Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Plus de 25'000 voix s'élèvent à Berne pour réclamer des augmentations

La manifestation de l'USS a connu un succès qui laisse prévoir un automne chaud sur le front des négociations

Avec plus de 25'000 participants, la première manifestation nationale interprofessionnelle pour les augmentations de slaires et l'égalité salariale entre hommes et femmes a connu un succès qui a dépassé les espérances des organisateurs. Cette participation massive est révélatrice d'un ras-le-bol des travailleuses et travailleurs de ce pays. Ils ne veulent plus rester les parents pauvres d'une économie florissante dont ils sont les principaux artisans et dont seuls profitent les top managers et les actionnaires.


«Des augmentations pour tout le monde!», «Halte à la discrimination salariale entre hommes et femmes!», «Stop aux salaires de misère!», « La santé économique ne doit pas profiter qu'aux gros actionnaires» : les slogans et les discours qui animaient les rues de la capitale le samedi 23 septembre, resteront sans doute encore longtemps gravés dans les annales du syndicalisme suisse. Et cela pour deux raisons au moins. La première, c'est une présence massive des manifestants qui étaient plus de 25000 à se presser devant le Palais fédéral, à l'appel de l'Union syndicale suisse (USS). Un chiffre bien supérieur aux prévisions les plus optimistes des organisateurs. La deuxième, c'est que pour la première fois, les syndicats et les différentes branches ont réalisé l'unité derrière des revendications salariales. Maçon, hôtesses de l'air en tenue de travail, coiffeuses, cheminots, mécaniciens, informaticiennes, pharmaciens, horlogers, employés du secteur public: les représentants de tous les métiers, ou presque, ont en effet parlé d'une même voix, porté la même revendication: Plus 4% pour tout le monde mais encore davantage pour les femmes!»

Revendications justifiées et réalistes
Ces deux éléments - la participation massive et l'unité - sont la preuve que la question des hausses de salaires est une préoccupation majeure du monde du travail helvétique. «C'est maintenant et pas demain que nous devons obtenir des augmentations: hier les patrons n'ont rien accordé parce que la conjoncture était mauvaise et demain, ils ne voudront rien donner non plus parce que la conjoncture aura de nouveau ralenti» a lancé à la tribune, Andreas Rieger, candidat à la succession de Vasco Pedrina à la co-présidence du syndicat Unia. «Nous entendons constamment le même chant de lamentation. Les entrepreneurs de la construction, les hôteliers et certains autres patrons prétendent qu'il n'y a rien à distribuer. Les entreprises de la construction ont qualifié notre revendication justifiée (220 francs par mois) d'irréaliste et ont rompu les négociations. Si on les écoutait, il n'y aurait jamais d'augmentation de salaire». Au fil d'une croissance inégalée de l'économe suisse depuis l'année 2000, les bénéfices atteignent des sommets, la productivité est en hausse constante, les chiffres d'affaires grimpent. Mais qui en profite? Les cadres supérieurs des grandes sociétés, les barons de la finance et les top managers, comme par exemple celui de Nestlé, Peter Brabeck, dont le salaire a augmenté de 70% entre 2002 et 2005 et celui de l'UBS qui a grimpé de 90% dans la même période pour atteindre plus de 20 millions de francs. Le temps est venu de mettre un frein à ces rétributions scandaleuses et de distribuer équitablement les fruits d'une bonne conjoncture. «Pour justifier les salaires faramineux de leurs grands patrons, les banques et les grandes entreprises invoquent leurs prestations. Et qu'en est-il des nôtres? », s'interroge Vania Alleva, responsable du département «migration» d'Unia, laquelle a rappellé que ce boom économique et cette richesse sont le fruit du travail de toutes et de tous.

Femmes discriminées
Si l'inégalité est criante dans la répartition des richesses pour l'ensemble du monde du travail, elle l'est encore plus pour les femmes qui, 25 ans après l'inscription dans la constitution du principe d'un salaire égal pour un travail égal, continuent de subir une importante discrimination. «Le Conseil fédéral doit faire en sorte que les employeurs respectent la Loi sur l'égalité», a souligné, devant la foule, Danièle Lenzin, coprésidente du syndicat Comedia. Or, même dans le secteur public, «les différences salariales entre les femmes et les hommes varient entre 10% et 20%», a déploré Doris Schüepp, secrétaire générale du SSP.

Cette manifestation constitue un avertissement pour ceux qui s'imaginent que les travailleuses et les travailleurs de ce pays vont se contenter des miettes du boom économique. Sur le front des revendications salariales, l'automne s'annonce chaud. Premier exemple, les travailleurs de la construction annoncent une journée nationale d'action le 24 octobre prochain.

Pierre Noverraz



Paroles de manifestants
Pourquoi sont-ils et sont-elles venus manifester? Quelques réponses

Nicole, ouvrière responsable du contrôle. est là parce qu'elle tient à dénoncer «une grande injustice qui devrait disparaître mais qui devient de pire en pire». Elle déplore dans son usine un écart important entre les salaires des hommes et ceux des femmes. «En plus, nous devons travailler davantage et beaucoup mieux que les hommes pour mériter un poste à compétence où on gagne nettement moins qu'eux. Je sais, c'est partout comme cela, mais j'ai le sentiment que c'est encore pire dans les usines.» Sa collègue Maria, contrôleuse également, ajoute que «les ouvrières ont moins souvent de CFC que les hommes et le patron profite de cela pour nous sous-payer, même si souvent nous avons une expérience et des compétences qui dépassent celles d'un diplôme». Pour sa part, Natacha, employée de commerce, manifeste parce qu'elle est «choquée de voir que, malgré la loi, les discriminations de salaires pour les femmes continuent et la marche vers l'égalité fait bien peu de progrès». Jean-Marie, menuisier aluminium, déplore que «tous les prétextes sont bon pour refuser des augmentations». «J'étais imprimeur et on a longtemps eu la compensation automatique du renchérissement avant qu'on nous la supprime. En fait, depuis 15 ans, nos salaires sont en baisse, notre pouvoir d'achat diminue. Maintenant, je fais un nouveau métier qui n'a pas encore de CFC. Les employeurs jouent là-dessus pour nous payer comme des manœuvres et ils engagent de plus en plus de personnel temporaire, ce qui tire encore les salaires à la baisse.» Jose, maçon, est là «parce que on nous en demande toujours plus et on voudrait nous en donner de moins en moins alors que tout augmente». Son collègue Ferenc, ouvrier du bâtiment, est outré par le blocage de la Société suisse des entrepreneurs qui a rompu les négociations portant sur la nouvelle convention collective. «Ils ont le culot d'oser nous proposer des miettes alors qu'on travaille comme des fous sur les chantiers. C'est un vrai scandale et j'espère qu'ils réfléchiront après cette manifestation». Jean-Pierre, électricien d'entretien, déplore que l'on soit «en train d'assister à un nivellement par le bas et considère que 4% d'augmentation, c'est encore trop peu». Mais il précise qu'il est là avant tout pour défendre les plus jeunes. «J'ai 57 ans, et pour moi et je ne veux pas trop me plaindre, mais quand je vois ce que gagnent celles et ceux qui sortent d'apprentissage, je trouve que c'est une honte». Werner, 82 ans, ancien mécanicien, approuve. «Les plus anciens, on doit montrer notre solidarité syndicale avec ceux qui luttent.»

Propos recueillis par P.N.