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Au cinéma en août

Image tirée du film Berlin Alexanderplatz.
© Wolfgang Ennenbach/Sommerhaus Filmproduktion

Image tirée du film "Berlin Alexanderplatz".

"Rouge" de Farid Bentoumi, "Berlin Alexanderplatz" de Burhan Qurbani et "Deux" de Filippo Meneghetti sont à découvrir dans les salles obscures


Image tirée du film.Les pieds dans la boue

Avec Rouge, le réalisateur français Farid Bentoumi nous plonge au cœur d’une usine chimique engluée dans les problèmes sanitaires. Un thriller syndical et environnemental qui débat de la sauvegarde des emplois face à l’urgence écologique. Edifiant et nécessaire sans être pour autant moralisateur

Nour est soignante dans un service d’urgences. Après avoir involontairement provoqué la mort d’une patiente, elle revient s’installer dans sa ville natale. Grâce à son père, ouvrier, délégué syndical et pivot d’une usine chimique depuis des décennies, la jeune femme décroche un poste d’infirmière dans cette entreprise, poumon économique de la région. Alors que la société est en plein contrôle sanitaire et qu’une journaliste opiniâtre mène l’enquête sur la gestion des déchets, Nour commence à relever des anomalies: dossiers médicaux trafiqués, accidents du travail dissimulés et, surtout, omerta autour des boues rouges, rejets de l’usine. Face à une évidence qui s’impose progressivement à elle, l’infirmière va devoir choisir: se taire ou trahir et affronter son père et toute l’entreprise pour faire éclater la vérité. Car les pressions sur la jeune femme seront nombreuses: patrons, politiciens et employés, tous sont bien décidés à étouffer les scandales.

S’inspirant de faits réels, le réalisateur et coscénariste de Rouge, Farid Bentoumi, propose un long métrage fortement imprégné du milieu syndical et ouvrier dans lequel il a baigné. «J’ai fait des grèves, des blocages d’usines avec mon père, délégué syndical […]. Les usines qui polluent, qui ferment, les ouvriers qui doivent déménager du jour au lendemain, le chômage, on a vécu tout ça», explique-t-il. Fort de ce bagage, le cinéaste a de plus mis un point d’honneur à travailler chaque rôle avec des personnes exerçant la même profession que ses protagonistes (journaliste, syndicaliste, intérimaire, infirmière…). Cela dans un souci de précision et de réalisme: «Quand on traite un sujet social de cette gravité, on se doit d’être irréprochable», insiste-t-il. Le résultat en est des personnages extrêmement crédibles emmenés par le portrait d’un duo père-fille complexe.

«C’est l’usine qui nous fait bouffer»

Consciencieuse et proactive, la jeune femme est, elle, bien décidée à mettre ses compétences au service de ses collègues. «Je ne suis pas là pour être tranquille», répond-elle à son prédécesseur qui l’informe que la fonction est plutôt relax. Le ton est donné. En poussant un tel à se rendre à une consultation médicale, en dépoussiérant de vieux dossiers ou en dénonçant certains cas au médecin du travail, Nour sera accusée de zèle et poussée à rentrer dans le rang par la direction. Pour finalement devenir, contre son gré, lanceuse d’alerte. «Tu ne trahis pas tes collègues, tu les aides», l’encourage la journaliste. Mais les choses ne sont pas si simples, car dans cette histoire, il n’y a pas de dénouement idéal. Face à Nour, son père, délégué du personnel, a pour seul objectif de sauvegarder les 223 emplois. «C’est l’usine qui nous fait bouffer», clame-t-il. Un scandale sanitaire ou environnemental condamnerait la société, les employés et l’économie de la région. Pour éviter cela, l’homme a mené une vie d’abnégation et de petits mensonges. «Il croit se battre pour ses collègues, pour sa ville, alors qu’il subit ce que lui dicte l’usine, analyse Farid Bentoumi […]. C’est difficile d’être délégué syndical: on donne sa vie pour les autres travailleurs, on s’engage pour défendre son emploi et donc son entreprise, mais on est sans cesse menacé.»

Dans ce conflit entre père et fille, également générationnel, la tension va progressivement monter pour faire du film un thriller haletant, poignant et surtout brûlant d’actualité. Car la question de la sauvegarde de postes de travail à l’aune de la transition écologique ne pourra que marquer notre société dans les années à venir. Et si Rouge dévoile l’entière complexité de cette problématique, il ne propose malheureusement pas de solution toute faite.

Rouge, de Farid Bentoumi, sortie en Suisse romande le 18 août.


Image tirée du film. Le doigt dans l’engrenage

Dans une fresque impressionnante, Berlin Alexanderplatz trace la descente aux enfers d’un immigré de Guinée-Bissau dans l’Allemagne d’aujourd’hui. Adaptation d’un chef-d’œuvre de la littérature allemande

Francis débarque à Berlin, seul survivant d’une embarcation de migrants sur la Méditerranée. A bord, il a perdu Ida, son premier amour. Embourbé dans un passé trouble, l’homme se fait le serment que, dorénavant, il mènera une vie correcte et honnête. Mais il comprend rapidement que, lorsqu’on est sans papiers et sans droits, cela relève de l’impossible. Alors qu’il trime, employé au noir sur un chantier, un de ses collègues immigrés se blesse grièvement. Contre l’avis de ses compagnons, Francis fait appeler une ambulance, révélant ainsi l’illégalité des travailleurs. Le Guinéen perd son emploi précaire et devient de ce fait une proie facile pour Reinhold, un dealer allemand et psychopathe sans pitié. Entre ces deux se crée une amitié toxique. Véritable génie du mal, Reinhold entraîne Francis dans des agissements criminels toujours plus graves et le manipule de sa voix liquoreuse. La rencontre avec Mieze, une prostituée, permettra-t-elle à Francis de se libérer de l’emprise de Reinhold? Pour devenir finalement un homme nouveau et honnête?

Avec son Berlin Alexanderplatz, le réalisateur allemand Burhan Qurbani ne manque pas d’audace. Il saisit à bras-le-corps le chef-d’œuvre homonyme de la littérature allemande du XXe siècle en le transposant des années 1920 vers l’Allemagne d’aujourd’hui. Le Franz du livre, délinquant et travailleur à la petite semaine, devient Francis, un sans-papiers. Le cinéaste imprime ainsi au film une dimension sociétale actuelle: «Je n’étais pas seulement intéressé par l’idée de raconter une histoire de réfugiés à Berlin, mais par la possibilité de traiter des mécanismes du racisme, du déséquilibre des pouvoirs et de la dynamique sous-jacente de l’oppression», explique-t-il. Faisant ainsi de Berlin Alexanderplatz une métaphore claire du postcolonialisme: «Tu sais où tu serais si on devait payer ici 3 euros le litre d’essence? Tu serais dans ton pays, dans ta maison, avec l’estomac plein et une famille en paix», s’amuse sarcastique l’abominable Reinhold.

Un lit et une tartine beurrée

Sulfureux, envoûtant et imposant dans tous les sens du terme – le film dure trois heures –, Berlin Alexanderplatz se présente comme un récit policier à l’intrigue criminelle haletante. Avec pour épicentre le triangle amoureux destructeur que forment Francis, Mieze et Reinhold. Mais le long métrage se veut également un pamphlet accablant contre l’inégalité des chances et ses exacerbations. Comment justifier en effet que, face à l’augmentation des fortunes des plus riches, les plus pauvres ne récoltent que des miettes? Et comment ne pas comprendre que l’accroissement de ces déséquilibres pousse les plus miséreux «affamés» à la délinquance? «La faim d’une destinée le consume, car il demande plus à la vie qu’un lit et une tartine beurrée», peut-on lire dans le roman. «Etant fils d’immigrés afghans, poursuit Burhan Qurbani, je comprends parfaitement cette faim. Je connais aussi ses dangers. C’est elle qui attire le diable.» Rappelant ainsi à quel point il est difficile d’être bon dans un monde mauvais…

Berlin Alexanderplatz, de Burhan Qurbani, sortie en Suisse romande le 18 août.


Image tirée du film.Les yeux dans les yeux

Le réalisateur italien Filippo Meneghetti propose, avec Deux, un mélodrame à caractère social. Et surtout une histoire d’amour entre deux septuagénaires incarnées par un formidable duo de comédiennes

En apparence, Madeleine et Nina sont voisines. Veuve pour l’une, célibataire pour l’autre, ces retraitées vivent sur le même palier, au dernier étage d’un immeuble. Mais en réalité, les deux femmes sont profondément amoureuses. Au quotidien, elles vont et viennent entre leurs deux appartements et partagent leurs vies ensemble. Personne ne les connaît vraiment et personne n’imagine qu’elles forment un couple. Pas même Anne, la fille de Madeleine, attentionnée et très proche de sa mère. Mais alors que les deux compagnes décident de vendre leurs logements pour partir s’installer à Rome et vivre leur relation au grand jour, un événement tragique va tout bousculer…

Sorti en France en 2020, multiprimé dans différents festivals à travers le monde, Deux se fraie enfin un chemin sur les écrans romands. Et on ne peut que s’en réjouir. Aux côtés du cinéaste italien Filippo Meneghetti, un duo franco-allemand de comédiennes, très différentes mais complémentaires, porte ce film. «Je voulais travailler avec des actrices qui soient à l’aise avec leur âge», explique le réalisateur. Barbara Sukowa et Martine Chevallier forment ainsi un couple parfaitement crédible et sans botox. Car si l’histoire se présente comme un mélodrame en apparence classique avec son lot de secrets et de difficultés, le choix de présenter un couple de femmes et surtout de septuagénaires vient véritablement lui donner un ancrage sociétal.

Carcan social et familial

«Je crois, explique Filippo Meneghetti, que c’est avant tout un film sur le regard des autres. Et sur l’autocensure. Une censure invisible mais très violente. Le regard que nous portons sur nous-mêmes est nourri par celui de nos proches, de la société. […] Le film soulève des problématiques auxquelles chacun peut s’identifier. Comment s’accepter, s’assumer?» Si dans un premier temps, les deux femmes s’amusent en effet de la situation et semblent jouer cette petite comédie avec plaisir, elles finissent inévitablement par en souffrir. Alors que, pour Nina, les choses sont simples – «Tout le monde s’en fout», affirme-t-elle –, il en est autrement pour Madeleine. Ecrasée par le carcan social et surtout familial, il lui est impossible de révéler la véritable nature de sa relation avec Nina à ses enfants. L’une comme l’autre ne baissent toutefois jamais les bras, tant la force de leur amour semble indestructible. Dans ce film où il n’y a ni véritable méchant, ni véritable opprimé, ce sont donc bien les idées préconçues et le conformisme qui sont responsables des souffrances des protagonistes. «Nous voulions faire un film sans victime, car nous préférons les personnages qui luttent, même s’ils souffrent», poursuit le réalisateur.

Réalisé de manière très sensible, tout en retenue et sans aucun pathos, ce mélodrame se construit en adoptant tantôt les codes du genre policier, tantôt ceux du thriller, lorsque le piège semble se refermer sur les héroïnes. Le tout rythmé par une chanson enjouée de Petula Clark: «Tu vivras avec moi sur une île fantastique…» disent les paroles, pour rappeler le rêve, tout simple, de Nina et Madeleine. En attendant de tordre le cou au conservatisme…

Deux, de Filippo Meneghetti, sortie en Suisse romande le 18 août.