Vingt-quatre heures de la vie d’une assistante
En décrivant le quotidien d’une jeune employée d’une société de production, la réalisatrice australienne Kitty Green vient, avec The Assistant, mettre le doigt sur les rapports de force et l’aliénation dans le milieu professionnel. Un film qui fait écho à l’affaire Weinstein et au mouvement #MeToo
Jane est assistante dans une boîte de production cinématographique depuis quelques mois. Elle se lève aux aurores et rentre chez elle tard dans la nuit. Entre deux, Jane fait des photocopies, distribue des plannings et le courrier, organise les déplacements, prépare les cafés, ravitaille ses collègues en sandwiches ou s’occupe de tâches domestiques. Surqualifiée pour ce job et diplômée d’une prestigieuse université, la jeune femme sait qu’elle doit passer par là si elle veut réaliser son rêve: devenir productrice. Et qu’importe si, pour y parvenir, elle doit manquer l’anniversaire de son père, travailler les week-ends, supporter l’agressivité de son patron, fermer les yeux sur ses nombreuses conquêtes et sa consommation de drogues, ou encore encaisser des séances d’humiliation par téléphone. Mais lorsque débarque Sienna, une très jeune fille et nouvelle employée logée dans un hôtel de luxe aux frais de la société, c’en est trop. Jane prend alors conscience de la culture du viol régnant autour de son supérieur. Elle se rend auprès du responsable des ressources humaines en espérant trouver une oreille attentive et dénoncer ces agissements. Mais la journée de l’assistante est loin d’être terminée…
Après le tournage de trois documentaires, dont un consacré en 2013 au groupe contestataire féministe Femen, la scénariste et réalisatrice australienne Kitty Green propose ici sa première fiction. Un film qui fonde son origine dans l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo qui s’est ensuivi, ainsi que l’explique en substance la cinéaste: «Je travaillais sur un projet relatif aux abus sexuels dans les universités quand l’affaire Weinstein a éclaté. J’ai alors déplacé mon sujet dans l’industrie cinématographique.»
«Tu n’es pas son genre»
Malgré une certaine absence d’action et de dialogues, le film réussit à rendre palpable un suspens léger mais anxiogène très efficace. De plus, en faisant le choix de suivre pas à pas son héroïne durant une seule journée et, en revanche, de ne jamais présenter le chef prédateur à l’écran, la réalisatrice accomplit un véritable tour de force. Il permet en effet de mettre en évidence la quasi-omniscience et omniprésence de l’abuseur. Ses seules apparitions, à travers les conversations téléphoniques, prennent ainsi une importance particulière, soulignant la manipulation et la délation dont sont victimes les employés pour masquer la vérité.
Grâce à cette mise en scène suggestive, The Assistant excelle dans sa représentation de la culture du silence qui accompagne les abus et le harcèlement sexuels. Tout le monde sait ce qu’il se passe, mais personne ne s’en offusque. Ou alors, on préfère en rire. On ramasse discrètement une boucle d’oreille tombée au sol, on nettoie rapidement une tache suspecte sur un canapé. Et surtout, on s’attèle à faire taire la nouvelle venue et à la faire rentrer dans le rang rapidement à grands coups d’intimidation et en tentant de la rassurer: «Elle a plus à y gagner que lui» en parlant d’une des proies du prédateur, ou encore: «Ne t’en fais pas, tu n’es pas son genre…»; comme pour inviter Jane à fermer les yeux, comme tout le monde…