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«Nous risquons de tout perdre»

Vania Alleva.
© Thierry Porchet

«Ce que veut l’UDC, et elle l’a clairement dit lors du lancement de l’initiative, c’est la fin du contrôle du marché du travail. Supprimer la protection des salaires signifierait une baisse générale de ces derniers en Suisse», affirme Vania Alleva, présidente d’Unia.

Vania Alleva, présidente d’Unia, explique pourquoi il est essentiel de s’opposer à la nouvelle initiative de l’UDC, pour défendre des droits forts, nécessaires à la protection des salaires et des emplois

Dans un mois, le 27 septembre, les citoyens suisses sont appelés à se prononcer sur l’initiative «pour une immigration modérée» de l’UDC demandant la fin de la libre circulation des personnes. Pour contrer ce projet, Unia a lancé une vaste campagne d’envois de cartes postales (voir notre édition du 12 août) mettant au centre la défense des droits des travailleurs, de leurs salaires et de leurs emplois, quelle que soit leur nationalité. Car pour Unia, la problématique de ce texte n’est pas l’immigration comme voudrait le faire croire l’UDC, mais l’abrogation des droits des salariés et des mesures d’accompagnement.

Cette initiative a été lancée par l’UDC qui estimait que la précédente, celle «contre l’immigration de masse» adoptée le 9 février 2014, n’avait pas été appliquée correctement. Cette dernière demandait notamment la réintroduction de contingents de main-d’œuvre. Elle avait été acceptée par 50,3% des voix. Fin 2016, le Parlement l’a mise en œuvre en introduisant une priorité aux chômeurs indigènes lorsque le taux de chômage dépasse un certain seuil dans une profession. Ce taux est passé de 8 à 5% cette année. Dans un tel cas, les employeurs ont l’obligation d’annoncer tout poste vacant à l’Office régional de placement.

Le résultat de l’initiative de l’UDC en 2014 a tenu dans un mouchoir de poche. 19302 voix sur 2,9 millions de votants ont fait la différence. Selon l’analyse Vox, réalisée peu après, l’initiative a entre autres rencontré un écho favorable chez des travailleurs gagnant moins de 5000 francs. Entre 60 et 70% des votants de cette catégorie l’ont acceptée, témoignant des craintes liées à la libre circulation et à la pression sur les salaires. A l’inverse, le rejet a été plus important chez les personnes disposant d’un revenu supérieur.

Aujourd’hui, l’UDC axe de nouveau son discours sur les «menaces» que feraient porter les travailleurs étrangers sur les salaires, les conditions de travail ou encore les emplois. Dans la crise actuelle, ce discours pourrait rencontrer un certain écho chez des salariés inquiets de la situation. Comment le contrer? Comment répondre à ces craintes et éviter la division entre les travailleurs, espérée par l’UDC? Le point avec Vania Alleva, présidente d’Unia.


En 2014, l’initiative de l’UDC avait été acceptée de justesse. Avec la crise du coronavirus, le chômage qui augmente, les menaces de licenciements, les craintes face à l’avenir sont décuplées. Cette votation ne risque-t-elle pas d’être de nouveau un moyen d’exprimer ces peurs?

L’UDC vise à cela. Elle tente de mobiliser les frustrations des travailleurs en qualifiant les collègues sans passeport suisse de boucs émissaires, les rendant responsables de la pression salariale et du chômage. Mais je compte sur le fait que, cette fois-ci, les salariés ne se laisseront pas diviser par la démagogie de l’UDC. Cette initiative aura pour conséquence la perte de tout ce que l’on a pu obtenir au niveau des rémunérations et des conditions de travail. C’est pour cela qu’il faut clairement dire Non à ce texte.

Face à ces craintes, comment faire entendre la voix du syndicat?

En appelant les choses par leur nom: l'UDC ne s’intéresse pas du tout à l'immigration. Elle souhaite supprimer les mesures d'accompagnement et donc la protection des salaires. Nous devons transmettre ce message partout où c’est possible. Des droits importants sont en danger. Avec la précarisation du marché de l’emploi, la pression sur les conditions de travail et sur les salaires est une réalité dans la situation sanitaire actuelle. C’est pour cela qu’il faut se battre pour renforcer les droits et non pour les affaiblir comme le veut l’UDC.

Même si l’on connaît les intentions de l’UDC, beaucoup de travailleurs pensent que la libre circulation est à l’origine de la pression sur les salaires…

La concurrence agissant sur les salaires est créée par les patrons et non par les salariés. C’est pour cela qu’il faut défendre nos droits. L’initiative de l’UDC signifie le retour à des contingents. Le résultat sera davantage de discrimination, d’exploitation et de travail au noir.

La suppression de la libre circulation va de pair avec l’abrogation des mesures d’accompagnement. Si l’initiative passe, ce sera la disparition des contrôles, la remise en cause des salaires minimums et des CCT de force obligatoire.

Ce que veut l’UDC, et elle l’a clairement dit lors du lancement de l’initiative, c’est la fin du contrôle du marché du travail. Supprimer la protection des salaires signifierait une baisse générale de ces derniers en Suisse.

Avec ou sans libre circulation, certains milieux économiques ont déjà annoncé une série d’attaques. Pour sortir de la crise, l’Usam veut par exemple augmenter le temps de travail, étendre les heures d’ouverture des magasins, y compris le dimanche, et geler les salaires. Que faire face à cette situation?

Nous allons nous engager pour combattre toutes les attaques et les déréglementations qui sont là ou qui se préparent. Dans le canton de Berne par exemple, il y a une grande offensive en cours et nous nous battons pour la stopper. Nous avons lancé le référendum contre l’extension des ouvertures des magasins. Le patronat veut toujours déréguler pour maximiser les profits. En tant que travailleurs, nous ne pouvons nous défendre contre cela qu'en œuvrant ensemble pour plus de droits.

Dans sa campagne, Unia parle de retour du statut de saisonnier. Or, la crise du coronavirus a montré que les saisonniers existent toujours en Suisse. On a vu des maraîchers affréter des charters pour que leurs employés portugais puissent venir travailler dans leurs champs. L’Accord de libre circulation prévoit des statuts très précaires, comme les séjours de moins de 4 mois ou le permis L, annuel...

Oui, il y a encore trop de discriminations. Il faut continuer à renforcer les droits des travailleurs migrants. Mais il faut souligner qu’avec la libre circulation, nous avons fait des avancées importantes à ce sujet. Nulle part en Europe il y a autant de contrôles qu’en Suisse. Si l’initiative passe, nous risquons de tout perdre, au niveau des salaires, des droits, du travail.

Il y a beaucoup de critiques contre les mesures d’accompagnement, jugées peu efficaces. Les contrôles ne concernent par exemple que 8% des entreprises, les amendes sont peu dissuasives.

Nous travaillons constamment pour les renforcer. Les mesures d’accompagnement, ce sont plus de 40000 contrôles réalisés chaque année. Les revenus de plusieurs milliers de salariés ont pu être corrigés. Grâce à ces mesures, le nombre de CCT de force obligatoire avec un salaire minimum a augmenté. Et surtout, grâce à elles et à nos campagnes pour le salaire minimum, le secteur des basses rémunérations en Suisse s’est beaucoup moins étendu qu’en Europe. Cette initiative met en danger tout cela.

Selon l’USS, les salaires sont sous pression, les rémunérations les plus basses, notamment dans des branches telles que la vente, l’hôtellerie ou la coiffure, ont même baissé de 1,1% depuis 2016. Que faire face à cette tendance?

Nous devons améliorer le rapport de force pour repousser ces attaques patronales. L'acceptation de l'initiative UDC rendrait cela beaucoup plus difficile à long terme.

Si elle passe, il y aura des baisses de salaires et des effets négatifs sur les emplois. Il est important de voter Non et de poursuivre les autres luttes comme celle pour une augmentation des salaires malgré le coronavirus.

La campagne salariale de cet automne va être axée sur les professions essentielles. Les employés de ces branches, dont beaucoup de femmes, se sont énormément investis durant la crise sanitaire et ont montré à quel point ils sont indispensables. Nous lutterons pour la revalorisation de ces métiers sous-payés, dans la vente, la santé ou encore la logistique. Nous organiserons notamment une journée d’actions le 31 octobre.

Cette votation est cruciale pour l’avenir de l’Accord-cadre institutionnel avec l’Union européenne (UE). Cette dernière voulait affaiblir les mesures d’accompagnement, en réduisant les contrôles et en supprimant les cautions et la règle des huit jours. Les syndicats ont-ils obtenus des garanties à ce sujet?

Notre position sur la proposition de l’Accord-cadre reste la même: nous sommes contre, vu que la version présentée attaque la protection autonome des salaires. Nous ne sommes pas contre les bilatérales, mais contre toute remise en cause des droits des travailleurs et des mesures de protection salariale. Nous avons toujours souligné que, pour assurer des bonnes relations avec l’UE, les mesures d’accompagnement sont essentielles et doivent pouvoir être renforcées. Cette position vaut autant pour l’initiative de l’UDC qui attaque les droits des salariés que pour l’actuelle proposition d’Accord-cadre.

Comment Unia compte-t-il mobiliser pour le Non? Y aura-t-il des moments forts de la campagne?

En raison du Covid-19, nous avons dû annuler notre manifestation pour les salaires sur la place Fédérale. Maintenant, dans le cadre de la campagne de l’USS, nous investissons sur un tout-ménage. En plus, en tant qu’Unia, nous mobilisons avec l’action «cartes postales» et une campagne sur les réseaux sociaux. Il faut aussi débattre sur les lieux de travail. Nous invitons les militants à le faire et à inciter les collègues, la famille, les amis à aller voter Non.

Menace sur les emplois

Quelle est la situation au niveau des emplois?

La récession nous attend en raison du Covid-19. Dans ce contexte, la résiliation de l’Accord sur la libre circulation et des six autres accords bilatéraux qui y sont liés créera encore plus de problèmes, l’emploi sera encore plus sous pression.

Des entreprises, y compris certaines touchant le chômage partiel, se préparent à licencier massivement. Que faire pour empêcher la disparition des postes de travail?

Nous revendiquons que les entreprises paient les 100% du salaire si elles sont au bénéfice du chômage partiel (voir aussi ici, ndlr). C’est surtout primordial pour les travailleuses et les travailleurs à bas revenu et cela nécessite une extension de la RHT à 100%. En plus, nous revendiquons que les entreprises ayant bénéficié des RHT ou d’autres soutiens étatiques, ne puissent pas licencier.

Dans ce but, il est nécessaire de renforcer la protection contre les licenciements, très faible en Suisse en comparaison avec les pays qui nous entourent.

Le syndicat ne devrait-il pas mobiliser contre ces suppressions d’emplois, plutôt que les accompagner en négociant des plans sociaux?

Bien sûr, mais pour cela, il n'y a pas toujours la même marge de manœuvre. Lorsque des entreprises font faillite ou souhaitent fermer des sites entiers, le résultat final est généralement l’obtention d’un plan social acceptable. Ce qui n’est pas donné d’emblée. Dans tous les cas, nous soutenons les travailleuses et les travailleurs prêts à se battre. Les mobilisations ne peuvent se faire qu’avec eux. C’est hyper important de ne pas se laisser diviser entre ceux qui risquent de perdre leur travail et ceux qui pensent pouvoir le garder. Nous sommes toujours dans la même logique patronale de division des salariés. Il faut être unis au sein de l’entreprise et conscients que des droits forts profitent à toutes et à tous.

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