L'égalité, encore un bout de chemin...
Mardi 06 mars 2007
Retour sur la Loi sur l'égalité à l'occasion de la Journée internationale des femmes
Après 11 ans d'existence, la Loi sur l'égalité en est encore à ses balbutiements en matière de résultats concrets, bien que des femmes courageuses se soient lancées dans l'aventure pour faire respecter leurs droits. Mais la loi n'est pas que l'affaire des travailleuses discriminées, les syndicats doivent utiliser davantage leur droit d'agir.
Demain, lors de la Journée internationale des femmes du 8 mars, le Conseil national discutera d'une bonne vingtaine de motions, postulats ou interpellations de parlementaires socialistes visant à renforcer la Loi sur l'égalité (LEg) et son application. Certains de ces objets ont été déposés le 8 mars 2006 pour marquer les 10 ans de la LEg et le fait que l'égalité entre hommes et femmes est encore loin d'être réalisée. En témoignent les salaires des femmes qui restent en moyenne de 20% inférieurs à ceux des hommes. Mais l'inégalité touche de nombreux autres aspects de la vie des salariées, comme la discrimination à la promotion, à la formation ou le harcèlement sexuel couvert lui aussi par la loi.
L'occasion de revenir sur cette jeune loi avec Me Catherine Jaccottet Tissot, avocate à Lausanne, qui s'est occupée de nombreux dossiers en matière d'égalité. Me Catherine Jaccottet Tissot est spécialisée en droit de la famille, du travail et de l'égalité.
Quel est le but principal de la LEg?
Il faut rappeler que la LEg s'applique aux relations de travail et ne concerne pas les cas de discrimination qui surviendraient dans d'autres domaines de la vie. Elle interdit toute discrimination basée sur le sexe, qu'elle soit directe ou indirecte.
Pouvez-vous préciser ce que sont les discriminations directes et indirectes?
A la fin des années 70, il existait dans certaines CCT des échelles salariales différentes entre travailleuses et travailleurs. C'était de la discrimination directe.
La discrimination indirecte peut être plus ou moins flagrante. Par exemple, lorsque des catégories salariales sont plus élevées pour un travailleur engagé sur une grosse machine que pour celui qui travaille avec une petite machine, alors qu'en pratique, ce sont les femmes qui travaillent sur les petites machines. C'est une discrimination tellement flagrante qu'elle se rapproche de la discrimination directe.
Il y a des discriminations indirectes plus subtiles et dangereuses, qui relèvent aussi de la culture et de la mentalité. Par exemple, les formations en cours d'emploi ou les possibilités de promotion réservées aux personnes à plein temps, alors que l'on sait que la majorité des personnes à temps partiel sont des femmes.
Une autre discrimination encore plus subtile est la détermination de la valeur du travail. Une femme ne doit pas prouver qu'elle fait le même travail qu'un homme mais que son travail a la même valeur que celui de son collègue. Or les critères d'appréciation de la valeur du travail peuvent être sexistes. C'est le cas par exemple, lorsqu'une entreprise applique une classification où elle valorise l'aptitude au commandement, qui s'acquière au service militaire et est typiquement masculine, plutôt que la qualité d'écoute, d'empathie, spécifiquement féminine.
Dans un cas comme celui-ci, peut-on saisir un tribunal?
Si l'entreprise dispose d'un service de ressources humaines digne de ce nom, il vaut mieux d'abord essayer de régler la question à l'interne, car une telle démarche n'implique pas que l'on perde son poste. Mais souvent les femmes n'agissent que lorsque leur contrat est résilié.
La LEg les protège pourtant contre le licenciement...
Il existe en effet une disposition protectrice. On ne peut pas licencier une personne qui demande de faire valoir ses droits, que ce soit au sein de l'entreprise, par une procédure de conciliation ou l'introduction d'une action en justice. La personne est protégée durant la durée de ces démarches et 6 mois après leur clôture ou la fin d'un procès. Contrairement aux dispositions du CO en cas de congé abusif, un congé donné durant une procédure selon la LEg est annulable. Un juge peut ordonner, durant la procédure, la réintégration de la travailleuse, pour autant qu'elle le saisisse pendant le délai de congé.
Une des propositions discutées demain au Conseil national est de doter la LEg d'une autorité permettant d'intervenir en matière d'égalité...
La Loi sur le travail a des inspecteurs du travail; on pourrait imaginer un service de l'Etat chargé de vérifier tel ou tel point en matière d'égalité. Car le poids de faire respecter cette législation ne peut pas reposer sur les épaules des seules travailleuses lésées. Les procès en égalité salariale sont de gros procès, à chaque étape, on s'achoppe, c'est très lourd. Heureusement, il y a l'allègement du fardeau de la preuve. Il faut rendre vraisemblable la discrimination, mais la vraisemblance elle-même est une appréciation.
L'action des syndicats est nécessaire!
Pour Me Catherine Jaccottet Tissot, les syndicats et associations devraient intervenir plus souvent en matière d'égalité
La LEg contient une disposition dont vous estimez qu'elle n'est pas assez utilisée. C'est la possibilité, pour les syndicats et pour les organisations qui ont pour but de promouvoir l'égalité entre hommes et femmes, d'agir pour faire constater une discrimination...
En effet, cette disposition est trop souvent mise de côté parce que la qualité pour agir est possible si l'organisation rend vraisemblable que l'issue du procès affectera «un nombre considérable de rapports de travail».
Je me suis occupée d'une jeune femme à qui l'on avait annoncé une promotion. Par souci de transparence, elle avait dit que, vu qu'elle était enceinte, elle souhaitait prendre le week-end pour réfléchir. Le lundi suivant, une autre personne avait été promue à sa place. Ce type de discrimination était susceptible d'affecter différents rapports de travail. J'ai agi au nom d'une organisation. La partie adverse l'a contesté mais le Tribunal de prud'hommes de Lausanne a accepté, dans un jugement intermédiaire, que cette organisation ait la qualité pour agir.
C'est important car cela signifie que c'est la nature d'une discrimination qui permet de dire s'il est vraisemblable qu'un nombre considérable de rapports de travail est touché. Ce jugement nous est utile aujourd'hui dans d'autres procédures.
Et dans ce cas, nous avons obtenu gain de cause. La personne a eu un salaire équivalent à celui qu'elle aurait dû toucher si elle avait été promue.
Lorsqu'une entreprise refuse à une jeune femme en âge de procréer des cours lui permettant une future promotion, le syndicat peut-il agir?
Il s'agit là d'une claire discrimination. Et c'est surtout à l'intersection des vies familiales et professionnelles que les femmes sont le plus sujettes à être discriminées. Dans le cas de cette entreprise, si le syndicat a le sentiment que les jeunes femmes sont exclues d'un plan de carrière, il peut intenter une action en constatation. Pour le rendre vraisemblable, il peut demander à l'entreprise de produire les statistiques des personnes de 18 à 30 ans qui ont ou non suivi un programme de formation et qui ont été promues.
Quels conseils pourriez-vous donner aux syndicalistes?
Lors de chaque conflit individuel, il faudrait qu'ils se demandent s'ils ont l'impression qu'il s'agit d'une discrimination structurelle, due au mode de fonctionnement de l'entreprise et non au parcours de la travailleuse. Et réfléchir sur la base de cet article 7 de la LEg. Le syndicat peut faire constater l'existence de la discrimination par un tribunal. Ensuite, sur la base de ce constat, des demandes individuelles peuvent être faites, ou le syndicat peut entreprendre un processus de négociation collective.
La personne qui dénonce une discrimination sera-t-elle citée si le syndicat intervient?
Pas nécessairement. Dans le cas de la femme enceinte que j'ai évoqué, il est clair que le patron savait de qui il s'agissait. Mais pour elle, c'était beaucoup plus léger, elle n'avait pas besoin d'être présente aux audiences. Cette présence est très difficile à vivre. On ne peut pas lancer des personnes fragilisées dans des affaires pareilles, cela peut provoquer beaucoup de dégâts.
Propos recueillis par Sylviane Herranz
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Pour en savoir plus sur la Loi sur l'égalité et les principaux jugements rendus: www.leg.ch
Demain, lors de la Journée internationale des femmes du 8 mars, le Conseil national discutera d'une bonne vingtaine de motions, postulats ou interpellations de parlementaires socialistes visant à renforcer la Loi sur l'égalité (LEg) et son application. Certains de ces objets ont été déposés le 8 mars 2006 pour marquer les 10 ans de la LEg et le fait que l'égalité entre hommes et femmes est encore loin d'être réalisée. En témoignent les salaires des femmes qui restent en moyenne de 20% inférieurs à ceux des hommes. Mais l'inégalité touche de nombreux autres aspects de la vie des salariées, comme la discrimination à la promotion, à la formation ou le harcèlement sexuel couvert lui aussi par la loi.
L'occasion de revenir sur cette jeune loi avec Me Catherine Jaccottet Tissot, avocate à Lausanne, qui s'est occupée de nombreux dossiers en matière d'égalité. Me Catherine Jaccottet Tissot est spécialisée en droit de la famille, du travail et de l'égalité.
Quel est le but principal de la LEg?
Il faut rappeler que la LEg s'applique aux relations de travail et ne concerne pas les cas de discrimination qui surviendraient dans d'autres domaines de la vie. Elle interdit toute discrimination basée sur le sexe, qu'elle soit directe ou indirecte.
Pouvez-vous préciser ce que sont les discriminations directes et indirectes?
A la fin des années 70, il existait dans certaines CCT des échelles salariales différentes entre travailleuses et travailleurs. C'était de la discrimination directe.
La discrimination indirecte peut être plus ou moins flagrante. Par exemple, lorsque des catégories salariales sont plus élevées pour un travailleur engagé sur une grosse machine que pour celui qui travaille avec une petite machine, alors qu'en pratique, ce sont les femmes qui travaillent sur les petites machines. C'est une discrimination tellement flagrante qu'elle se rapproche de la discrimination directe.
Il y a des discriminations indirectes plus subtiles et dangereuses, qui relèvent aussi de la culture et de la mentalité. Par exemple, les formations en cours d'emploi ou les possibilités de promotion réservées aux personnes à plein temps, alors que l'on sait que la majorité des personnes à temps partiel sont des femmes.
Une autre discrimination encore plus subtile est la détermination de la valeur du travail. Une femme ne doit pas prouver qu'elle fait le même travail qu'un homme mais que son travail a la même valeur que celui de son collègue. Or les critères d'appréciation de la valeur du travail peuvent être sexistes. C'est le cas par exemple, lorsqu'une entreprise applique une classification où elle valorise l'aptitude au commandement, qui s'acquière au service militaire et est typiquement masculine, plutôt que la qualité d'écoute, d'empathie, spécifiquement féminine.
Dans un cas comme celui-ci, peut-on saisir un tribunal?
Si l'entreprise dispose d'un service de ressources humaines digne de ce nom, il vaut mieux d'abord essayer de régler la question à l'interne, car une telle démarche n'implique pas que l'on perde son poste. Mais souvent les femmes n'agissent que lorsque leur contrat est résilié.
La LEg les protège pourtant contre le licenciement...
Il existe en effet une disposition protectrice. On ne peut pas licencier une personne qui demande de faire valoir ses droits, que ce soit au sein de l'entreprise, par une procédure de conciliation ou l'introduction d'une action en justice. La personne est protégée durant la durée de ces démarches et 6 mois après leur clôture ou la fin d'un procès. Contrairement aux dispositions du CO en cas de congé abusif, un congé donné durant une procédure selon la LEg est annulable. Un juge peut ordonner, durant la procédure, la réintégration de la travailleuse, pour autant qu'elle le saisisse pendant le délai de congé.
Une des propositions discutées demain au Conseil national est de doter la LEg d'une autorité permettant d'intervenir en matière d'égalité...
La Loi sur le travail a des inspecteurs du travail; on pourrait imaginer un service de l'Etat chargé de vérifier tel ou tel point en matière d'égalité. Car le poids de faire respecter cette législation ne peut pas reposer sur les épaules des seules travailleuses lésées. Les procès en égalité salariale sont de gros procès, à chaque étape, on s'achoppe, c'est très lourd. Heureusement, il y a l'allègement du fardeau de la preuve. Il faut rendre vraisemblable la discrimination, mais la vraisemblance elle-même est une appréciation.
L'action des syndicats est nécessaire!
Pour Me Catherine Jaccottet Tissot, les syndicats et associations devraient intervenir plus souvent en matière d'égalité
La LEg contient une disposition dont vous estimez qu'elle n'est pas assez utilisée. C'est la possibilité, pour les syndicats et pour les organisations qui ont pour but de promouvoir l'égalité entre hommes et femmes, d'agir pour faire constater une discrimination...
En effet, cette disposition est trop souvent mise de côté parce que la qualité pour agir est possible si l'organisation rend vraisemblable que l'issue du procès affectera «un nombre considérable de rapports de travail».
Je me suis occupée d'une jeune femme à qui l'on avait annoncé une promotion. Par souci de transparence, elle avait dit que, vu qu'elle était enceinte, elle souhaitait prendre le week-end pour réfléchir. Le lundi suivant, une autre personne avait été promue à sa place. Ce type de discrimination était susceptible d'affecter différents rapports de travail. J'ai agi au nom d'une organisation. La partie adverse l'a contesté mais le Tribunal de prud'hommes de Lausanne a accepté, dans un jugement intermédiaire, que cette organisation ait la qualité pour agir.
C'est important car cela signifie que c'est la nature d'une discrimination qui permet de dire s'il est vraisemblable qu'un nombre considérable de rapports de travail est touché. Ce jugement nous est utile aujourd'hui dans d'autres procédures.
Et dans ce cas, nous avons obtenu gain de cause. La personne a eu un salaire équivalent à celui qu'elle aurait dû toucher si elle avait été promue.
Lorsqu'une entreprise refuse à une jeune femme en âge de procréer des cours lui permettant une future promotion, le syndicat peut-il agir?
Il s'agit là d'une claire discrimination. Et c'est surtout à l'intersection des vies familiales et professionnelles que les femmes sont le plus sujettes à être discriminées. Dans le cas de cette entreprise, si le syndicat a le sentiment que les jeunes femmes sont exclues d'un plan de carrière, il peut intenter une action en constatation. Pour le rendre vraisemblable, il peut demander à l'entreprise de produire les statistiques des personnes de 18 à 30 ans qui ont ou non suivi un programme de formation et qui ont été promues.
Quels conseils pourriez-vous donner aux syndicalistes?
Lors de chaque conflit individuel, il faudrait qu'ils se demandent s'ils ont l'impression qu'il s'agit d'une discrimination structurelle, due au mode de fonctionnement de l'entreprise et non au parcours de la travailleuse. Et réfléchir sur la base de cet article 7 de la LEg. Le syndicat peut faire constater l'existence de la discrimination par un tribunal. Ensuite, sur la base de ce constat, des demandes individuelles peuvent être faites, ou le syndicat peut entreprendre un processus de négociation collective.
La personne qui dénonce une discrimination sera-t-elle citée si le syndicat intervient?
Pas nécessairement. Dans le cas de la femme enceinte que j'ai évoqué, il est clair que le patron savait de qui il s'agissait. Mais pour elle, c'était beaucoup plus léger, elle n'avait pas besoin d'être présente aux audiences. Cette présence est très difficile à vivre. On ne peut pas lancer des personnes fragilisées dans des affaires pareilles, cela peut provoquer beaucoup de dégâts.
Propos recueillis par Sylviane Herranz
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Pour en savoir plus sur la Loi sur l'égalité et les principaux jugements rendus: www.leg.ch