«Les territoires suisses d’outre-mer»
L’ONG Public Eye publie une étude sur des multinationales suisses qui colonisent des terres agricoles au mépris des droits humains et écologiques
On savait que la Suisse était la première place mondiale du commerce de matières premières agricoles: plus de 50% des céréales et des oléagineux (soja), 40% du sucre, 30% du café et du cacao et 25% du coton négociés dans le monde le sont par des sociétés établies ici. On sait moins, par contre, que certaines multinationales ayant leur siège ou une filiale en Suisse ne s’occupent pas seulement du commerce dit «de transit», mais contrôlent pour certaines jusqu’aux terres. Selon les recherches (non exhaustives) de Public Eye, elles sont propriétaires, ou au bénéfice d’un droit d’usage ou d’un bail à long terme, de plus de 550 plantations dans 24 pays. Soit 2,7 millions d’hectares, bien plus que la surface agricole helvétique, ou encore 50 fois le lac de Constance.
Sur une carte interactive, des milliers de petits drapeaux rouges à croix blanche pointent les terrains agricoles «colonisés» par ces multinationales. L’image illustre une enquête baptisée «Les territoires suisses d’outre-mer» menée avec l’organisation néerlandaise Profundo ainsi que d’autres associations partenaires dans les pays producteurs. Public Eye reste prudente en indiquant que les ventes et les rachats étant fréquents, cette carte doit être considérée comme un instantané. Mais les problèmes, eux, n’en finissent pas: expulsions, déforestation, violations du droit du travail et des droits humains sont générés par des plantations de canne à sucre, de palmiers à huile, de café et de caoutchoutiers aux mains de géants agricoles présents en Suisse. Les exemples ne manquent pas, que ce soit à Bornéo, au Laos, au Brésil, au Gabon, en Tanzanie, au Honduras, en Ouganda…
Secteur à réglementer
Public Eye demande donc une réglementation de ce secteur opaque, dont font partie Cargill, Socfin, Chiquita, Olam, Neumann Kaffee Gruppe, Biosev, pour n’en citer que quelques-uns. Car ce n’est pas le contre-projet à l’initiative pour des multinationales responsables qui y changera quoi que ce soit, tant les mesures prévues sont faibles. L’ONG souligne sur son site: «Si la Suisse officielle prenait réellement à cœur le respect des êtres humains et de l’environnement à travers le monde, il serait urgent qu’elle prenne des mesures semblables à celles de l’Union européenne. Pour l’instant, elle n’a pas vraiment l’air de s’en soucier. La nécessité d’instaurer une autorité de surveillance du secteur des matières premières, comme Public Eye le demande depuis longtemps, est plus urgente que jamais.»