plus en plus bancal. Avec des démocraties fragilisées, des médias en crise, l’épuisement des ressources...» poursuit Antoinette Rychner, désireuse, à travers sa fiction, de sensibiliser les lecteurs aux risques de collapsologie. De stimuler des envies de créations collectives orientées vers la transition. De promouvoir un mode de vie qui ne dépasse pas nos moyens. Et de conjurer ses peurs. «Ecrire, c’est tordre le cou à un sentiment d’impuissance, donner de la réalité à des visions imaginaires, les rendre crédibles», révèle la talentueuse écrivaine, aussi largement influencée par la pensée anarchiste – entre solidarité, organisation par la base, responsabilité et éducation citoyenne. Et qui signe déjà plusieurs romans et pièces de théâtre couronnés de nombreux prix. «J’oscille entre ces deux genres. Les textes pour la scène divergent dans l’approche narrative. Destinés à être dits, ils constituent un élément parmi d’autres visuels, sonores, non verbaux... Je suis parfois surprise de voir comment les autres s’en emparent», note celle qui a travaillé plusieurs années comme technicienne du spectacle avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Une passion qui plante ses racines dans son enfance.
Ritualiser les événements
«Ecrire a toujours fait partie de moi. Un moyen de rêver. De goûter à une certaine liberté», souligne la quadragénaire qui, adolescente, se montrait déjà critique par rapport à notre monde. «J’étais plutôt rebelle et tourmentée, animée par un sentiment d’injustice, révoltée par l’oppression de la société sur les individus», raconte cette femme qui publiera sa première nouvelle à l’âge de 20 ans, décrochant le Prix international des jeunes auteurs. Avant d’obtenir, en 2009, son diplôme de l’Institut littéraire suisse, quittant les coulisses des spectacles. Depuis, Antoinette Rychner n’a plus déposé la plume: «Mes autres sources d’inspiration? La politique suisse et les histoires plus personnelles. J’écris volontiers des pamphlets, des textes satiriques mais aussi des récits intimistes.» Un dernier genre qui aura permis à Antoinette Rychner, dans Peu importe où nous sommes, d’évoquer la leucémie de son fils alors âgé de 5 ans, aujourd’hui en rémission. «Du lourd... Une manière de reprendre prise sur ce qui s’est passé, de pulvériser le quotidien, de s’en distancer, de sortir la chose de soi. J’ai la chance d’avoir ce moyen d’expression», confie l’écrivaine mère encore d’un autre garçon de 2 ans et d’une adulte de 20 ans. La Neuchâteloise a vu aussi dans cette démarche un moyen de remercier son entourage pour l’aide alors reçue: «Ce livre a un statut social. Le vernissage s’est déroulé au CHUV. L’art permet aussi de ritualiser des événements.»
Mythe à démonter
Le sérieux ou la gravité des sujets abordés par Antoinette Rychner ne permet pas de conclure à une nature pessimiste. «Mes créations n’éludent pas les difficultés mais elles comportent aussi de la lumière. Si j’étais pessimiste, je n’écrirais rien. Je n’aurais pas cette volonté de partage. Ma vie recèle de la beauté quand bien même je sais que nos enfants n’auront pas la tâche facile.» Pour se ressourcer, la Neuchâteloise, qui aime bien jardiner, profite de la forêt voisine. Le sentiment de continuité l’aide aussi à recharger ses batteries. «J’ai, par exemple, particulièrement apprécié la période de ralentissement du semi-confinement. Sans rendez-vous professionnels. Sans stress. Avec l’école à la maison. Notre pensée est constamment colonisée par d’innombrables obligations quotidiennes. Une charge mentale très lourde. D’autant plus pour les femmes», précise Antoinette Rychner qui, en couple, temporise en évoquant le fort engagement de son compagnon. Le bonheur, l’écrivaine l’associe à une forme d’oubli d’elle-même, d’absence de représentation. «J’aime me fondre dans un état ou dans un groupe en perdant la notion du temps. Comme lors d’une randonnée avec des amis ou en remplissant une activité créative», note Antoinette Rychner qui, questionnée sur ses utopies, rêve d’un système d’échange entre les humains non monétaire. Et plaide pour une économie de dons supposant l’organisation de microcommunautés réunissant des membres qui se connaissent. «Le capitalisme n’est pas un état naturel à l’homme. Pas plus que l’égoïsme. La compétition relève plutôt de l’exception. Il faut démonter ce mythe. Seule la communauté la plus solidaire survivra. Nous avons tout intérêt à coopérer entre nous.»
Sa fiction Après le monde aux Editions Buchet-Chastel est disponible en librairie.