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Diversité de la presse et biodiversité

A propos du groupe Tamedia, et très indépendamment de son approche néolibérale du travail journalistique et des professionnels qui s’efforcent de l’exercer en ces temps difficiles de vitesse et de réseaux sociaux: dans quelle mesure les concentrations telles qu’il en envisage ces temps-ci vont-elles réduire la diversité de la presse?

Esquisser la réponse est complexe, nous interroger sur la diversité de la presse n’équivalant pas à nous interroger sur la diversité des opinions dont cette presse est le présentoir. Et si nous nous interrogeons rarement sur la diversité des opinions en Suisse romande, c’est qu’elle n’a cessé de diminuer graduellement si ce n’est imperceptiblement, en tout cas dans les organes de presse plus généralistes qu’engagés comme celui-ci.

Au moins trois facteurs ou processus ont induit cette disparition. Le premier, c’est la nature des mécanismes visant à prélever puis à transmettre les informations, ce que je nommerai le matériau médiatique. Le deuxième, c’est la machinalisation de ceux qui «consomment» ce matériau. Et le troisième, c’est la transformation de leur attente à cet égard.

Un, la nature des mécanismes de transmission médiatique. La tendance «réductrice» des pools et des agences d’information, qu’il s’agisse du texte ou des images. Ce qui compte de nos jours est en effet la qualité du transit affectant toute information: la vitesse à laquelle elle peut être formulée, acheminée, consommée puis oubliée – de telle sorte que la suivante advienne dans les meilleures conditions de disponibilité possibles.

Deux, la machinalisation de ceux qui consomment le matériau médiatique. L’obligation dans laquelle ils se trouvent de ne pas suffoquer par excès des informations qui leur sont proposées. L’obligation, par conséquent, dans laquelle ils se trouvent de réduire le niveau d’attention qu’ils y consacrent: soit en lisant de moins en moins de journaux et en regardant de moins en moins de programmes, soit en rendant leur manière de les lire et de les regarder plus superficielle et plus zappeuse.

Et trois, la transformation de ce que nous espérons du matériau médiatique. Notre désir de connaître les événements du monde pour nous y repérer, qui fondait la presse traditionnelle et fonde encore ce qu’il en reste, étant devenu très imperceptiblement notre désir d’en être perpétuellement étonnés, et sans doute aussi divertis.

Or cette évolution du domaine médiatique n’est-elle pas le miroir du monde et de notre espèce elle-même telle qu’elle va, ou plutôt dé-va? Voyez l’infléchissement de nos communautés humaines où maints comportements collectifs dérivent hors du socle démocratique. Où les pratiques de la conversation publique se ratatinent sous l’empire des réseaux sociaux ruisselants de prose agressive. Où les manières d’accueillir l’Autre et sa culture sont écrasées par une xénophobie normalisée.

Où la souffrance économique éprouvée par une part croissante des populations se manifeste «au profit de minorités toujours plus restreintes», comme l'écrivit Claude Lévi-Strauss dans son Anthropologie structurale (1958), qui savourent «le privilège d’un humanisme corrompu». Où nous envahissent, comme disait le pape l’autre semaine, la «culture du rejet», les «tentations idéologiques et populistes» et les «pouvoirs autoréférentiels». La raison du plus fort.

Et prenez l’ordre naturel, celui de l’ordre naturel que notre même espèce accable. Qui fait taire, mais cette fois dans le grand Parlement du Vivant, les voix de l’Autre en tant qu’animal ou végétal, voire qu’instance physique comme les océans ou les mouvements climatiques. Des «frères inférieurs» et des choses, donc, ceux-là mêmes qui composent la biodiversité dans ses décors indispensables. Et qui dépendent, tant l’influence humaine s’est faite démesurée, de nos agissements politiques en fonction de leurs soubassements idéologiques.

Le «climatoscepticisme d’Etat» et le «carbofascisme», par exemple, évoqués par la militante écologiste Camille Etienne et le géographe Antoine Dubiau dans une tribune de Libération datée du 4 juillet passé, étant devenus typiques voire exclusifs de la droite autoritaire et de l’extrême droite. Même loi du plus fort. Et de cela, la presse telle qu’elle est devenue, et ses «consommateurs» tels qu’ils sont eux-mêmes devenus, ne sont pas innocents. Tout se tient, hélas, de la diversité malmenée dans nos cerveaux à la biodiversité massacrée, celle qu’il nous faut défendre avec la plus grande ardeur au fond des urnes ce dimanche.