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Chez la marque à la couronne, un directeur «régnait comme un prince»

Quatre anciens employés ont témoigné de l’atmosphère toxique qui régnait au sein d’un service de la marque à la couronne.
© Thierry Porchet

Quatre anciens employés ont témoigné de l’atmosphère toxique qui régnait au sein d’un service de la marque à la couronne.

Durant des années, le responsable d’un département de Rolex a harcelé impunément des dizaines de collaborateurs et de collaboratrices

A Genève, le responsable d’un département de Rolex a mené la vie dure à des dizaines de collaborateurs durant des années. Des salariés, qui se sont plaints du harcèlement et du mobbing dont ils étaient victimes, ont subi le mépris des ressources humaines. Certains ont été écartés, d’autres licenciés.

Invités par Unia, quatre anciens employés ont témoigné le 10 juin devant les médias de l’atmosphère toxique qui régnait au sein d’un service de la marque à la couronne, fort de quelque cent collaborateurs et basé à Genève. Porté à sa tête en 2016, ce responsable a mis en place un véritable «système de castes, une pyramide du haut de laquelle il régnait comme un prince», dénonce Robert*, un ancien employé de l’entreprise de montres. «Chaque année, à l’occasion de la dégustation d’un panettone géant offert par Rolex Italie, nous devions patienter à la queue leu leu pour lui serrer la main, comme si nous prêtions allégeance.»

«Je suis arrivé dans le département avec un mandat très clair, mais très vite, il a voulu me changer de fonction, ce que j’ai refusé. Il a alors déplacé mon poste de travail, sans raison, pour bien me faire comprendre qui commande. Je crois qu’il ne supportait pas le réseau dont je disposais dans la société», explique, de son côté, Pierre*. Ce salarié se voit attribuer par le directeur et ses adjoints des tâches impossibles à accomplir dans les délais. «Ils me mettaient la pression, l’être humain n’est visiblement pas une priorité pour eux.» A bout, il se retrouve en arrêt, puis est finalement licencié «sans motif clair».

«Il a posé des questions sur mes sous-vêtements»

Nathalie* a, pour sa part, souffert d’un harcèlement d’un autre type. «J’ai subi durant des années des propos déplacés et sexistes de la part du directeur.» Il se permettait, assure l’ex-salariée de Rolex, de comparer les fonctions d’une voiture à une femme ou de montrer sur son smartphone la photo d’une jeune fille en petite tenue. «Ah, on a bien recruté cette année», aurait-il osé, en reluquant deux collaboratrices. «Lors d’une sortie d’entreprise, dans un bar, j’ai même eu le droit à des questions sur mes sous-vêtements. Je m’en suis ouverte aux ressources humaines, on m’a demandé si j’avais des preuves et j’ai eu le droit à des attaques sans fondements.» La jeune femme préférera jeter l’éponge et trouver un emploi ailleurs. Elle devra encore faire appel à un avocat pour obtenir un certificat de travail acceptable.

Eric*, lui, dit avoir vécu un «chemin de croix». Entré chez Rolex après ses études, ce quadragénaire assure n’avoir jamais rencontré le moindre problème jusqu’à l’arrivée du nouveau directeur. Il doit alors endurer harcèlement et humiliations. «En juin 2021, en rentrant du travail, je me sentais mal, j’ai fait une sortie de route à haute vitesse contre un arbre, j’étais avec mes deux frères, nous avons eu de la chance. Je ne sais pas ce que j’ai fait, je pense que c’est à cause du travail. Six mois après, j’ai été pris à partie dans une réunion. J’étais abattu, je suis parti en vélo électrique et j’ai eu un accident assez grave, j’ai été retrouvé inconscient», raconte-t-il ému. Il doit s’arrêter de travailler à 100% durant six mois. A son retour, le mobbing se poursuit et il est finalement licencié en janvier 2024. Sa lettre de licenciement indique que le motif lui a été communiqué de «vive voix». «Ils m’ont dit qu’ils ne voulaient plus travailler avec moi.»

«Les RH sont aussi un problème»

Pourtant, le directeur a lui-même été congédié en décembre 2023. A force de plaintes et après l’intervention d’Unia, des enquêtes interne et externe ont été lancées pour lesquelles une cinquantaine de personnes auraient été entendues. Saisi par Eric et d’autres salariés, l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail (Ocirt) a exigé la mise en place de mesures visant à prévenir les risques psychosociaux. «Cette demande de mise en conformité s’applique aussi à la production. Cela concerne pas moins de 3500 salariés, sans compter les temporaires, à notre connaissance, c’est du jamais-vu», commente Alejo Patiño, secrétaire syndical d’Unia Genève. En tout, cinq responsables ont été évincés. Mais Eric a perdu sa place. «Ils l’ont licencié sans prendre la peine de m’en avertir, alors que je l’accompagnais depuis trois ans afin de trouver une solution interne. Il s’agit de toute évidence d’un congé représailles envers un lanceur d’alerte.»

«Eric n’est pas un bras cassé, appuie Robert, il a développé des solutions qui sont utilisées dans les filiales du monde entier, mais les RH ont la fâcheuse tendance à couvrir ce directeur licencié. Les RH sont aussi un problème.»

«Pourquoi ont-ils laissé se dégrader la situation à ce point-là? questionne Alejo Patiño. Plus d’une cinquantaine de personnes se sont plaintes au syndicat depuis 2021.»

Dans une prise de position adressée à la presse, la direction de Rolex affirme avoir, après le constat de dysfonctionnements dans ce service, «immédiatement pris les mesures nécessaires». Celles-ci «ont entraîné des ruptures de contrat à différents niveaux de la hiérarchie, y compris les plus élevés». De plus, l’entreprise «collabore activement» avec l’Ocirt sur les démarches de prévention.

Le secrétaire syndical tient à préciser: «Rolex n’est pas une entreprise antisyndicale, mais le partenariat social n’a pas permis de trouver des solutions. Nous avons contacté les RH, l’association patronale, nous avons épuisé toutes les possibilités, force est de constater que l’entreprise a fermé les portes à toute discussion.»

Unia espère que Rolex acceptera d’ouvrir un dialogue social. En attendant, le syndicat demande la réintégration d’Eric, faute de quoi il saisira le Tribunal des prud’hommes. 


* Prénoms d’emprunt

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