"Magnificat" de Virginie Sauveur, "Marinette" de Virginie Verrier et "La hija de todas las rabias" de Laura Baumeister: trois parcours de femmes mis en scène par trois réalisatrices à découvrir dans les salles obscures
Prêtre au féminin
Adaptation d’un roman, Magnificat raconte l’histoire fictive d’une incroyable supercherie. Une enquête quasi policière qui met le doigt sur l’invisibilisation des femmes dans l’Eglise catholique et, plus généralement, dans toute société patriarcale
Charlotte, chancelière de l’évêché, est appelée en pleine nuit: un prêtre vient de mourir et le médecin en charge d’établir l’acte de décès tient à lui parler. A son arrivée, elle apprend, incrédule et abasourdie, que le curé décédé était en réalité… une femme! Au petit matin, Charlotte en informe les responsables du diocèse. C’est la stupéfaction et la colère: comment une femme a pu exercer sa vocation durant toutes ces années sans éveiller les soupçons? Mais alors que son bras droit est d’avis qu’il faut étouffer l’affaire le plus rapidement possible, l’évêque souhaite en savoir davantage. Qui était cette femme? Comment a-t-elle pu être ordonnée? Avec quelles complicités? S’agit-il bien d’un phénomène isolé? Autant de questions sur lesquelles Charlotte va devoir se pencher en toute discrétion. Et dont les réponses dépasseront l’entendement. D’autant que cette quinquagénaire cache elle aussi un lourd secret…
Adapté du roman Des femmes en noir d’Anne-Isabelle Lacassagne, Magnificat est un récit fictif. Bien que, ainsi que l’analyse la réalisatrice française Virginie Sauveur, «les femmes se sont, au fil des siècles, grimées en homme pour être médecin, avocat, professeur, donc il est fort probable qu’un tel cas se soit présenté dans la réalité.» La cinéaste rappelle également que la prêtrise, pour les femmes en Occident, reste le dernier métier qui leur soit interdit; le pape Jean Paul II ayant même opposé un «non éternel» à cette question en 1994.
De curé exemplaire à traîtresse
Face à un récit construit comme une palpitante enquête policière non dénuée d’humour, c’est avec délectation que l’on découvre progressivement la vérité sur cette histoire de transgression et d’émancipation. Et ce tout en étant profondément respectueuse de la réalité de l’Eglise. Car Magnificat, on l’aura compris, est avant tout un film sur la place des femmes dans cette institution. Et qui vient non seulement soulever la question de l’ordination des femmes prêtres, mais également, à travers le personnage de Charlotte, rappeler l’importance de la présence de toutes les femmes au sein de l’organisme. «Elles occupent des postes clés, en bas de l’échelle, mais n’ont pas accès au sommet de la hiérarchie», souligne encore Virginie Sauveur. Une hiérarchie masculine qui d’ailleurs s’indigne et tremble de fureur en découvrant qu’ils ont été bernés. De curé de proximité exemplaire et apprécié, la faussaire devient une traîtresse infréquentable: «Son imposture salit notre Eglise», s’offusque l’un; «Si le scandale éclate et que le Vatican découvre que nos séminaires sont infiltrés par des femmes, ce serait l’Apocalypse», affirme un autre. Et lorsqu’ils tonitruent: «Une femme ne peut pas être prêtre!», Charlotte leur répond, tout simplement: «La preuve que si…» CQFD!
Magnificat, de Virginie Sauveur, sortie en Suisse romande le 21 juin.
Football au féminin
Retraçant le parcours exceptionnel d’une légende du ballon rond, Marinette vient mettre à l’honneur les nombreux combats menés par cette joueuse française. Un biopic qui dénonce surtout les inégalités abyssales dans un bastion encore considéré comme exclusivement masculin
Malgré une enfance difficile au début des années 1980, la petite Marinette est irrésistiblement attirée par le football. Alors, quand un entraîneur lui propose de rejoindre l’équipe de garçons de son petit village de l’est de la France, c’est comme un rêve qui se réalise pour la fillette. Totalement à l’aise avec le ballon rond, elle montre immédiatement un instinct et des compétences pour ce sport. Et, malgré quelques quolibets, elle réussit à se faire une place dans son équipe, empreinte de respect et d’admiration. Mais à 16 ans, Marinette est contrainte de se retirer, la fédération n’autorisant pas les équipes mixtes passé cet âge. Pour la jeune femme débute alors une période tourmentée où elle mène de front petits boulots alimentaires et activité sportive dans un club féminin de première division. Mais son talent sera rapidement repéré et lui permettra d’être sélectionnée en équipe de France et, surtout, de rejoindre un grand club américain. Marinette débarque alors aux Etats-Unis pour poursuivre son rêve.
S’inspirant de l’autobiographie de Marinette Pichon, Ne jamais rien lâcher, la réalisatrice et scénariste Virginie Verrier vient rendre hommage à un véritable monument du football, bien qu’inconnue du grand public. «On vit dans une période où l’on accepte de reconsidérer les figures féminines marquantes à leur juste valeur […], explique la cinéaste. Marinette Pichon n’a pas eu la reconnaissance qu’elle méritait, mais elle est une légende du sport français.»
Inégalités stratosphériques
Grâce à un scénario au rythme soutenu, alliant narration, anecdotes truculentes et scènes de matchs, Virginie Verrier propose un long métrage palpitant et d’une véracité bluffante. Cependant, l’histoire de Marinette Pichon va bien au-delà du football. En s’attardant sur son enfance difficile, entre un père brutal et une mère courage, le film dénonce également sans concession les violences faites aux femmes et familiales. La condition des personnes homosexuelles dans le milieu sportif fait également partie des thématiques abordées.
Mais au cœur de ce biopic, se trouvent bien évidemment les revendications face à des inégalités stratosphériques, notamment en France, entre joueuses et joueurs. Avec un statut «professionnel» refusé encore aujourd’hui aux footballeuses par leur fédération. Ce statut d’amatrices semi-professionnelles, qui ne tient pas compte de la maternité, ne leur garantit en outre pas un salaire convenable. Obligeant nombre d’entre elles à travailler à côté des entraînements. Une injustice dénoncée par Marinette à l’issue d’un match contre l’Angleterre face à la presse: «Comment vous voulez qu’on fasse le poids face à des joueuses qui sont pros, alors que nous, on n’est même pas payées? On s’entraîne jusqu’à pas d’heure le soir après avoir bossé toute la journée pour gagner notre vie. C’est un manque de considération total de la part de la fédération. Et après, vous attendez des résultats de nous? C’est complètement hypocrite.» Exhortant ainsi les instances à montrer une volonté politique. Mais près de vingt ans plus tard, force est de constater que la situation des joueuses françaises a peu évolué. Si elles ne touchaient, dans les années 1990, que des primes misérables, le salaire moyen actuel d’une footballeuse en ligue 1 s’élève à 1300 euros par mois – contre 67000 euros pour un homme… Et la visibilisation de ce sport conjugué au féminin n’est pas près de changer: la Coupe du monde 2023 féminine aura lieu dans quelques semaines et, à ce jour, aucune chaîne de télévision n’a acquis les droits pour une diffusion en Allemagne, en Italie ou encore en France. Un cercle vicieux…
Marinette, de Virginie Verrier, dans les salles en Suisse romande depuis le 7 juin.
Pauvreté au féminin
Dans La hija de todas las rabias, une mère et sa fille tentent de survivre de matériaux récupérés dans une décharge. Un film entre misère et fantaisie au sein d’un Nicaragua aux prises avec une crise sociale
Au bord du lac Xolotlán, dans une baraque en tôles ondulées de fortune, vivent Maria, 11 ans, et sa mère Lilibeth. A proximité, se trouve la plus grande décharge à ciel ouvert du Nicaragua, qui leur permet de récolter des déchets qu’elles revendent au kilo. Vivant dans une pauvreté absolue et en proie à une violence quotidienne, elles entretiennent une relation complice et mettent un point d’honneur à se débrouiller seules. La triste vie de la fillette se voit par ailleurs illuminée par l’élevage de cinq chiots pour le compte d’un malfrat en vue d’une future vente. Mais alors que Maria se met à rêver de pouvoir conserver une de ces petites bêtes, la portée est malencontreusement victime d’une intoxication. Pour éviter les représailles, mère et fille sont obligées de fuir. Parallèlement, un mouvement social des travailleurs des décharges éclate dans la région. Face à la situation, Lilibeth n’a d’autre choix que d’abandonner Maria aux mains d’une connaissance, gestionnaire d’un centre de recyclage. La fillette doit y travailler durement au milieu d’autres enfants. Mais les jours passent, la mère ne revient pas et les émeutes prennent de l’ampleur. Maria décide alors de s’enfuir à la recherche de Lilibeth.
Marcher la tête haute
Premier long métrage de fiction réalisé et produit au Nicaragua par une cinéaste du pays, La hija de todas las rabias («La fille de toutes les colères») se présente comme une histoire d’amour et de solidarité entre une mère et sa fille. Une relation complexe, ainsi que l’explique la réalisatrice, Laura Baumeister: «Comment un enfant peut-il vivre sans sa mère? Comment une mère peut-elle le préparer à quelque chose d’aussi douloureux que sa propre disparition? La fragilité de ce lien m’intéresse beaucoup.»
Le choix du lieu de tournage n’est par ailleurs pas anodin: «Un lieu très contrasté, selon les termes de la cinéaste, avec d’une part des tonnes de déchets, d’autre part les beaux paysages de la côte du grand lac Xolotlán.» Un contraste que l’on retrouve également dans ce scénario où des touches de fantaisie et de mysticité viennent ponctuer la misère absolue.
Finalement, le film vient rappeler encore et toujours que, dans un contexte d’extrême pauvreté, les femmes se retrouvent invariablement au plus bas de l’échelle, victimes de toutes les violences, physiques et sexuelles. Et face à l’ignominie, Lilibeth n’a qu’un conseil pour Maria: toujours marcher la tête haute.
La hija de todas las rabias, de Laura Baumeister, dans les salles de Suisse romande depuis le 7 juin.