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«Deux ans pour agir»

Des enfants en tête de cortège.
© Olivier Vogelsang

Des enfants en tête de cortège, pour dire leurs craintes face à l’évolution du climat et demander aux décideurs du pays d’agir.

Plus de 2000 personnes ont manifesté pour le climat à Lausanne samedi passé. Une fois n’est pas coutume, des enfants étaient au cœur et en tête du cortège

Samedi 3 septembre, c’est une foule colorée et bigarrée, de tous âges, qui défile à Lausanne. Plus de 2000 personnes ont répondu à l’appel du collectif XR Familles, un groupe faisant partie d’Extinction Rebellion. En tête, des enfants tiennent banderole, drapeaux et mégaphone. Leurs voix résonnent: «On est plus chaud, plus chaud que le climat!» Derrière, des parents, des grands-parents, et des jeunes scandant: «Et on transpire, transpire, autant que les glaciers!»

Si l’ambiance est bon enfant, le message est grave. La faiblesse des plans climat est dénoncée, les responsables politiques et économiques pointés du doigt. Plusieurs fois, les manifestants lèvent les bras, montrant leurs paumes sur lesquelles des yeux ont été peints, pour dire aux décideurs: «Nous vous regardons!» Et d’exiger d’eux des actions véritables contre le dérèglement climatique et la perte de la biodiversité, à la hauteur de l’urgence.

Devant la banque UBS, des enfants se couchent par terre durant une minute de silence pour symboliser les morts d’aujourd’hui et de demain. Un instant lourd de sens, qui laisse sans voix. Puis, quelques pas plus loin, des doudous, tels des projectiles, sont lancés contre la succursale de Credit Suisse. «A elles seules, ces deux banques polluent davantage que tous les habitants de la Suisse», dénonce Micaël, membre de XR Familles. Entre deux, des concerts sont improvisés; un clown danse. La tristesse et la colère font place à la légèreté et à la joie.

Entre anxiété et espoir

A la fin du cortège, sur la place de la Riponne, des mamans prennent la parole, partagent leur anxiété, dénoncent le déni général face à la catastrophe en cours. Et se déclarent prêtes à se battre. Jeanne appelle à une transformation profonde de nos modes de vie: «Le système que nous connaissons s’autodétruit. Il n’est pas viable. Nous souhaitons pour les enfants un monde où le vivant est respecté. Où l’être humain n’est plus au centre de son environnement, mais en fait partie!» Sarah lâche: «L’été que nous venons de vivre a été le plus chaud que nous ayons connu, et pourtant le plus frais de ceux qui nous attendent!» Et Myriam de lancer, au bord des larmes: «Je demande aux autorités de se bouger!»

Plusieurs organisations et des experts prennent également le micro. Julia Steinberger, auteure principale du 3e groupe de travail du GIEC, affirme que le temps des rapports est révolu. Elle en appelle à l’action directe non violente, à l’image des futures actions de blocage prévues par le collectif Renovate Switzerland. «L’échec n’est pas une possibilité. Nous avons tous les moyens politiques, économiques et technologiques nécessaires. On va y arriver ensemble!»

Valérie D’Acremont, professeure et médecin en santé globale, souligne les risques pour la santé que représente notamment l’exploitation effrénée des ressources, surtout pour les populations les plus pauvres. «Et tout ça pour produire des objets et des gadgets qui ne nous rendent pas heureux!» Elle s’insurge aussi contre la politique de santé de la Suisse, la plus énergivore du monde. «Car notre médecine mise sur la technologie à outrance au lieu de privilégier la prévention et l’humain.»

Entre autres interventions, citons encore celle d’Alain Frei, des Grands-parents pour le climat, qui en appelle à ne pas céder à l’éco-anxiété: «On est dans la merde! Mais on se retrousse les manches!» Et celle de Virginie, du mouvement Ag!ssons: «Nous ne laisserons pas transformer notre colère en torpeur!» Contre le mur du palais de Rumine, derrière les orateurs et une cinquantaine d’enfants assis, une banderole rappelle l’extrême urgence: «Extinction de l’espèce humaine: selon le GIEC, il nous reste 2 ans pour agir ou nos enfants la connaîtront.» Deux ans.

Enfants couchés au sol devant UBS.
Minute de silence et action symbolique devant l’UBS. Le Credit Suisse sera fustigé peu après. A elles deux, ces banques polluent davantage que tous les habitants de la Suisse selon XR Familles. © Olivier Vogelsang

 

«Les enfants, les premiers concernés»

Quelques jours avant la manifestation, l’une des coorganisatrices, Jeanne Durussel, infirmière et animatrice théâtrale à Morges, mère de deux enfants de 5 et 8 ans, explique les motivations du groupe XR Familles.


Comment est né le groupe XR Familles?

C’était en été 2021. Nous étions plusieurs militants – pour ma part à Doctors for XR – à souhaiter allier vie familiale et vie militante, et ainsi à pouvoir inclure dans notre engagement nos enfants, les premiers concernés par les dérèglements climatiques. Depuis, les événements que nous proposons se veulent festifs et joyeux, comme lors de la «Kidical mass» à Lausanne ce printemps. C’est aussi un moyen de toucher différemment, de rendre à nouveau visible la problématique climatique. Car, après l’entrain suscité par les marches en 2019, le Covid a coupé l’herbe sous le pied des militants. Les mouvements ont de la peine à reprendre leur essor, à se faire entendre. Cette marche du 3 septembre est autorisée. Car nous voulions la rendre la plus accessible et intergénérationnelle possible.

Comment faire entendre la parole des enfants?

Nous avons opté pour des enregistrements diffusés lors de la manifestation. Beaucoup évoquent la perte de la biodiversité, les animaux qui disparaissent, certains la chaleur ressentie cet été, d’autres l’envie déjà d’offrir à leurs enfants un avenir… De manière générale, les membres de XR Familles se rencontrent pour des marches, mais aussi des moments conviviaux et des ateliers – notamment sur le «Travail qui relie» de Joanna Macy – avec l’espoir de créer des groupes résilients, respectueux du vivant, capables d’exprimer leurs émotions.

Votre manifeste, que l’on peut signer sur votre site, appelle à une transformation du système…

Notre texte se veut très global, le plus rassembleur possible. Nous demandons des assemblées citoyennes, parce que c’est le premier pas vers des décisions démocratiques. Nous exigeons que les plans climat actuellement élaborés soient à la hauteur des enjeux. Car, jusqu’à présent, leurs mesures sont bien trop faibles, l’aspect social souvent absent. Ce n’est pas forcément de la mauvaise volonté, mais une forme d’endormissement. Une société vert pâle où tout semble sous contrôle, alors que ce n’est pas du tout le cas. Les politiques comme les chefs d’entreprise se renvoient la balle. Si c’est à chacun de nous de prendre ses responsabilités, à son échelle, le gouvernement se doit de protéger et d’informer la population. Tout le monde est au clair que ça ne va pas, mais peu ont une conscience profonde des conséquences déjà là, sous nos yeux. Si seulement chacun pouvait se rendre compte que ce sont ses propres enfants qui vont souffrir des conséquences du réchauffement climatique…

Enfants durant la manifestation.
Une manifestation bigarrée et revendicative, entre moments graves et festifs, a parcouru les rues lausannoises. © Olivier Vogelsang

 

Témoignage

Au cœur de la manifestation Umâ, 10 ans, partage sa vision de l’avenir

«Il y a des motos volantes, des panneaux solaires, des animaux partout; il n’y a plus de cages, plus de cigarettes ni de bières, plus de pollution. J’ai une ferme. Il y a beaucoup plus d’enfants que d’adultes, comme ça il y a plus de personnes avec qui jouer. A l’école, il n’y a que des profs gentils. Il y a des bouteilles en verre qui pèsent le poids d’une plume; plus de bouteilles en plastoc qui traînent comme là-bas. Il pleut beaucoup plus. Les poubelles sentent la rose. On marche sur de l’herbe avec des chaussures spéciales. Dans les semelles, il y a des graines qui se répandent. Il n’y a plus d’avion. Tu prends le train. Il n’y a plus de gens méchants, plus de panneaux. On arrête de prendre les choses non réutilisables dans la terre. Les lampadaires sont en forme de cœur. Tous les murs sont recouverts de lierre, comme cette maison. Les sonnettes, ça fait un bruit d’oiseaux. Il n’y a plus de manif comme ça: si tu as une idée, ça se fait tout de suite. Il n’y a plus de tests à l’école. L’école est en forêt ou à la plage ou quelque part d’autre. Il y a des parcs partout, sans panneaux d’interdiction de chiens. Les chiens sont détachés, on arrête de penser qu’ils peuvent mordre. On ne mange plus de viande. Il n’y a plus de travaux et de barrières moches, plus de natels. Tout le monde reçoit une médaille aux Jeux olympiques. Il y a beaucoup plus d’arbres, de vert,… et de rouge et d’orange et de jaune et de violet. Les volets sont multicolores.»

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