Un système indéfendable
Faut-il consolider la forteresse Europe qui en demeure bien une pour une majorité d’exilés hors continent? Notre pays, membre de l’Espace Schengen, doit-il augmenter son soutien à la politique mortifère de verrouillage des frontières extérieures de l’UE? Engager des moyens accrus pour refouler des migrants dont le seul crime consiste à fuir des conflits ou la misère, à nourrir l’espoir d’un avenir meilleur? Des questions auxquelles devront répondre les citoyens appelés à se positionner le 15 mai prochain sur l’élargissement de la participation helvétique à Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes chargée de barrer les routes migratoires. Le gouvernement entend en effet engager des ressources financières et humaines supplémentaires dans cette structure. Des 24 millions de francs versés en 2021, la contribution passerait à 61 millions de francs en 2027, le nombre de postes de 6 à 40. Une volonté combattue par référendum. Pas question pour les opposants réunissant une large coalition d’ONG, de partis, d’Eglises, d’accroître le poids d’une agence controversée qui n’a cessé de monter en puissance. Depuis sa création en 2005, cette dernière, notent-ils, a rallongé son budget de quelque 6 millions à... 11 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Son contingent permanent devrait atteindre 10000 hommes. Des forces d’intervention possédant leurs propres armes, embarcations, avions et drones. Une armée inquiétante hors de contrôle démocratique accusée d’accroître la dangerosité des parcours de fuite et épinglée à plusieurs reprises pour des violations des droits humains et des refoulements illégaux. Des agissements directs et indirects suffisamment graves pour que, l’automne passé, le Parlement européen demande un gel d’une partie de ses fonds. Pas de quoi générer d’états d’âme de la Confédération qui espère convaincre les votants en insistant sur l’engagement de 40 observateurs des droits fondamentaux. Le gouvernement affirme en outre qu’un refus des citoyens se traduirait par une exclusion de la Suisse des accords Schengen/Dublin. Une issue qui n’est pas inéluctable. Mais l’argument permet dans tous les cas d’attiser la peur sécuritaire et de l’asile. Des craintes aussi entretenues par Frontex effectuant des «analyses de risques». Toujours ce même discours associant la migration à un danger. Ce narratif bien rôdé et inversant, non sans cynisme, les rôles entre les personnes cherchant protection et leurs hôtes potentiels. Frontex participera en outre davantage aux renvois de requérants déboutés contraints de quitter le territoire. Ces indésirables qui ne répondent pas aux critères toujours plus sévères d’accueil. Et ce sans que l’on s’interroge sur les responsabilités occidentales, pourtant bien réelles, dans les motifs de fuite... La seule position humainement défendable aujourd’hui est le rejet d’un renforcement d’un régime frontalier qui bafoue le droit et criminalise les exilés. Il s’agit d’ouvrir des voies d’accès sûres, de réinstaurer la possibilité de déposer des demandes d’asile dans les ambassades, de délivrer plus largement des visas humanitaires. En d’autres termes, d’entreprendre des réformes propres à mettre un terme à la violence. Un Non le 15 mai soutient cette idée. La solidarité manifestée aujourd’hui à l’égard des réfugiés ukrainiens – qui, dans leur malheur, ont la chance de présenter le bon profil – ne doit pas nous faire oublier d’autres réalités: les dizaines de milliers de morts en Méditerranée, la torture d’exilés dans les camps libyens, les renvois illégaux et la souffrance sur la route des Balkans ou en mer Egée. La défense des valeurs qui font l’Europe passe par le respect de toutes les personnes sollicitant sa protection, indifféremment de leur nationalité.