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Quand la désinformation pollue les procès

Action "Block Friday" en 2019 à Fribourg.
© Neil Labrador

En novembre 2019, pendant le Black Friday, des militants pour le climat avaient bloqué la porte principale du grand centre commercial de Fribourg. Le procès d’une trentaine d’entre eux débutera le 25 mai. Leurs avocats ont protesté la semaine dernière contre le refus du Tribunal d’entendre des experts.

Les avocats des militants amendés à la suite de leur action de blocage pendant le Black Friday 2019 à Fribourg veulent que des experts soient entendus par la justice. Un leitmotiv qui se retrouve dans plusieurs autres procès, passés et à venir

La justice a besoin d’informations fiables, sinon elle prend le risque de rendre un jugement biaisé. C’est ce qu’ont rappelé des avocats, devant les médias, après le refus du juge fribourgeois d’entendre des experts durant le plus gros procès climatique suisse à ce jour. Ce dernier est prévu entre le 25 mai et le 1er juin, au Tribunal d’arrondissement de la Sarine, et verra une douzaine d’avocats défendre une trentaine de prévenus, des activistes du climat de 19 à 62 ans. Ceux-ci font opposition à leurs ordonnances pénales reçues à la suite de leur action pendant le Black Friday de novembre 2019 devant Fribourg-Centre. Mardi 4 mai, lors d’une conférence de presse, deux experts et trois avocats – dont Me Christian Delaloye, ancien bâtonnier du canton de Fribourg – se sont exprimés sur l’importance des expertises scientifiques. Un leitmotiv qui touche de nombreux procès.

Enjeux de la surproduction

«La question de la légitimité, une fois de plus, se pose. Ici, les mobiles des prévenus sont liés aux impacts de la surproduction et de la surconsommation. La justice a donc besoin d’informations fiables», explique Me Irène Wettstein, qui a rappelé que, durant le procès des «joueurs de tennis» dans la succursale lausannoise de Credit Suisse, le juge de première instance avait refusé d’entendre des scientifiques de renom, avant de finalement accepter le témoignage de la climatologue Sonia Seneviratne. Une déposition qui a pesé de tout son poids dans la décision d’acquittement du juge qui a conclu à la légitimité de l’action.

En Cour d’appel, par contre, aucun scientifique n’a été entendu et les activistes ont été condamnés. L’avocate donne un deuxième exemple, celui du procès cumulant une action «Mains rouges» et des actions de désobéissance civile à Lausanne. Le militant a été condamné en première instance (tout en étant acquitté pour son action «Mains rouges»). «Dans ce dernier procès, le Tribunal se réfère à un édito du Temps, plutôt qu’à des experts, pour estimer que la défense du climat ne peut contourner la démocratie. C’est un aperçu de la faible connaissance des juges en matière climatique et de l’ignorance de leur propre désinformation», assène Me Wettstein.

Industrie du tabac

En écho, Pascal Diethelm, ancien collaborateur de l’OMS et militant antitabac, souligne que l’industrie de la cigarette a été la première à inventer des méthodes inédites de désinformation. Cette dernière a, de surcroît, dès les années 1950, décrédibilisé les scientifiques qui alertaient sur les liens entre cigarettes et maladies. Pascal Diethelm en a fait l’amère expérience. Début 2000, avec le docteur Jean-Charles Rielle, il révèle la fraude scientifique du professeur Rylander de l’Université de Genève. Celui-ci nie la toxicité de la fumée passive, car il entretient des liens étroits avec Philip Morris depuis les années 1970. Or, Rylander poursuit les deux lanceurs d’alerte pour diffamation. Cinq jugements plus tard, le Tribunal fédéral a fini par leur donner raison. «Nous avons fait appel à des experts qui ont été entendus et ont été essentiels dans le rétablissement des faits et de la vérité, explique Pascal Diethelm. Les juges sont des êtres humains comme tout le monde avec des idées socialement construites par des industries qui décrédibilisent leurs opposants.»

Ignorances

La climatologue Martine Rebetez souligne que ces méthodes de désinformation de l’industrie du tabac se retrouvent dans celle des énergies fossiles s’agissant du changement climatique. «Même dans les milieux les plus éduqués, encore aujourd’hui, on ne se rend pas compte ni de l’urgence ni de l’ampleur des changements climatiques. Les connaissances sont clairement insuffisantes. Les jeunes pour le Climat sont jugés par des personnes qui ne connaissent pas les enjeux et ne peuvent donc comprendre leurs actions.» Martine Rebetez se dit également choquée par le rejet de la plainte des Aînées pour la protection du climat qui ont porté leur combat jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). «Le Tribunal fédéral a refusé de reconnaître la vulnérabilité de cette population face au réchauffement climatique. Alors que l’été caniculaire de 2003 a généré une surmortalité chez les plus de 80 ans de plus de 10% – ce qui n’est pas très éloigné des chiffres de l’année passée avec le Covid.»

Me Nussbaumer souligne que ni ces enjeux, ni même le mot climat, ne figurent dans l’accusation du procureur général contre les militants de l’action Block Friday. Ceux-ci sont poursuivis pour contrainte – le fait d’entraver la liberté de quelqu’un (en l’occurrence d’entrer par la porte principale d’un centre commercial) – et pour avoir manifesté sans autorisation. Dans tous les cas, même s’ils ne sont pas invités à s’exprimer, plusieurs experts se rendront au tribunal le 25 mai.

La cause climatique devant la justice

Les procès climatiques se multiplient, et se font écho. Sur le site Action Climat, la liste, pourtant non exhaustive, est déjà longue. Plaidoiries et décisions de justice y sont accessibles tant dans les procès «Mains rouges» à Genève et à Lausanne (acquittement à Genève, mais pas à Lausanne), que dans celui des douze «joueurs et joueuses de tennis» (troisième manche bientôt au Tribunal fédéral), ou encore concernant «la visite guidée des pires entreprises climaticides» (acquittement à Genève). Chronologiquement, le premier procès date du 5 novembre 2019. Celui d’un mineur, à la suite d’une action de désobéissance civile durant une manifestation pour le climat à Lausanne dans les locaux des Retraites populaires. Il a été condamné en première et en deuxième instance. Le procès de treize prévenus majeurs de la même action n’a pas encore été agendé. Tout comme celui de 200 activistes d’Extinction Rebellion (XR) après des blocages à Lausanne, qui s’annonce ubuesque. Eric Ducrey, co-vice-président de la construction d’Unia Fribourg, explique avoir reçu plusieurs ordonnances pénales lors d’actions menées avec XR, pour affichage sauvage et incitation à la rébellion, ou encore récemment à Fribourg pour infractions à la Loi Covid, alors que les groupes de manifestants étaient éloignés les uns des autres pendant l’action. Pour lui, «il y a clairement un acharnement contre les militants éco-sociaux».

Un acharnement qui prend une ampleur inédite à la suite de l’évacuation de la Zad du Mormont fin mars. La semaine dernière, trente avocats vaudois et genevois ont fait opposition aux ordonnances pénales immédiates reçues par les zadistes – soit 2 à 3 mois d’emprisonnement ferme, des amendes de 400 à 700 francs en plus des frais de procédure. Ils écrivent dans un communiqué être «choqués» tant par la lourdeur des condamnations que par les méthodes utilisées, inédites: «Les peines qui incluent toutes de la prison ferme ont été prononcées de manière expéditive à l’issue de brèves audiences menées à la chaîne.» Quarante-deux militants ont été condamnés dans les 48 heures après l’arrestation. La majorité n’a pas divulgué son nom, mais empreintes digitales, prélèvements d’ADN et photos ont été conservés par la police. «Les antécédents n’ont ainsi pas été pris en compte. Pour la défense, il y a vice de forme de la part du Ministère public», souligne l’une des avocates, Me Saskia von Fliedner. Les activistes déclarent, quant à eux, dans le communiqué: «Un casier judiciaire, c’est une entrave dans la vie quotidienne que nous refusons de porter alors que nous agissons dans l’intérêt commun, pour notre survie et celle du vivant.»

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