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Répondre de leurs actes...
Soutenue par nombre d’organisations, dont Unia, l’initiative pour des multinationales responsables sera soumise au verdict des urnes le 29 novembre. Elle exige que les entreprises basées en Suisse répondent aussi de leurs actes lors de violations des droits humains et de destructions de l’environnement commises à l’étranger
Le mois prochain, les électeurs seront appelés à se prononcer sur l’initiative pour des multinationales responsables. Déposée en 2016, celle-ci veut que les multinationales basées en Suisse soient tenues pour responsables des violations des droits humains et de la destruction de l’environnement commises par leurs filiales dans le monde. En d’autres termes, une multinationale des matières premières telle que Glencore, qui pollue l'environnement au Pérou avec du plomb, de l'arsenic et de nombreux autres métaux lourds entraînant de graves problèmes de santé en particulier chez les enfants, devrait, si l’initiative passait, répondre de ses actes. A savoir: ne plus fermer les yeux sur la situation et agir pour changer les choses, sans quoi, le groupe devrait assumer la responsabilité des dommages causés et verser des indemnités aux personnes lésées. Concrètement, cette mesure donnerait aux parties concernées l’accès à la justice civile suisse. Pour ce faire, elles devront prouver que l’entreprise est responsable de l’infraction.
Cette initiative bénéficie d’un large support, au-delà des clivages traditionnels. Portée par 130 organisations de défense des droits humains, de l'environnement et des droits de l’enfant, ainsi que des organisations d’entraide, elle est également soutenue par un comité d’entrepreneurs, un comité bourgeois de droite, les Eglises et des partis de gauche. Unia s’est naturellement rallié à la cause. Pour notre syndicat, faire affaires dans le monde implique de se comporter décemment. «Travail des enfants dans les plantations de cacao, exploitation dans les usines textiles, pollution des rivières lors de l’extraction de matières premières, violence à l’égard des syndicalistes: la liste des infractions commises par certaines entreprises suisses dans d’autres pays est longue», indique le syndicat dans son argumentaire. «Avec un oui à l’initiative, nous pouvons enfin instaurer des règles efficaces pour les multinationales sans scrupules: quiconque bafoue les droits humains et la protection de l’environnement doit être tenu pour responsable!»
En cas de rejet de l'initiative le 29 novembre, c’est le contre-projet du Conseil fédéral qui entrera en vigueur. Un texte soufflé par le lobby des multinationales jugé inefficace par les auteurs de l’initiative, qui se limite à demander aux sociétés en question de publier annuellement un rapport sur leur politique dans le domaine des droits humains... sans aucune mesure contraignante.
Dick Marty, coprésident du comité d’initiative et ancien conseiller aux Etats PLR, nous en dit plus.
Votre initiative se fonde sur un principe simple: les multinationales doivent prendre leurs responsabilités et répondre de leurs actes. Pourquoi une telle évidence n’est-elle pas réalité aujourd’hui?
Nous en sommes arrivés là car il y a un développement dangereusement asymétrique de nos sociétés. D’un côté, une économie mondialisée qui crée des géants qui agissent au-delà de leurs frontières et, de l’autre, des réglementations qui sont restées confinées au niveau national. Avant, les grandes entreprises suisses, familiales, étaient attachées à leur territoire. Aujourd’hui, les actionnaires des multinationales, souvent des fonds d’investissement spéculatifs, exercent une pression sans nom et, si aucune sanction n’est imposée, elles font tout pour augmenter leur productivité, quitte à piétiner les droits humains et environnementaux.
Rappelons aussi que les pays riches en matières premières sont souvent des pays fragiles, où règnent la violence et la corruption et où les populations sont très mal protégées. Ces colosses mondiaux profitent ainsi de zones de non-droit et il est évident que des limites sont nécessaires.
En quoi le contre-projet du Conseil fédéral est-il largement insuffisant?
C’est une coquille vide. Il ne confère aucun droit aux personnes qui subissent un préjudice, cela n’a donc aucune valeur. Cette initiative n’a pas seulement un but altruiste, elle est aussi et surtout dans notre intérêt à nous: si nous donnons plus de justice, plus de dignité, aux populations locales, il y aura plus de bien-être et donc moins de migrations, car personne ne quitte son pays de gaieté de cœur… Comme disait Martin Luther King: «Une injustice commise quelque part est une menace pour la justice dans le monde entier.»
Comment expliquez-vous l’engouement des milieux économiques et bourgeois pour votre initiative?
Ils ont compris que nous ne représentions aucun parti ni aucun intérêt, d’ailleurs, nous n’avons aucun grand sponsor. Notre campagne est rendue possible grâce à des contributions de dizaines de milliers de personnes. Nous défendons un principe de justice et d’équité. Des valeurs universelles qui ont rarement rassemblé autant de syndicats, d’Eglises et d’ONG dans tous les domaines de l’activité humaine, et c’est une fierté.
Vos opposants parlent d’une mise en danger de la place économique suisse en cas de oui, qu’avez-vous à leur répondre?
La stratégie de la peur est celle des centres de pouvoir. En Suisse, à chaque fois qu’on a proposé des améliorations sociales ou environnementales, on a brandi l’épouvantail des places de travail menacées. Mais quand ces mêmes multinationales restructurent massivement, laissant sur le carreau nos travailleurs avec parfois des décennies d’ancienneté, cela ne scandalise personne! Leur souci est donc d’une autre nature...
Les multinationales n’ont pas peur de notre initiative, mais du signal qu’elle va envoyer: elles craignent qu’on commence à réglementer leurs activités et qu’on leur mette des limites, fiscalement notamment. Concernant notre initiative, si elle passe, je pense qu’il y aura très peu de procédures, et c’est légitime. L’important, c’est la prévention. Les géants devront prendre en compte ce risque dans leur stratégie, cela aura donc un effet sur la culture d’entreprise.
Je suis prêt à parier qu’aucune entreprise ne quittera la Suisse, car les avantages restent plus forts, mais aussi parce qu’ailleurs, les dispositions sont peut-être encore plus sévères...
Justement, dans quels pays de telles dispositions existent, et est-ce que les problèmes ont été résolus?
En 2017, la France a édicté une loi similaire, et Total doit répondre devant un tribunal français pour des faits qui ont eu lieu en Ouganda. A Londres, la Cour suprême a ouvert une action pour dommages et intérêts contre Vedanta pour des habitants de Zambie qui n’arrivaient pas à obtenir justice sur place. Au Canada et aux Pays-Bas, la législation le permet aussi. L’Allemagne y travaille et l’Union européenne prévoit une nouvelle directive pour 2021. C’est encore trop récent pour tirer un bilan, mais le simple fait que Vedanta doive répondre de ses actes à Londres est sensationnel. Ces sociétés comprennent qu’elles ne peuvent plus faire ce qu’elles veulent.
Quelles chances donnez-vous à votre initiative?
Je ne fais pas de pronostics. Je me bats car je suis convaincu que c’est une cause juste, mais, quel que soit le résultat, je pense que les choses ne seront plus les mêmes après le 29 novembre. Nous avons réussi à mobiliser une large coalition pendant des années, et le politique devra en tenir compte. Nous gagnerons si une partie de l’électorat qui ne vote pas habituellement, par perte de confiance, se mobilise.