Le syndicaliste et journaliste Jean-Claude Rennwald, qui publie un ouvrage sur les relations entre la Suisse et l’UE, met en garde contre les conséquences de l’initiative de résiliation de l’UDC
Le 27 septembre prochain, le peuple est appelé à se prononcer sur l’initiative de l’UDC «Pour une immigration modérée», qui propose d’abroger l’accord de libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne (UE) dans les douze mois suivant le vote et de ne plus conclure de traités à l’avenir accordant un tel régime. Cette initiative, dite de limitation par ses auteurs – qu’on qualifiera plus justement d’initiative de résiliation –, mettrait à mal nos rapports avec l’UE, met en garde le syndicaliste et ancien conseiller national jurassien Jean-Claude Rennwald, par ailleurs fondateur et ancien président de L’Evénement syndical. Il publie, à la veille de cette votation cruciale pour l’avenir de notre pays, Suisse – Europe, la séparation après un flirt? Sous la forme de questions-réponses agréables à lire, le journaliste et politologue présente un état de nos relations avec Bruxelles avant d’aborder, dans une perspective progressiste, les enjeux politiques qui étreignent le Vieux-Continent. Interview.
Pour quelles raisons une acceptation de l’initiative de l’UDC le 27 septembre vous semble-t-elle dangereuse?
Cela poserait des problèmes assez sérieux en matière de recrutement de main-d’œuvre et d’accès au marché européen pour les industries d’exportation, comme l’horlogerie, les machines, la chimie ou la pharma. Si l’accord sur la libre circulation des personnes devait être annulé, tomberait avec lui un autre accord bilatéral, celui sur les obstacles aux commerces, entraînant des charges supplémentaires, énormes pour les entreprises, qui chercheraient sans doute à les compenser en mettant la pression sur les salaires et les prestations sociales. Cette initiative représente aussi une menace pour les mesures d’accompagnement. A quoi s’ajoute le fait qu’on en reviendrait au système des contingents, qui permettrait notamment la réintroduction de l’abominable statut de saisonnier.
Est-il vraiment certain que la clause guillotine serait appliquée et que les autres accords tomberont?
Je pense que c’est quasi certain. La libre circulation est un des piliers de l’UE. Et cette dernière ne voudra pas créer un précédent en donnant cette possibilité à la Suisse parce que d’autres pays membres de l’UE ou de l’Espace économique européen pourraient faire valoir la même revendication.
Et qu’en est-il des mesures d’accompagnement, sont-elles réellement menacées?
Il y a deux niveaux de menace. Le premier concerne les mesures de protection face au travail détaché, qui tomberaient juridiquement. Et puis d’autres mesures, telle que la facilitation de l’extension des conventions collectives, qui ne tomberaient peut-être pas juridiquement, mais politiquement. On peut imaginer que, si les initiants gagnaient, ils mèneraient une offensive contre ces mesures. Il faut d’ailleurs rappeler à ce propos que l’UDC, qui se prévaut de défendre les petits, a combattu au Parlement toutes les mesures d’accompagnement qui ont été mises sur pied depuis la fin des années 1990. Lesdites mesures ont réduit l’écart salarial entre frontaliers et salariés établis en Suisse, ainsi que contribué à faire passer le nombre de travailleurs soumis à une convention collective de travail de 1,4 million en 2003 à 2 millions en 2016.
Mais faut-il encore un accord-cadre, dont la conclusion dépendra de ce vote, est-ce vraiment nécessaire?
Le problème, c’est que, chaque fois qu’un accord entre la Suisse et l’UE est modifié ou qu’un accord est remanié pour les autres pays de l’UE, il faut engager toute une négociation pour chaque cas et l’UE ne supporte plus trop ce système. A quoi s’ajoute le fait que l’UE veut introduire une clause qui permettrait à une instance européenne de trancher les différends, ce qui pose, selon la définition de cette instance, un certain nombre de problèmes à la Suisse. Autre point problématique, la question du délai d’annonce de huit jours des travailleurs détachés qui n’existe pas du tout sur le plan européen. Le mouvement syndical suisse refuse que soit supprimée cette clause et même que le délai soit, comme il a été proposé, réduit à quatre jours. Il est intéressant de souligner que la plupart des syndicats européens soutiennent la position du mouvement syndical suisse, ce qui montre que l’on ne se situe pas dans une logique nationaliste, mais bien dans une logique sociale. On peut les comprendre: si les syndicats suisses cédaient, cela pourrait avoir un effet boomerang pour certaines clauses sociales en vigueur dans les différents pays de l’UE.
D’autres sujets de l’accord institutionnel posent-ils problème?
Il y a effectivement d’autres sujets de conflit entre la Suisse et l’UE. L’un d’eux est le problème des aides publiques à l’économie et aux services publics. L’UE demande que ces différentes aides ne faussent pas le jeu de la libre concurrence. Les deux parties sont plus ou moins d’accord sur le principe, en revanche, c’est au niveau des détails que cela pose encore des problèmes dans la négociation. Les cantons craignent notamment que Bruxelles n’accepte plus les garanties accordées aux banques cantonales, de même que les contributions aux compagnies d’électricité ou d’autres entreprises au service de la collectivité. Il y a une autre pierre d’achoppement, c’est la directive sur la citoyenneté européenne. L’UE aimerait que la Suisse la reprenne. Dans cette perspective, les Européens qui s’établissent en Suisse auraient accès plus facilement à notre système social. Mais je pense que tant ce point-là que celui des aides d’Etat devraient déboucher relativement facilement sur des solutions, contrairement sans doute à la question des mesures d’accompagnement.