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Lip, une mise à mort politique

Lip, l’usine de Palente occupée, juin 1973.
©DR

Lip, l’usine de Palente occupée, juin 1973.

La faillite de l’usine horlogère Lip, à Besançon, a été une mise à mort politique, déclenchée par l’Etat et par la fraction dominante du patronat, le tout s’inscrivant dans un tournant néolibéral et dans la montée du giscardisme

Qui ne se souvient pas du fameux slogan des ouvriers de Lip, en 1973: «On produit, on vend, on se paie.» Leur grève entrera dans l’histoire comme l’une des plus importantes du XXe siècle, un conflit au retentissement mondial. Beaucoup y voyaient la mise en œuvre concrète de l’autogestion, l’une des idées phares de Mai 68. L’expérience devient un mythe et elle est soutenue par un gigantesque mouvement de solidarité internationale. Le 29 septembre 1973, 100000 personnes défileront dans les rues de Besançon.

De la victoire à la faillite

En mars 1974, au terme d’un long conflit, l’entreprise horlogère redémarre, relancée par un consortium d’actionnaires, soutenu par l’Etat et emmené par Antoine Riboud, PDG du groupe alimentaire BSN-Danone (aujourd’hui décédé), chantre de la semaine de 32 heures et proche de François Mitterrand. Les licenciements sont évités, les travailleurs crient victoire. Mais deux ans plus tard, c’est la faillite. Ceux qui avaient relancé Lip accusent Claude Neuschwander, qu’ils avaient placé à la tête de l’entreprise, d’en être le principal responsable.

Un patron atypique

Plus de quarante ans après, Claude Neuschwander a pris la plume pour contester cette version des faits. Avec Guillaume Gourgues, chercheur en science politique, ils ont publié l’année dernière Pourquoi ont-ils tué Lip? De la victoire ouvrière au tournant néolibéral. Les deux hommes y retracent cet épisode essentiel de l’histoire du capitalisme français qu’a été la relance de Lip. A ce stade, il n’est pas inutile de préciser que Claude Neuschwander fut un patron atypique. Doté d'une forte sensibilité de gauche, Claude Neuschwander s'engage à 20 ans à L’Union nationale des étudiants de France, puis adhère à la CFDT, rejoint le Parti socialiste unifié (PSU) et entre au PS au lendemain de son renvoi de Lip. Ce parcours explique en partie pourquoi Claude Neuschwander s’était retrouvé à la tête de Lip.

L’économie est politique

L’ouvrage de Claude Neuschwander et de Guillaume Gourgues rappelle fort à propos que l’économie se fonde largement sur des choix politiques et que les licenciements n’ont pas toujours été considérés comme inévitables ou nécessaires à la compétitivité des entreprises. Au-delà des arguments industriels et commerciaux, Claude Neuschwander estime que «les tensions au sein du gouvernement, l’impact militant et syndical de la lutte des travailleurs font de Lip une affaire spécifiquement, fondamentalement politique». Avant d’ajouter: «Les actionnaires de Lip ont bel et bien souhaité sa mort, en choisissant délibérément de ne plus financer sa relance, avant et après mon départ.» L’aspect politique du choix est d’autant plus évident que «la situation économique de l’entreprise pouvait être redressée».

Le patronat et Giscard contre Lip

Selon le cabinet d’expertise Syndex, le désengagement des actionnaires (dont les Suisses d’Ebauches SA, qui détenaient le tiers du capital-actions) reflète «une volonté partagée par le patronat horloger et le gouvernement de mettre un terme à la relance». Du côté du patronat, on n’apprécie guère que la relance ait été conduite par des employeurs étrangers à l’horlogerie! De plus, Antoine Riboud finira par lâcher Claude Neuschwander. L’attitude du gouvernement va largement cautionner l’abandon de Lip, d’autant plus que l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en mai 1974 a profondément bouleversé les équilibres au sein de la droite française et de l’administration. Fondamentalement, Lip est un symbole et la droite libérale ne veut plus que la branche «sociale» du patronat maintienne son expérience. Claude Neuschwander se fait encore plus précis: «La crainte de l’aile libérale de la droite française d’une alliance des gaullistes de gauche avec “la fraction la plus dynamique du patronat” avait également suscité une grande méfiance lors du redémarrage de Lip.»

Un monde où tout se vend

Cette vision est partagée par Charles Piaget, l’une des figures emblématiques du combat de Lip et qui signe l’avant-propos du livre: «Ce livre montre le réel enjeu, derrière les luttes de façade: l’acceptation ou le refus des licenciements comme variable d’ajustement de l’économie de marché, dans ce monde où sont à vendre, au plus offrant, des entreprises, des murs, des machines et des salaires.»

couverture du livre.

 

 

 

 

 

 

Pourquoi ont-ils tué Lip? De la victoire ouvrière au tournant néolibéral, Raisons d’agir, Paris, 2018.

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