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Del Maître en grève, les propriétaires ne bronchent pas !

La charcuterie industrielle genevoise ne tourne pas rond, les employés en font les frais

Les travailleuses et les travailleurs de Del Maître, une entreprise du groupe des Laiteries Réunies, refusent qu'on leur impose de nouvelles conditions de travail et que leur direction choisisse pour eux leurs représentants. D'où leur mouvement de grève du mercredi 27 septembre qui a montré, une fois de plus, l'intransigeance des propriétaires.

4 heures 30. Quelques militants et syndicalistes se retrouvent devant les portes de l'entreprise, à Satigny. Ils sont volontaires pour préparer la réception, vers 5 heures, des premiers ouvriers. Une table est dressée pour le petit et frugal déjeuner, des bidons sont placés pour interdire l'entrée, les drapeaux rouges et blancs d'Unia se mêlent déjà aux couleurs bleues et blanches du syndicat SIT. Faut-il vraiment préciser que l'Association suisse du personnel de la boucherie (ASPB), présentée par la direction de Del Maître comme l'unique et légitime représentant des ouvriers, ne montrera pas le bout de son nez durant toute la grève.

Comme en Corée!
6 heures. Toutes celles et tous ceux qui devaient reprendre le travail ont rejoint leur syndicat et se tiennent devant la porte de l'entreprise sous le regard vigilant de trois patrouilles de police.
Ana-Bel Martinez (Unia) et Sylvain Tarrit (SIT) rappellent les nombreuses raisons de cet arrêt de travail. En résumé, la direction a prononcé 132 licenciements tout en proposant à son personnel de le réengager à de nouvelles et moins bonnes conditions. Comme les syndicats Unia et SIT s'opposent à cette manœuvre, Del Maître a décidé de ne pas renouveler la convention qui le liait à ces syndicats et de ne plus les rencontrer. Cerise sur le gâteau ou persil dans le groin, écrivions-nous dans un article précédent, Del Maître est allé chercher l'ASPB, inconnue au bataillon de Satigny, pour représenter le personnel.
Aujourd'hui en Suisse comme en Corée du Nord, il se trouve encore des employeurs pour imposer le représentant du personnel... comme il se trouve aussi un «syndicat» pour entrer dans ce jeu!

Des syndicats représentatifs
Le premier objectif du jour est donc de prouver, une fois de plus, à l'employeur que les salariées et les salariés sont organisés chez Unia ou au SIT et qu'ils ne reconnaissent pas l'ASPB. Très vite, la démonstration est faite puisque, à l'exception d'un seul employé qui tentera de foncer dans la foule avec son véhicule, pas un seul employé ne se rendra au travail avant qu'un vote ne mette fin à la grève, vers 8 heures.
A noter tout de même la forme athlétique de quelques cadres capables de grimper sur des barrières et de se réceptionner sans se fracasser l'omoplate!

Une direction écartée?
Forts du soutien des travailleurs, les syndicats devaient encore convaincre la direction de reprendre langue avec eux. «Inutile, explique Ana-Bel Martinez aux grévistes, la dernière réunion, le 25 septembre, a duré 45 secondes, juste le temps de nous entendre dire que nous n'avions plus rien à négocier chez Del Maître.» La syndicaliste propose donc de joindre le président du conseil d'administration des Laiteries Réunies, M. Olivier Berlie. Surpris en plein sommeil, l'homme est informé de la grève et de la volonté des salariés et des syndicats de rencontrer au plus vite une délégation du conseil d'administration. M. Berlie demande du temps pour réveiller ses collègues et pour leur expliquer la situation. Il rappellera à 7h30 et annoncera que la demande des grévistes est acceptée, la réunion se tiendra au plus tard le lundi 4 octobre. Les travailleurs méfiants exigent une confirmation écrite qui leur parviendra, par télécopie, 30 minutes plus tard. L'administrateur tiendra sa promesse, la réunion a eu lieu le 29 septembre, sans apporter malheureusement les résultats escomptés . (Lire ci-dessous.)
La différence
«Etes-vous d'accord de reprendre le travail dans ces conditions, en espérant que le conseil d'administration saura faire entendre sa voix à la direction?» demande Ana-Bel Martinez. «Qui est contre?» Une ou deux mains se lèvent. «Qui s'abstient?» Une femme se manifeste. «Qui est pour la reprise?» La syndicaliste ne décompte pas, le résultat est évident, mais conclut: «La différence entre l'association que l'on tente de vous imposer et nous, c'est l'exercice de la démocratie. Le respect.»

Serge Baehler


Le Conseil suit la direction!

Deux délégués des travailleurs et les syndicats ont rencontré le Conseil d'administration des Laiteries Réunies vendredi 29 septembre. La direction était aussi présente à cette réunion, qui a duré plus de 4 heures. Elle n'a débouché sur aucun résultat. Le Conseil refuse toujours de reconnaître la représentativité des syndicats Unia et SIT et maintient sa volonté d'imposer l'Association du personnel de boucherie.
Selon Ana-Bel Martinez, il est désormais évident que la direction est parvenue à convaincre le Conseil que pour sauver l'entreprise, il faut faire suer davantage les travailleurs: «Cette politique est suicidaire, la direction ferait mieux de consulter les salariés sur la réorganisation nécessaire de l'entreprise. Ce n'est pas en leur plaçant un couteau sous la gorge, que les problèmes vont disparaître.»
Les membres du Conseil sont les représentants des éleveurs qui livrent leur production à Del Maître: «Ils disent qu'ils ne comptent pas leurs heures et estiment que les salariés devraient en faire autant ou chercher un autre emploi.»
Face à cette situation, les syndicats ont décidé de saisir les autorités cantonales. Le mardi 3 octobre les travailleurs devaient se réunir pour décider d'éventuelles nouvelles mesures de lutte.

SB


Disponibles de 5 à 21 heures!

Il ne fait pas bon travailler chez Del Maître. Non seulement les affaires ne marchent pas très fort, mais en plus la direction ne dirige rien du tout.
«Ils disent que nous pouvons accepter ou refuser les heures supplémentaires, mais ils rappellent toujours que le travail doit être fait. Donc, quand il y a beaucoup de travail, nous sommes obligés de faire les heures supplémentaires. Et comme ils ne nous les paient pas, nous devons les reprendre lorsque le travail manque, parfois en milieu de journée, pour continuer après. Bref, nous ne savons plus ce qu'est un horaire de travail.» Noria*, qui travaille à l'étiquetage, est ainsi de celles que la direction voudrait avoir à disposition de 5 heures à 21 heures: «Comment s'organiser avec les enfants, le mari?» L'anarchie est telle que la direction produit des certificats qui attestent que le salarié est contraint à un horaire irrégulier: «On produit ces papiers aux enseignants, aux médecins, aux autorités pour qu'ils se montrent compréhensifs en fixant des rendez-vous.» Ces derniers temps, la direction parle de généraliser le travail du samedi, du dimanche, pourtant soumis à autorisation ou tout simplement interdit...

Rapport accablant
José, 20 ans d'ancienneté, raconte l'assemblée convoquée par la direction destinée à faire les présentations avec l'Association du personnel de boucherie (ASPB): «La direction a annoncé nos licenciements et s'est réjouie de nous réengager immédiatement mais avec de nouveaux contrats. Puis, elle nous a présenté le type de l'ASPB en nous disant qu'il représentait notre nouveau syndicat et qu'il était d'accord avec les nouveaux contrats. Mais moi, je ne suis pas d'accord, c'est pourquoi je fais la grève et pourquoi je refuse de signer ce nouveau contrat.»
Un rapport, de juin 2006, de l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail confirme les dires des salariés: les normes sur le travail de nuit, de soir et de jour ne sont pas respectées; idem pour la durée du repos et la prise de pauses. Les plannings sont communiqués trop tard, il est par exemple interdit de mentionner que l'horaire de départ est indicatif.
José a tout compris: «Notre direction n'a pas pigé qu'elle doit respecter la loi. Ce n'est pas en modifiant nos contrats, en nous offrant des conditions de travail encore plus mauvaises, qu'elle respectera la loi. Bien au contraire»

SB

* Prénoms fictifs.


L'ASPB se déclare incontournable

Arthur Rossetti dirige, depuis Zurich, l'Association suisse des employés de la boucherie. Il justifie le rôle qu'il joue chez Del Maître. Selon lui, l'employeur ne dit pas autre chose: les salariés doivent choisir entre leur emploi et de plus mauvaises conditions de travail. «Contre le chantage, pas de travail!» affirmait une pancarte lors de la grève.

Que pensez-vous de la grève du 27 septembre?
Quelle grève? On ne peut pas parler de grève lorsque les syndicats bloquent les portes d'une usine.

Même si ce sont les salariés qui ont demandé ce blocage?
Certains salariés l'ont peut-être demandé, mais pas tous.

En tout cas ceux qui étaient réunis mercredi ne veulent pas entendre parler de votre association.
Notre association compte une dizaine de membres chez Del Maître. Mais l'essentiel est ailleurs. Quand il n'y a plus de convention dans une entreprise du secteur de la viande, notre convention nationale, qui a force obligatoire, s'impose. C'est ce qui s'est passé chez Del Maître. Je suis donc intervenu pour sauver les meubles. J'ai réussi puisque les nouveaux contrats proposés par l'entreprise sont certes moins bons que les précédents, mais ils sont meilleurs que ce que prévoit la convention nationale. Je n'avais pas les moyens de m'opposer, par exemple, au passage aux 43 heures, ni à la suppression de certains suppléments de salaire.

Mais les travailleurs ne veulent pas voir leurs conditions de travail revues à la baisse. Pouvez-vous le comprendre?
Il sera toujours possible ces prochaines années d'améliorer les conditions de travail. Mais les employés savent bien qu'il n'est pas certain que le marché de la viande ait besoin d'une usine à Genève. La population genevoise qui va acheter sa viande en France ne milite pas en ce sens.

Vous ne pensez pas que votre association devrait se retirer de cette usine?
La direction ne veut plus signer avec Unia et le SIT. Si nous nous retirons, c'est la convention nationale, je le répète, qui s'appliquera et les travailleurs perdront davantage. Donc, j'invite les syndicats Unia et SIT à discuter avec nous, plutôt qu'à chercher à nous écarter.

Propos recueillis par SB


Unia réplique

«Si Monsieur Rossetti avait pris la peine de se déplacer à Genève pour assister à la grève, il se serait aperçu de son impopularité et de la détermination des travailleurs à refuser les contrats qu'il a négociés, seul, avec la direction.» Et Ana-Bel Martinez de poursuivre: «Unia et le SIT ont plus de 80% des employés de la production derrière eux, plusieurs pétitions l'attestent. Et comme Monsieur Rossetti reconnaît, enfin, que sa convention nationale est très mauvaise, il ne lui reste plus qu'à accepter de nous inviter autour de la table des négociations pour l'améliorer, plutôt que nous donner des leçons de syndicalisme.»

SB