Depuis quinze ans, les préapprentis du Centre d’orientation de formation professionnelle colorent les armoires électriques de la Ville de Lausanne. Un livre met en lumière ce projet
«Ce qu’on aimait, c’était le côté interdit.» Avec un sourire d’adolescent rebelle, Pascal Jaquet, 60 ans, se souvient de ses années de graffitis illégaux. «Au début des années 1980, Lausanne était une petite bourgade. Les rues étaient vides la nuit, et il n’y avait pas de caméra. Je pouvais laisser ma trace sur des murs très visibles comme à la place Saint-François ou celle de la Palud.» Les œuvres illégales et provocatrices de cet inconnu d’alors seront même publiées dans la presse locale...
Quarante ans plus tard, après des études artistiques à Bruxelles, l’illustrateur-dessinateur, Pascal Jaquet, s’exprime en tant qu’enseignant d’arts visuels au Centre d’orientation et de formation professionnelle (COFOP). Depuis vingt ans, il transmet sa passion aux élèves, en leur proposant notamment d’embellir les boîtes électriques lausannoises. Ces armoires closes, originellement grises, voire taguées, sont essentielles à l’alimentation électrique de chaque quartier, des ménages aux entreprises. Poétiques ou humoristiques, en lien souvent avec le lieu ou à la suite de l’impulsion d’habitants (l’un d’eux a, par exemple, demandé une peinture de son chien), ces graffitis font sourire le passant et égaient les rues. «C’est un clin d’œil, une forme d’activisme soft. Mettre de la couleur dans la ville, contrebalancer l’envahissement publicitaire et, au fond, nettoyer, car nous recouvrons souvent de mauvais tags», explique celui qu’on appelle aussi Sapin, du fait de sa grande taille.
«Des créativités non instituées»
Pour retracer ces quinze ans de doux militantisme, un livre est paru récemment: ElectriCity. Des armoires électriques en couleurs, signé par Pascal Jaquet et Jean-Yves Pidoux, ancien municipal en charge des Services industriels, également à l’origine du projet. Ce dernier précise dans l’ouvrage: «Je me suis demandé si l’on ne pourrait pas utiliser ce mobilier urbain pour colorer un peu la ville, pour protéger ces équipements sensibles en les rendant visibles plutôt qu’en espérant qu’ils restent inaperçus. Et fort de ma sympathie pour les graffitis, peu avouable et peu partagée au sein des autorités, je me suis dit que l’on pourrait tenter de mettre en valeur des créativités non instituées.» A la retraite depuis 2021, l’ancien municipal Vert et professeur de sociologie exprime aussi son regret d’une jeunesse «placardée» – sur des affiches publicitaires – et «mise au placard». Car «les jeunes sont souvent considérés comme des éléments perturbateurs».
Les discussions ont donc été nourries autour de la mise en valeur de ces caissons qui permettent aussi la mise en lumière des élèves, de l’école et des métiers techniques.
Pascal Jaquet souligne les rencontres avec les passants, généralement encourageantes pour les jeunes, ainsi que le respect de la grande majorité des peintures réalisées, suivant la culture du milieu du graffiti: «Si tu ne fais pas mieux, ne recouvre pas.»
«Nous avons réalisé dix boîtes autour de l’école, avec des images en lien avec l’électricité. Après les ampoules, les câbles, les éclairs, on a élargi sur la puissance et la force, puis nous avons continué de créer en toute liberté. Ou presque. L’architecte de la ville pose aussi un œil sur les projets. Et les quartiers historiques de la Cité nous sont interdits.»
Des fresques sur 350 boîtes
Depuis quinze ans, quelque 350 boîtes ont été relookées par des jeunes en préapprentissage au COFOP, et dans une moindre mesure par des graffeurs professionnels, dont Pascal Jaquet. «Avec les jeunes, on utilise beaucoup de pochoirs et de chablons, car le spray est un outil difficile. Plus largement, c’est l’occasion aussi de développer leurs connaissances dans le droit à l’image. Car ils ont tendance à recopier ce qu’il voit sur internet.»
Des centaines d’élèves ont laissé leur trace dans la cité. Quelques-uns ont pris le chemin de l’Eracom pour se former comme graphiste. Dont Joëlle qui témoigne dans le livre: «Ça donne du caractère à la ville, plutôt que des boîtes avec rien dessus ou avec des trucs dessinés à la va-vite.» Manuel, très investi, souligne: «J’ai juste pris ça pour une feuille blanche où on peut s’exprimer et se divertir.» Quant au troisième camarade qui participe aussi à l’ouvrage, Louis, il ne cache pas une certaine fierté: «Quand on finit les cours, le week-end, on passe avec des potes et on peut dire: “Ah tiens, cette armoire électrique, c’est moi qui l’ai faite, c’est des amis à moi qui les ont faites.”»
«ElectriCity. Des armoires électriques en couleur», de Pascal Jaquet et Jean-Yves Pidoux, Editions Antipodes, Lausanne, 2023.
(Photos Pascal Jaquet)