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Personnel de maison: financièrement à l’aise, mais totalement soumis

Dans son ouvrage «Servir les riches», la sociologue Alizée Delpierre dresse un magnifique portrait du personnel de maison en France, généralement bien situé financièrement mais sous le joug de l'employeur

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En ouvrant le livre Servir les riches. Les domestiques chez les grandes fortunes, paru aux Editions La Découverte, j’étais certain d’entrer dans un monde de travailleuses et de travailleurs touchant des salaires de misère, même lorsqu’ils sont au service des bourgeois les plus fortunés.

Entre 2000 et 3500 euros…

Or, la réalité est bien différente. Dans ce livre fort bien documenté, qui est avant tout une brillante enquête de terrain, on apprend qu’il est courant que des employés de maison gagnent entre 2000 et 3500 euros (plus du double du SMIC et plus que le salaire médian établi à 2100 euros) par mois, qu’ils soient garde d’enfants, cuisinier, chauffeur, lingère et même bonne à tout faire. Certains touchent en outre des primes annuelles de plusieurs centaines d’euros, tout en étant généralement logés, nourris et blanchis. Alizée Delpierre mentionne aussi ce cas particulier – mais qui n’est pas unique –, soit celui d’une employée qui, plusieurs fois par mois, reçoit des vêtements et des accessoires dont sa patronne et sa fille, âgée de 21 ans, veulent se séparer.

… et parfois beaucoup plus

Mais certains, certes minoritaires, gagnent encore beaucoup plus. Dénommée Violette, une responsable de maison touche 5600 euros par mois, hors primes. Elle travaille en équipe avec une bonne à tout faire, une cuisinière et un chauffeur, qu’elle dirige. Violette espère pouvoir un jour devenir gouvernante, l’un des plus hauts postes dans la hiérarchie des domestiques. Mais le cas le plus spectaculaire est sans aucun doute celui de Marius, un immigré roumain pauvre arrivé en France à 18 ans. Après avoir travaillé durement sur des chantiers, il gagne aujourd’hui 12000 euros par mois, parfois jusqu’à 16000 euros avec les primes, comme assistant de son patron, riche PDG du CAC 40 (les quarante premières entreprises françaises cotées en Bourse), qu’il accompagne partout. Il organise tous ses déplacements, gère ses agendas professionnel et personnel et dirige toute une équipe de domestiques. Ce statut très élevé lui permet de plonger régulièrement dans l’océan Indien. Comme le montre cet exemple, beaucoup de domestiques «haut de gamme» sont au service de multimillionnaires et de milliardaires. Ceux-ci pratiquent une forme «d’exploitation dorée» qui peut faire rêver des femmes et des hommes qui y voient une réelle possibilité d’ascension sociale.

Privilège de classe

A l’inverse, pour les tenants des grandes fortunes, déléguer toutes les tâches jugées ingrates demeure essentiel pour consolider leur pouvoir et jouir à plein de leur capital. Ces personnes «sont prêtes à tout pour fidéliser leurs domestiques, précise Alizée Delpierre, et conserver ce privilège de classe. Cette vision a pour corollaire une domination totale sur le personnel de maison: conditions de travail jamais négociées et silence total sur celles-ci, flexibilité et horaires quasi illimités, investissement absolu qui baisse considérablement le coût réel du travail, adhésion aux valeurs des maîtres, vie personnelle presque inexistante. La situation est particulièrement pénible pour les femmes immigrées, qui ont le sentiment d’appartenir à un «monde invisible» et qui, chaque jour, servent les autres en restant dans l’ombre. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant d’apprendre que le nombre de domestiques syndiqués est quasi insignifiant…

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