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Gaza occupe les unis

Etudiants propalestiniens occupant l'Université de Lausanne
© François Graf / Strates

Des centaines d’étudiants et d’enseignants ont occupé pendant près de deux semaines le hall de Géopolis, le bâtiment de l’Université de Lausanne, multipliant assemblées, ateliers et conférences.

Le mouvement d’occupation des universités par solidarité avec le peuple palestinien s’est invité début mai en terre romande. Eclairage

Le mouvement d’occupation par solidarité avec Gaza et le peuple palestinien, qui agite les universités étasuniennes depuis le mois d’avril, a fini par s’inviter en Suisse. Partie de l’Université de Lausanne (UNIL) le 2 mai, la mobilisation des étudiants et des étudiantes s’est répandue comme une traînée de poudre sur les campus et dans les hautes écoles helvétiques. «C’était une bonne surprise, même si on pouvait s’y attendre au vu du contexte international et dans la mesure où les jeunes se mobilisent depuis des mois et participent aux grosses manifestations que nous connaissons en Suisse romande», commente Joseph Daher, chercheur et professeur invité à la Faculté des sciences politiques à l’UNIL.
Parmi les revendications, il y a, bien sûr, la condamnation de l’intervention militaire à Gaza, mais aussi l’accueil d’étudiants palestiniens ou encore la suspension de la collaboration avec les universités israéliennes. «Il s’agit d’un boycott académique visant les institutions et non les chercheurs, qui s’inscrit dans l’appel lancé par les universitaires palestiniens et s’inspire des actions pacifiques contre l’apartheid en Afrique du Sud. Il faut savoir que les universités israéliennes ne sont pas des lieux d’opposition. Au contraire, elles participent aux violations des droits humains contre les Palestiniens, notamment par des mesures discriminatoires à l’encontre des étudiants et des chercheurs, par une collaboration avec l’armée ou l’ouverture de campus dans les territoires occupés», explique ce fin connaisseur du Proche-Orient et militant de solidaritéS. Le mouvement d’occupation à l’UNIL a ainsi publié un rapport très documenté de trente pages sur cette question. «Ce boycott montre la volonté des étudiants de ne pas voir leur université complice d’institutions et d’un Etat qui violent les droits humains.»

Une «hyper bonne ambiance»
Si à l’UNIL, l’occupation s’est déroulée sans heurts, elle a pu être plus difficile, voire mouvementée ailleurs.
«La direction de l'Université de Fribourg a tout de suite fait appel aux forces de l’ordre. Sans pouvoir rester la nuit, ni déployer un drapeau ou un panneau, l’occupation est rendue compliquée», déplore ainsi Yvan Rime, représentant de la chimie au conseil de l’AGEF, l'association des étudiants. Ce militant socialiste se félicite tout de même qu’un texte «assez contraignant» ait été voté par l’assemblée de l’AGEF, «sur lequel la direction devra se positionner».
Le comité régional d’Unia Fribourg a décidé d’offrir son soutien aux étudiants. «La Cour internationale de justice des Nations Unies reconnaît un risque de génocide à Gaza, des étudiants s’engagent pour l’empêcher; en tant que syndicalistes, nous ne pouvons pas rester les bras croisés», indique le secrétaire régional François Clément. Ce soutien technique a essentiellement pris la forme de la mise à disposition d’un avocat, ce qui n’est pas inutile lorsqu’on mène une occupation.
Autre cas de figure à Genève. «C’était incroyable, tous les jours nous étions 200 à 300 et une petite centaine à dormir sur place. Nous avons organisé des projections de films, des lectures de poèmes, des chants et des repas, dans une hyper bonne ambiance», s’enthousiasme Alaa, l’une des porte-paroles de la Coordination étudiante Palestine-Université de Genève.

«C’est grave ce qu’on nous a fait subir»
L’occupation a été émaillée de quelques incidents. Des individus se sont rendus à plusieurs reprises sur place pour invectiver les étudiants et les menacer. «Ce sont des personnes issues de l’extérieur, des adultes, dont nous nous sommes rendu compte qu’ils étaient liés à l’extrême droite, qui sont venus nous déranger, tenter de nous intimider et nous faire passer pour antisémites, ce qui n’est pas notre combat, nous luttons contre le sionisme, le colonialisme et l’apartheid de l’Etat d’Israël», précise Alaa.
Pointant l’illicéité de la manifestation en dehors des heures d’ouverture de l’Université, la rectrice, Audrey Leuba, exigeait aussi le retrait d’une banderole proclamant «From the river to the sea, Palestine will be free»*, un slogan vu comme un appel à la destruction d’Israël. «L’expression, qui fait écho aux revendications de l’Organisation de libération de la Palestine des années 1960, promeut, pour la très grande majorité des soutiens de la cause palestinienne, une solution démocratique et inclusive, l’idée d’un Etat démocratique et laïc dans lequel populations juives et palestiniennes vivent ensemble sans aucune forme de discrimination ou de subordination», décrypte Joseph Daher.
Audrey Leuba a fait appel aux forces de l’ordre, qui, le 14 mai, ont délogé cinquante occupants aux premières heures du jour. «Les policiers nous ont d’abord dit qu’ils ne nous passeraient pas les menottes; puis, ils l’ont fait, mais comme ils en manquaient, ils nous ont menotté deux par deux. Nous sommes restés cinq heures en garde à vue où nous avons subi un interrogatoire», raconte Alaa. «C’est grave ce que notre rectorat nous a fait subir juste parce que nous exigeons l’arrêt d’un génocide et de la collaboration avec des universités complices.» Dans un communiqué, la Communauté genevoise d’action syndicale a condamné une «répression inacceptable» et la «dérive de judiciarisation des conflits sociaux dans laquelle cette évacuation s’inscrit».

«La lutte ne fait que commencer»
Quel bilan tirer du mouvement et quelles perspectives ouvre-t-il alors qu’un mandat d’arrêt vient d’être demandé par le Procureur de la Cour pénale internationale contre le Premier ministre Netanyahou et, par ailleurs, des dirigeants du Hamas? «Les étudiants ont augmenté la conscience sur la question palestinienne et quelques acquis ont été obtenus», note Joseph Daher. L’UNIL s’est ainsi engagée à évaluer les collaborations avec des instituts «en contexte de conflit armé» et à soutenir les chercheurs et les étudiants palestiniens. «Le plus important, c’est que cette occupation ouvre la voie à la construction d’un large mouvement en faveur de la cause palestinienne. Pour beaucoup, il s’agissait de la première occupation, l’offensive médiatique à leur égard a été violente et, dans certains cantons, ils ont été confrontés à la répression policière. Cette accumulation d’expériences sera précieuse pour l’avenir.»
«Nous ne nous avouons pas vaincus, souligne Alaa. On ne va pas s’arrêter, les quelques pas réalisés à l’UNIL nous poussent à rester actifs, nous allons réfléchir à de nouvelles formes de mobilisation, la lutte n’est pas finie, elle ne fait que commencer.»


* De la rivière (le Jourdain) à la mer (Méditerranée), la Palestine sera libre.

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