Une soirée de solidarité et de récolte de fonds a été organisée dix jours après les tremblements de terre meurtriers en Turquie et en Syrie. L’organisation humanitaire Croissant Rouge du Kurdistan Suisse a présenté son action dans la région
L’émotion était intense au soir du 16 février, au centre Pôle Sud à Lausanne. Une centaine de personnes s’étaient réunies pour une soirée de solidarité et de récolte de fonds mise sur pied tout juste dix jours après les violents tremblements de terre qui ont semé la désolation dans le sud de la Turquie, au Kurdistan et au nord de la Syrie. Emotion et colère aussi face aux lenteurs de l’acheminement des secours dans les régions éloignées, et même au blocage et à la confiscation de matériel humanitaire par le régime du président Erdogan. La soirée était organisée par plusieurs mouvements kurdes et par le Croissant Rouge du Kurdistan Suisse, une association humanitaire totalement indépendante des Croissant Rouge turc et syrien et des gouvernements de ces deux pays. La soirée était soutenue par des formations politiques vaudoises et lausannoises, dont le Parti socialiste, le POP, les Verts et Solidarités.
«Il y a des dizaines de milliers de victimes, des dizaines de milliers sont encore sous les décombres. Cette catastrophe sévit dans une situation très dure, avec un froid intense», a introduit Firat Anli, ancien maire de Diyarbakir, ville à majorité kurde du sud-est de la Turquie, emprisonné en 2016-2017. «C’est un fait, depuis la révolution du Rojava, de nombreuses villes kurdes ont été détruites ou attaquées par les militaires. Il y a eu énormément de victimes ces dix dernières années. Si nos mairies, nos municipalités n’avaient pas été fermées, si les maires n’avaient pas été démis de leur fonction, nous aurions pu venir en aide aux victimes de ce séisme», a-t-il poursuivi, rappelant la situation politique sous tension dans laquelle est survenue la catastrophe. «Autant nous sommes conscients que nos mains sont attachées par Erdogan, autant nous savons que la solidarité avec ce peuple qui résiste est bien réelle ici en Suisse.» Et de terminer sur une note d’espoir: «Nous avons reconstruit Kobané après des combats terribles, de la même manière nous reconstruirons les villes détruites par le séisme.» Firat Anli a appelé à l’entraide et au secours de toutes les minorités, alevis, arabes, syriennes, kurdes, «pour que nous puissions revivre ensemble, sans être à la merci d’Erdogan et de l’islamisme radical».
Soutien aux oubliés des Etats
Après les messages de sympathie d’élus et de partis locaux, Ozlem Arik, présidente du Croissant Rouge du Kurdistan Suisse, a présenté, en compagnie d’une bénévole, cette association installée à Lausanne et à Genève. Fondé en 1993 en Allemagne, le Croissant Rouge du Kurdistan a été mis en place par des Kurdes pour venir en aide à des personnes et à des familles en situation de détresse dans leur région et plus largement au Moyen-Orient. Il a essaimé depuis dans une douzaine de pays en Europe, avec des antennes au Japon et au Canada. Il est un soutien pour des populations discriminées face aux ressources attribuées par les Etats. Rappelons que le Kurdistan s’étend sur quatre pays: la Turquie, l’Irak, la Syrie et l’Iran. «Depuis trente ans, nous avons des projets dans la région concernée par le séisme, au Kurdistan nord et au Rojava, au nord-est de la Syrie», ont indiqué les deux femmes, précisant que de 95% à 97% des sommes récoltées sont reversées aux victimes. Dès le premier jour du séisme, le Croissant Rouge du Kurdistan Europe a envoyé des fonds sur place. En dix jours, environ un million d’euros ont pu être transmis pour la distribution d’aide d’urgence dans plusieurs villes, telles que Malatya, Elbistan, Pazarcik, Antep, en grande partie détruites. Tentes, couvertures, matelas, poêles à bois, appareils de chauffage, générateurs ou encore matériels d’hygiène ont pu être fournis. Des cuisines collectives pour les repas ont été mises en place. Habituellement, l’association soutient la population et les enfants tant en Turquie que dans le Rojava, où elle a contribué à financer un centre de prothèses pour les victimes amputées de la guerre civile syrienne. Une guerre qui a divisé la région en plusieurs zones d’influence, rendant aujourd’hui l’aide humanitaire extrêmement difficile.
Critiques envers le régime
Revenant sur la situation politique en Turquie, Ozlem Arik et sa collègue ont mis en évidence l’insuffisance de l’Etat, révélée par la catastrophe naturelle, dans une région où existent de grandes difficultés depuis longtemps. «Le tremblement de terre va les amplifier», ont-elles souligné, avant de fustiger le régime d’Erdogan qui a, entre autres, décrété l’état d’urgence. «Cela veut dire censure, contrôles, arrestations arbitraires, limitation de circulation des journalistes et des organisations d’aide humanitaire.» Les critiques envers le régime sont vives. Il aurait par exemple ordonné le déblaiement des gravats là où il aurait été possible de retrouver des survivants. De plus, de nombreux réfugiés syriens, sans existence officielle, sont morts sous les décombres. «L’Etat cherche à minimiser le nombre de victimes et bloque l’auto-organisation de la société civile pour les secours. Ce sont ces groupes, indépendants de l’Etat, que nous soutenons avec les fonds récoltés.»
Moment d’émotion encore lorsque le coordinateur des Tamouls de Suisse a pris la parole: «Notre communauté est très proche de celle des Kurdes. En décembre 2004, pendant le tsunami, nous avons vécu la même chose que vous aujourd’hui. Nous tenons à vous soutenir. Chez nous aussi, nous avons un régime dictatorial qui n’aide pas. En 2004, nous avons eu des milliers de décès, de personnes disparues, mais nous avons pu reconstruire et faire entendre la voix de la population tamoule. Je suis sûr que vous aussi, vous arriverez à le faire, et à continuer à lutter.»
Plus d’informations sur le Croissant Rouge du Kurdistan Suisse et dons sur: heyvasor.ch