Le 15 mai prochain, les référendaires invitent les citoyens à refuser l’augmentation de la participation de la Suisse à Frontex. Explications
«La violence, la misère et la mort sont devenues quotidiennes aux frontières extérieures de l’Europe. Les personnes réfugiées et migrantes sont privées de leurs droits, battues et expulsées. En tant que garde-frontières et garde-côtes européen, Frontex a sa part de responsabilité.» C’est, en résumé, par ces mots que les référendaires – composés de multiples organisations de soutien aux migrants, du Parti socialiste, des Verts, d’autres partis de gauche, des Eglises, ainsi que de mouvements écologistes et féministes – invitent les citoyens à voter «non» le 15 mai prochain à la «Reprise du règlement de l’UE relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes»; autrement dit refuser l’augmentation de la participation de la Suisse financièrement et en personnel à Frontex. L’Agence européenne, fondée en 2004, a vu son budget annuel passer de 5 à 750 millions. Si le «oui» l’emporte dans les urnes, la contribution de la Suisse à Frontex passera progressivement de 24 millions en 2021 à 61 millions de francs d’ici à 2027. Une coopération inacceptable pour les référendaires qui dénoncent le manque de transparence de Frontex et ses violations des droits fondamentaux des exilés aux frontières externes de l’Europe. Son directeur, Fabrice Leggeri, décrié par la gauche du Parlement européen, vient d’ailleurs de démissionner. Vendredi 6 mai, une conférence intitulée «Frontex: quelle politique aux frontières de l’Europe?»* se tiendra à Lausanne. Parmi les intervenants, Kiri Santer, chercheuse en migration à l’Université de Berne.
Comment a évolué Frontex depuis sa création en 2004?
Kiri Santer: Cette agence est étroitement liée au développement de Schengen avec l’ouverture des frontières internes de l’Europe et, à l’opposé, un durcissement de ses frontières extérieures. Au départ, Frontex avait un rôle de coordination entre les Etats membres. Puis, à chaque changement de règlement, son budget, ses ressources en personnel et son autonomie n’ont cessé d’augmenter. Cette indépendance des gouvernements européens et suisse lui permet depuis 2016 d’acquérir son propre matériel, notamment des armes et du matériel de surveillance dont des drones. Or, l’agence fait face à des scandales à répétition pour ses violations des droits humains avec des refoulements illégaux, ou encore ses collaborations avec des gardes-côtes libyens, alors que les migrants refoulés dans ce pays subissent des détentions arbitraires et des tortures documentées depuis des années par les organisations de défense des droits fondamentaux… Un rapport – pas encore totalement rendu public –, mené par l'Office européen de lutte anti-fraude, montrerait la complicité de Frontex dans ces refoulements aux plus hauts échelons de Frontex. Le Parlement européen a, pour l’heure, décidé de geler une partie de son budget.
Les tenants du soutien financier à Frontex estiment que la Suisse pourrait être exclue de l’espace Schengen en cas de non le 15 mai. Qu’en dites-vous?
Il n’y a pas d’exclusion automatique en cas de non-reprise du développement de l’acquis de Schengen. Nous sommes d’ailleurs déjà hors délai, car celui-ci a été dépassé en octobre 2021, après le vote au Parlement. C’est une question éminemment politique et non juridique. Le débat restera ouvert, avec notamment une initiative parlementaire socialiste déjà déposée. Les partis de gauche se sont engagés à remettre l’ouvrage sur le métier dès le lendemain de la votation en cas de non. Ce référendum permettrait que le projet soit revu afin de demander des contreparties, comme des voies de migration sûres et légales. L’externalisation des frontières et les pratiques de Frontex contribuent depuis des années à l’érosion du droit d’asile, en rendant l’accès au territoire de l’UE toujours plus difficile.
Les sondages ne sont pas favorables au référendum…
En effet, c’est toujours très difficile de gagner sur les thèmes liés à l’asile et à la migration. Or, l’élan de solidarité que je salue vis-à-vis des réfugiés ukrainiens montre qu’il est possible de gérer les migrations autrement que par la peur. Sans hiérarchiser les souffrances, cette crise doit nous amener à nous interroger sur le racisme structurel qui caractérise la gestion des frontières de l’Europe. Pourquoi un réfugié afghan ou syrien ne bénéficierait-il pas du même traitement qu’une personne ukrainienne? Les voies de l’exil sont devenues de plus en plus violentes et difficiles. Plus de 2000 personnes meurent chaque année en Méditerranée, et on peine à dénombrer le nombre de victimes dans le désert du Sahara…