Le sujet, à fort potentiel émotionnel, divise – membres de mêmes partis, féministes et communautés concernées en font chacun une lecture propre. Il sera, le 7 mars prochain, tranché dans les urnes. Ce jour-là, la population devra se prononcer sur l’initiative populaire dite anti-burqa, lancée par le comité d’Egerkingen. Un groupe proche de l’UDC également à l’origine de la votation contre la construction des minarets adoptée en 2009. Agitant le chiffon rouge de l’islam, les initiants reviennent à la charge. Et réclament aujourd’hui l’interdiction de se dissimuler le visage. Cette exigence vise clairement les musulmanes portant le voile intégral. Mais concerne aussi les hooligans et autres manifestants cagoulés. Partisans et adversaires s’affrontent sur ce projet. Avec des arguments puisant à la même source, celle du respect des droits humains, interprétés de manière différenciée. Ou brandis comme alibi.
Les auteurs du texte prétendent combattre l’oppression des femmes arborant le niqab, regardées comme des victimes d’un islam radical. Ils justifient leur démarche par un souci d’égalité. Et se défendent de toute islamophobie. Difficile de les prendre au mot, sachant la proximité du groupe avec le parti agrarien et la politique qu’il mène à l’encontre des étrangers et l’immigration. Et alors que la formation de la droite dure, championne du conservatisme et de la valorisation des mères au foyer, n’a jamais brillé par ses idées féministes. De quoi ôter toute crédibilité à l’intention affichée, précédée de relents xénophobes et sexistes coutumiers. A l’évidence, les promoteurs de l’interdiction avancent masqués. Le texte fait pourtant aussi mouche auprès de certains opposants traditionnels, de militantes, et de musulmanes. Un groupe hétérogène qui fonde entre autres son opinion sur le rejet des discriminations. Dénonçant le voile intégral comme le symbole tangible d’une société inégalitaire, d’une soumission. La question de la laïcité donne également le la à des discours de partisans. Compréhensibles à leur manière, ces positions ne prennent toutefois pas en compte le droit inaliénable de toutes les femmes à l’autodétermination. A une liberté fondamentale d’expression et de croyances, visiblement ou non exprimées. A un libre arbitre essentiel, qui n’autorise pas de réduire les personnes portant le niqab à un statut d’objet ou de victimes. Le risque que des musulmanes agissent sous la pression de leur conjoint ou de leur milieu familial ne peut bien sûr être écarté. Mais dans ce cas, des sanctions existent déjà dans le Code pénal. L’interdiction réclamée ne les protégerait en rien, ni n’améliorerait leur situation. Bien au contraire. Elle n’aurait d’autres effets que de les marginaliser. Voire de les écarter de la vie publique.
La question de la pertinence d’une telle votation ajoute encore de l’eau au moulin du rejet de l’initiative. Et pour cause. Il s’agit d’un phénomène marginal. Moins d’une trentaine de résidentes portent le niqab dans nos frontières. De quoi se rappeler, une fois de plus, qui a monté ce faux problème en épingle. Demain, il s’agira de se prononcer sur la notion fondamentale de la liberté individuelle. Sans tomber dans les travers d’une peur de la différence instrumentalisée. En défendant un principe qui ne peut être écorné au risque que d’autres atteintes l’affaiblissent. En s’interrogeant sur la représentation qu’on se fait des personnes entièrement voilées. Au-delà des préjugés. Et en refusant un patriarcat qui entend légiférer sur la tenue des femmes. Il s’agira de se positionner en faveur d’une société à visage humain, voilé ou non, qui tienne compte de la diversité des individus et des apparences et joue sans restriction la carte de la tolérance.