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Quand l’art croise la route de l’humanitaire

Table ronde lors du vernissage.
© Olivier Vogelsang

Au cœur du Forum, la table ronde a réuni les quatre artistes autour de Caroline Abu Sa’da, directrice de SOS Méditerranée Suisse (au centre), et de Pascal Hufschmid, directeur du Musée international de la Croix-Rouge.

Quatre artistes présentent leurs œuvres au Forum de l’Hôtel de Ville de Lausanne. Les bénéfices seront reversés à SOS Méditerranée. L’occasion de discuter du lien entre art et humanitaire

Art et humanitaire se rencontrent jusqu’au 26 février au Forum de l’Hôtel de Ville de Lausanne. L’espace accueille l’exposition collective «La Grande Traversée» dont les bénéfices seront reversés à SOS Méditerranée, une association citoyenne active dans le sauvetage en mer de personnes en détresse avec son bateau l’Ocean Viking. Les artistes Geneviève Marthaler, Dominique Theurillat, Alice Schumacher et France Schmid – au travers de photographies, peintures, gravures ou encore sculptures – soulignent leur engagement et leur soutien à la cause de l’exil. Chacune à sa manière émeut et questionne le spectateur via les œuvres présentées. Une démarche qu’elles ont expliquée en amont de l’exposition et lors d’une table ronde organisée le 16 février, jour du vernissage.

Au-delà du réel

«Il y a plusieurs années, j’ai été submergée par l’émotion en voyant cette image», confie France Schmid, en montrant la photo d’une centaine de réfugiés palestiniens en quête de nourriture, prise en 2014 dans un quartier de Damas. L’artiste raconte comment ce cliché bouleversant lui a inspiré une œuvre puis… 120 autres. «Le thème de la migration m’habite aujourd’hui. Il permet de donner un autre sens à mon travail de peintre.» Par le biais de ses peintures, collages, gravures ou encore photogravures, France Schmid conte des histoires d’ailleurs, recourant à une poésie de couleurs, à la suggestion, cherchant à transcender le réel. «J’aime parfois le hasard du geste imprécis de l’encre pour mieux, par la suite, réapprivoiser le sujet. Je ne veux pas choquer, j’essaie simplement de trouver, à travers l’esthétique de la peinture, un moyen de toucher l’âme de chacun.» Habituée à soutenir la cause migratoire par la vente de ses œuvres, l’artiste a déjà participé à deux autres expositions solidaires.

Engagements pluriels

Active depuis plusieurs années de diverses manières dans la cause migratoire, Geneviève Marthaler partage depuis longtemps son engagement entre l’art et le terrain. «La Grande Traversée» n'est pas une première pour elle: en 2018, elle a déjà participé à une exposition en faveur de SOS Méditerranée. «J’ai toujours peint, de manière intuitive, en rapport avec la mer et le désert, l’immensité d’un paysage hostile, la fuite... J’y ai finalement ajouté des personnes. C’était ma manière de redonner une certaine dignité aux migrants», explique celle qui fait partie des membres fondateurs de SOS Méditerranée. Et de préciser: «Après de nombreux voyages à travers le monde, prête à faire fonctionner notre solidarité auprès des réfugiés, ma famille a déjà accueilli des adolescents et des adultes exilés de différents pays.» Actuellement, Geneviève Marthaler loge dans sa famille une jeune femme somalienne via un programme de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants.

«Nous partageons tous la même humanité»

Des figurines en bois flotté, aux allures d’ici et d’ailleurs qui, à première vue, font penser à des épaves: la comparaison évoquée lors de la table ronde déplaît à Alice Schumacher. «Mes personnages me ramènent avant tout à l’humain et, plus particulièrement, aux migrants. Derrière chacun d’eux se trouve une personne qui a le droit à la dignité.» Inspiré du lac Léman, son peuple de trombines, comme elle aime l’appeler, se compose de grès noir et de bois flotté. L’artiste, touchée par la précarité et la migration, participe à différentes actions bénévoles comme cette exposition au profit de SOS Méditerranée. Sa formation dans le domaine du travail social l’a toujours amenée à placer la rencontre avec l’autre au centre de sa démarche: «Chaque personne a son histoire personnelle, ses richesses et ses difficultés, mais nous partageons tous la même humanité. Au travers des voyages, j’ai aussi eu la chance de vivre de magnifiques rencontres dans ces “ailleurs” qui, pour de petits instants, ont été mon “ici”.»

Evocation de graves problèmes

«J’ai toujours cherché à retranscrire la beauté dans mon travail», raconte Dominique Theurillat, qui a orienté ses recherches vers les photographies abstraites, particulièrement inspirée par les chantiers maritimes, les déchets industriels, tout ce que l’on ne regarde plus... Depuis plusieurs années, elle expose aussi ses encres de Chine. «Dans mes différentes approches artistiques, je retrouve parfois des évocations touchant à ce qui m’est cher et à ce qui me tient à cœur: les causes humanitaires et sociales auxquelles j’ai consacré ma vie professionnelle», note Dominique Theurillat, qui comptabilise 20 ans de travail dans l’humanitaire et 25 ans dans le social. «Ainsi se glissent dans mes encres ou dans mes photos des personnages, des ambiances et des paysages qui évoquent les graves problèmes subis par celles et ceux qui n’ont pas la chance de vivre une vie épanouie», souligne encore l’artiste qui, pour avoir côtoyé des gens en exil, en quête d’un avenir meilleur, précise encore: «La problématique de la migration est pour moi un enjeu fondamental et c’est pour cela que je suis heureuse de participer à une exposition avec trois artistes amies en faveur de SOS Méditerranée Suisse.»

La place de l’art dans l’aide aux migrants

Quel rôle joue l’art dans l’humanitaire? Voilà la question que se sont posée Caroline Abu Sa’da, directrice générale de SOS Méditerranée Suisse, Pascal Hufschmid, directeur du Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi que les quatre artistes Geneviève Marthaler, Dominique Theurillat, Alice Schumacher et France Schmid, lors de la table ronde. Le débat, organisé par le club suisse de la presse, a débuté par un rappel du travail de SOS Méditerranée: «Nous sommes un réseau présent en Allemagne, en Italie, en France et en Suisse. Notre association a pour but de réunir des forces citoyennes afin de mener des sauvetages en mer Méditerranée avec notre bateau l’Ocean Viking», a précisé Caroline Abu Sa’da. Et d’ajouter que l’association porte également, via des témoignages, la voix de ces rescapés. La directrice de l’organisation a révélé qu’entre le 12 et le 14 février 2022, 247 personnes ont été secourues par l’Ocean Viking. D’après leur site internet, de janvier à octobre 2021, plus de 1100 personnes ont perdu la vie, noyées entre la Libye et l’Europe. Ce qui représente le double de l’année précédente durant la même période. «On nous dit souvent qu’on a assez entendu parler des migrants mais, chaque année, la situation s’aggrave», déplore Caroline Abu Sa’da, qui explique cette situation par la volonté de plus en plus forte des autorités de neutraliser les actions des ONG, ainsi que la pandémie qui a, avec ces quarantaines imposées, beaucoup affecté les bateaux de sauvetage.

Regards croisés

«Les milieux de l’art et de l’humanitaire ne se connaissent pas très bien. C’est de cette rencontre que naissent certains engagements citoyens», a expliqué Pascal Hufschmid dont le travail consiste à amener ces domaines à mieux se comprendre. D’après lui, les artistes ont la capacité d’exprimer toute la complexité du problème migratoire à travers les émotions que suscitent leurs œuvres. «L’art est une porte d’entrée sur d’autres parties de notre être. Il permet de raconter un récit d’une autre manière, sans mots.» Questionné sur la place de l’humanitaire au musée, l’homme a affirmé que ce dernier peut avoir un rôle d’ancrage en nous faisant quitter notre quotidien et le flux d’informations continu auquel nous sommes en permanence confrontés. «Le musée nous offre un espace pour développer notre esprit critique et aborder des questions sous un autre angle, comme notre lien au problème migratoire.» Et d’ajouter que c’est justement le but de l’exposition «Un monde à guérir», actuellement présentée au Musée de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge à Genève.

Un cliché controversé

Interrogée sur la photo du corps d’Aylan Kurdi, un enfant syrien mort noyé dans un naufrage d’une embarcation de migrants en 2015, Caroline Abu Sa’da a exprimé son ambivalence quant à la diffusion de telles images: «Si mon enfant était mort, j’aurais trouvé horrible de voir ce cliché de lui partout. Il ne suffit pas de liker une publication en soutien et de passer à autre chose. La vie n’est pas Instagram et cette photo n’a rien changé à la situation.» Selon elle, la proximité du problème joue aussi beaucoup dans la représentation que se font les individus de la crise migratoire. «Pour la première fois, ces horreurs ont lieu près de chez nous. C’était plus facile d’ignorer la question avant, quand elle semblait encore loin de notre réalité.» Et de conclure qu’il est nécessaire, pour transmettre des informations humanitaires, d’allier un travail journalistique avec des actions comme cette exposition qui a pour but de sensibiliser en touchant émotionnellement les personnes.

Infos pratiques

Exposition «La Grande Traversée».

Forum de l’Hôtel de Ville, place de la Palud à Lausanne.

Ouverte jusqu’au samedi 26 février.

Jeudi et vendredi de 12h à 18h30.

Mercredi et samedi de 10h à 18h30.