Au coeur de La Forteresse
Mardi 09 septembre 2008
Signé Fernand Melgar, le film La Forteresse lève un pan de voile sur l'univers des requérants d'asile en Suisse. Poignant
Au Centre d'enregistrement et de procédure pour requérants d'asile à Vallorbe, quelque 200 exilés attendent que l'Etat statue sur leur sort. Pour la première fois, une caméra franchit le seuil de ce microcosme et dépeint, sans fard, un quotidien complexe, où l'espoir le dispute à la peur du renvoi; où résidents et personnel s'observent, se jaugent, s'interrogent, s'apprécient, se méfient... Avec La Forteresse, Fernand Melgar signe un documentaire tout en nuances et en sensibilité, qui n'exclut pas l'humour. Couronné du Léopard d'Or au Festival de Locarno, ce film est visible sur les écrans dès le 17 septembre. Eclairages.
Tout évoque la pesanteur. Le bâtiment, imposant, rectangulaire avec son corps trapu, ses minuscules fenêtres, ses grillages et ses barbelés. L'intérieur, quadrillé de couloirs gris, divisé en dortoirs austères, sanitaires et cantine. Le règlement, semi-carcéral, déterminant les horaires de présence, les incontournables fouilles. L'atmosphère, chargée des lourdeurs de l'attente et de la peur d'un renvoi. Palpable. Au Centre d'enregistrement et de procédure (CEP) pour requérants d'asile de Vallorbe, dans le Jura vaudois, la vie, bien que fourmillante, semble comme suspendue. Entre parenthèses. Dans cette antichambre des destinées, quelque 200 exilés d'origines les plus diverses se languissent, réunis par un seul et même espoir: rester en Suisse. Un verdict qui tombera à l'issue de deux auditions, menées en moins de 60 jours. Deux petits et si longs mois en même temps, qui scelleront des existences, le plus souvent par un retour à la case départ. La grande majorité n'obtiendra pas le statut de réfugié en vertu d'une loi figurant parmi les plus restrictives d'Europe suite aux nouveaux tours de vis qu'elle a subis en 2006.
Sur la pointe des pieds
Fernand Melgar s'est attardé à dépeindre cet univers. Il y est entré sur la pointe des pieds. Se gardant bien de le commenter ou de mener des interviews. Mais non sans prendre le temps de préparer son sujet. Plusieurs mois durant, le réalisateur s'est ainsi rendu au CEP, s'est familiarisé à ses règles, a noué des contacts avec le personnel et les requérants, instauré les fondements de son film, basé sur la confiance et l'objectivité. Avec La Forteresse, il signe un documentaire d'immersion. Un film qui observe, «à hauteur d'homme», le fonctionnement de cette zone de transit où des femmes, des hommes, des enfants, contraints à une oisiveté forcée, n'existent plus qu'à travers un passé souvent douloureux et un avenir incertain. Plongé au cœur de ce tri quotidien, le film fixe ces moments étranges que partagent les responsables du CEP. Membres de l'administration, agents de sécurité, assistants sociaux... 90 personnes gravitent autour et dans cette bulle multiculturelle en perpétuelle mouvance.
Gamme d'émotions
Le cinéaste accompagne plusieurs d'entre elles dans leurs activités journalières. Il s'attarde sur la conduite d'auditions, l'exécution de corvées ménagères ou dans l'espace des aumôniers, tolérés dans l'enceinte... Il suit les uns et les autres dans les relations qu'ils nouent avec leurs interlocuteurs de passage. Des regards empreints de méfiance, de curiosité, de bienveillance, de compassion... s'échangent, se croisent, s'observent, s'apprivoisent... Des situations pathétiques, drôles, touchantes... rythment le métrage, véhiculant toute une gamme d'émotions. On passe ainsi du rire aux larmes. De la perplexité à l'incompréhension. Mais jamais à l'indifférence. Un documentaire dont la plus grande force réside dans la peinture d'une réalité sans fard. Ni angélisme ni porte ouverte à un discours xénophobe. Echappant à tout manichéisme, La Forteresse se distance des stéréotypes plaçant le requérant soit dans le rôle de l'abuseur, soit dans celui de la victime. Tout en nuances et subtilité, l'œuvre couronnée au festival de Locarno propose un point de vue inédit sur la question des migrations et de l'asile. Et offre une chance extraordinaire au spectateur de se forger par lui-même une opinion.
Sonya Mermoud
Tout évoque la pesanteur. Le bâtiment, imposant, rectangulaire avec son corps trapu, ses minuscules fenêtres, ses grillages et ses barbelés. L'intérieur, quadrillé de couloirs gris, divisé en dortoirs austères, sanitaires et cantine. Le règlement, semi-carcéral, déterminant les horaires de présence, les incontournables fouilles. L'atmosphère, chargée des lourdeurs de l'attente et de la peur d'un renvoi. Palpable. Au Centre d'enregistrement et de procédure (CEP) pour requérants d'asile de Vallorbe, dans le Jura vaudois, la vie, bien que fourmillante, semble comme suspendue. Entre parenthèses. Dans cette antichambre des destinées, quelque 200 exilés d'origines les plus diverses se languissent, réunis par un seul et même espoir: rester en Suisse. Un verdict qui tombera à l'issue de deux auditions, menées en moins de 60 jours. Deux petits et si longs mois en même temps, qui scelleront des existences, le plus souvent par un retour à la case départ. La grande majorité n'obtiendra pas le statut de réfugié en vertu d'une loi figurant parmi les plus restrictives d'Europe suite aux nouveaux tours de vis qu'elle a subis en 2006.
Sur la pointe des pieds
Fernand Melgar s'est attardé à dépeindre cet univers. Il y est entré sur la pointe des pieds. Se gardant bien de le commenter ou de mener des interviews. Mais non sans prendre le temps de préparer son sujet. Plusieurs mois durant, le réalisateur s'est ainsi rendu au CEP, s'est familiarisé à ses règles, a noué des contacts avec le personnel et les requérants, instauré les fondements de son film, basé sur la confiance et l'objectivité. Avec La Forteresse, il signe un documentaire d'immersion. Un film qui observe, «à hauteur d'homme», le fonctionnement de cette zone de transit où des femmes, des hommes, des enfants, contraints à une oisiveté forcée, n'existent plus qu'à travers un passé souvent douloureux et un avenir incertain. Plongé au cœur de ce tri quotidien, le film fixe ces moments étranges que partagent les responsables du CEP. Membres de l'administration, agents de sécurité, assistants sociaux... 90 personnes gravitent autour et dans cette bulle multiculturelle en perpétuelle mouvance.
Gamme d'émotions
Le cinéaste accompagne plusieurs d'entre elles dans leurs activités journalières. Il s'attarde sur la conduite d'auditions, l'exécution de corvées ménagères ou dans l'espace des aumôniers, tolérés dans l'enceinte... Il suit les uns et les autres dans les relations qu'ils nouent avec leurs interlocuteurs de passage. Des regards empreints de méfiance, de curiosité, de bienveillance, de compassion... s'échangent, se croisent, s'observent, s'apprivoisent... Des situations pathétiques, drôles, touchantes... rythment le métrage, véhiculant toute une gamme d'émotions. On passe ainsi du rire aux larmes. De la perplexité à l'incompréhension. Mais jamais à l'indifférence. Un documentaire dont la plus grande force réside dans la peinture d'une réalité sans fard. Ni angélisme ni porte ouverte à un discours xénophobe. Echappant à tout manichéisme, La Forteresse se distance des stéréotypes plaçant le requérant soit dans le rôle de l'abuseur, soit dans celui de la victime. Tout en nuances et subtilité, l'œuvre couronnée au festival de Locarno propose un point de vue inédit sur la question des migrations et de l'asile. Et offre une chance extraordinaire au spectateur de se forger par lui-même une opinion.
Sonya Mermoud