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«C’était quand la dernière fois que tu as été fier de ton travail?»

Les économistes français Thomas Coutrot et Coralie Perez signent un livre inspirant intitulé Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire. Ils invitent les syndicats à s’emparer du thème

Aux Etats-Unis, depuis le printemps 2021, quatre à cinq millions de salariés démissionnent chaque mois. En Chine, le mouvement Tang Ping a appelé à lever le pied, avant d’être censuré. En France, les démissions sont en augmentation, notamment dans le système de santé ou la restauration. Un phénomène qui existe aussi, dans une moindre mesure, en Suisse. Face à ce constat, les économistes français Thomas Coutrot et Coralie Perez proposent une analyse fine sur les raisons des travailleuses et des travailleurs à se lever le matin. Le titre de leur ouvrage Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire donne le ton.

Salaires trop bas, remise en cause des conditions de travail, mais surtout perte de sens au travail. La crise du Covid a, selon leur analyse, accéléré une tendance qui existait déjà, preuve en est la notion de bullshit job («job à la con») qui a émergé il y a une dizaine d’années déjà. Le travail s’est appauvri, résultat du new public management basé sur le chiffre, sur la quantité plutôt que sur la qualité, et sur un contrôle permanent diminuant les marges de manœuvre des salariés. La crise écologique et celle du Covid ont exacerbé l’absurdité de certaines fonctions et ce, dans toutes les classes sociales.

Redéfinir le travail

Les chercheurs en viennent à redéfinir le travail. Ni «un effort fastidieux qui mérite récompense», ni «une pure expérience d’aliénation», «c’est d’abord l’activité organisée par laquelle les humains transforment le monde naturel et social et se transforment eux-mêmes». Au-delà du revenu, le travail est donc un moyen de transformer le monde, la société et soi-même. Il fait sens quand il est «vivant», «c’est-à-dire qu’il permet le déploiement, dans l’effort pour surmonter la résistance du réel, de l’intelligence individuelle et collective, de la sensibilité et de l’attention humaines. C’est cette liberté nichée au cœur de l’activité de travail qui fait de ce dernier un enjeu politique majeur.» Se basant sur des études de terrain, les économistes donnent pour exemple les ouvriers de la logistique fiers d’assembler une belle palette. Une ingéniosité porteuse de sens. Or, les nouvelles technologies, comme l’instauration de la commande vocale déniant toute liberté à l’ouvrier, puisque c’est l’ordinateur qui décide de l’ordre des colis à poser sur la palette, annihile toute autonomie et créativité. Selon Thomas Coutrot et Coralie Perez, au-delà d’un refus du travail, la grande démission est bien plutôt celui de l’opposition à «un travail insensé», «mutilé de son potentiel d’émancipation par le management financiarisé».

Conscience écologique

Dans le chapitre «Travailler contre nature», les chercheurs soulignent les conflits d’intérêts des salariés face à la crise écologique. Dès lors «passer du conflit à l’alliance entre mouvements syndical et environnemental est certainement un enjeu décisif pour espérer inverser la tendance à l’effondrement du vivant». Et de citer Marx qui dénonçait déjà le capitalisme comme minant «simultanément les sources originelles de toute richesse: le sol et le travailleur».

Reste que, depuis une quinzaine d’années en France, des alliances émergent. La coalition «Plus jamais ça» (CGT, Attac, Greenpeace, Oxfam…) aura, par exemple, permis le sauvetage de l’usine papetière de la Chapelle-Darblay, en Normandie. Des emplois locaux ont été conservés en même temps qu’une filière de recyclage du papier.

Des initiatives naissent sur les lieux de travail. Des délégués syndicaux proposent aux travailleuses et aux travailleurs de se pencher sur le sens de leur labeur, avec une question révélatrice: «C’était quand la dernière fois que tu as été fier de ton travail?» Selon les auteurs, cette attention au travail réel renforce l’estime de soi des salariés et leur lien au collectif, jusqu’à la démocratie même. Les chercheurs se réjouissent de l’essor des coopératives de production et des sociétés coopératives d’intérêt collectif qui distribuent le pouvoir, grâce à la gouvernance partagée, s’opposent à «la logique de l’accumulation infinie» et «ouvrent la perspective d’un dépassement des impasses tant du capitalisme que de l’étatisme». Offrir davantage d’autonomie au travailleur, c’est aussi œuvrer, selon leurs études, pour une véritable démocratie, les salariés soumis à «des consignes rigides ou des tâches répétitives» étant plus nombreux à «s’abstenir aux élections ou à voter pour l’extrême droite».

Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire. Thomas Coutrot, Coralie Perez. Editions du Seuil et La République des Idées, septembre 2022.

 

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