«Le personnel horloger paie les pots cassés»

Les entreprises horlogères font face à la crise dans la branche de manière différenciée. Certaines demandent l’aide transitoire de l’Etat, via des réductions de l’horaire de travail ou procèdent à des licenciements économiques. D’autres imposent une flexibilisation du temps de travail à leur personnel.
Alors que la crise perdure dans l’horlogerie, Solenn Ochsner, d'Unia Neuchâtel, dénonce les méthodes de certaines entreprises pour y faire face.
Face à la crise que traverse l’horlogerie, toutes les entreprises ne réagissent pas de la même façon. Certaines demandent l’aide transitoire de l’Etat, via les RHT (réductions de l’horaire de travail) ou procèdent à des licenciements économiques. D’autres imposent une flexibilisation du temps de travail à leur personnel. C’est notamment la politique de Swatch Group. D’autres encore, cherchent à réduire leur masse salariale de manière plus insidieuse. Dans tous les cas, ce sont les salariés qui paient les pots cassés. Le point avec Solenn Ochsner, responsable du secteur Industrie d'Unia Neuchâtel, le canton qui compte le plus d’emplois dans l’horlogerie.
Quelle est actuellement la situation dans l’horlogerie, en matière d’emplois?
A notre connaissance, il y a eu beaucoup d’emplois temporaires supprimés. C’est un des premiers leviers activés par les employeurs pour faire des économies en temps de crise. On n’en a pas de décompte exact, car c’est une catégorie de travailleurs et de travailleuses qui passe sous les radars. Les contrats ne sont simplement pas renouvelés et, en général, on ne l’apprend que si nos membres nous le signalent. Sinon, il y a eu beaucoup de demandes de RHT et de licenciements économiques; mais là aussi, il est difficile d’avoir une vue d’ensemble, car les entreprises ne les annoncent pas systématiquement, même si la convention collective de travail l’exige. Au début de l’automne, nous avons d’ailleurs dû rappeler à l’ordre les associations patronales à ce sujet. De plus, la CCT n’est pas de force obligatoire et les entreprises qui n’y sont pas soumises n’ont donc aucune obligation d’annonce.
Étonnamment, il y a aussi des employeurs, comme Swatch Group, qui ne demandent pas de RHT, et n’ont pas non plus recours aux licenciements économiques. Est-ce parce qu’ils se montrent plus responsables que les autres?
On pourrait le croire à première vue, mais en fait, certains employeurs, dont Swatch Group, utilisent un autre levier, qui est celui des horaires fluctuants, ou de l’annualisation du temps de travail. C’est un mécanisme prévu par la CCT, mais auquel les entreprises ont beaucoup recours actuellement. Or, cela nécessite de mettre des garde-fous, car c’est une manière de reporter le risque économique sur les salariés, ce qui n’est pas sans impact sur leur santé et sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
Comment cela fonctionne-t-il?
Pour faire simple, en période de baisse d’activités, comme c’est le cas en ce moment, on diminue le taux d’occupation des travailleurs sans diminuer leur salaire. Et plus tard, quand les affaires reprendront, ceux-ci devront compenser le solde en faisant des heures supplémentaires non rémunérées.
Les employeurs peuvent-ils activer ce mécanisme quand ils le veulent?
Non. Comme le prévoit la CCT, chaque entreprise qui souhaite y avoir recours doit négocier un accord de circonstance avec Unia, que nous faisons toujours approuver en assemblée du personnel. Toutes les modalités de cette flexibilisation y sont détaillées. En principe, on n’abaisse pas le temps de travail en-dessous de 30 heures par semaine, et on fixe une limite à un solde maximal de 75 heures négatives par personne. Celui-ci sera compensé lors de la reprise, avec un temps de travail allant jusqu’à 45 heures par semaine, au lieu des 40 heures prévues par la CCT en temps normal. De plus, la durée de ces mesures est en général limitée à plus ou moins deux ans. Rien que parmi les entreprises de Swatch Group, nous avons déjà négocié quatre accords d’horaires fluctuants dernièrement. Il y en a eu d’autres chez Richemont, par exemple.
Pourquoi est-ce important de mettre une limite dans le temps?
Parce que les salariés doivent savoir combien de temps cela va durer, puisqu’on leur demande de participer à l’effort de guerre au détriment de leur qualité de vie. On ne peut pas exiger d’eux une flexibilité sans fin. Quand j’ai pris la responsabilité du secteur industriel neuchâtelois chez Unia, je me suis aperçue qu’on avait signé en 2009 des accords qui ne fixaient aucune limite dans le temps et que, depuis toutes ces années, des entreprises réactivaient les horaires fluctuants chaque fois que ça les arrangeait. Dans l’une d’entre elles en particulier, c’était devenu systématique. Mais nous dénonçons ces accords non limités dans le temps.
Est-ce que les employeurs ont facilement accepté l’idée de limiter ces accords dans le temps?
Non, au début, ça a été très dur d’imposer cette idée. Ils ne comprennent pas que si Unia entre en matière sur ces horaires fluctuants, c’est dans le seul but de sauver des emplois. Il s’agit uniquement de faire le dos rond en attendant que la crise passe. Mais les associations patronales rêvent toujours de pérenniser l’annualisation du temps de travail. Les nombreuses demandes auxquelles nous faisons face en ce moment n’en sont que les prémices. Notre prochain défi sera de faire bloc contre cette tendance lors du renouvellement de la CCT.
Comment mieux affronter les crises horlogères?
Dans l’industrie horlogère, il y a toujours eu des cycles. Les entreprises doivent les anticiper davantage, en lissant la production sur le long terme pour limiter les fluctuations. On a connu un boom post-Covid, une période d’euphorie où elles ont fait de gros investissements, et maintenant qu’on traverse une période creuse, elles mettent la pression sur les salariés. Quand tout va bien et que les affaires marchent, on ne fait pas participer ces derniers aux bénéfices. Par contre, quand ça va mal, ce sont eux qui paient les pots cassés. Il faut arrêter la course au profit.
Est-ce que vous observez d’autres procédés problématiques en ce moment?
Oui. Il y a les employeurs qui font ce qu’à Unia, nous appelons des licenciements «prétextes» ou «sales», autrement dit des licenciements économiques déguisés. En évoquant de supposés problèmes relationnels, ou un manque de productivité dans le travail, on renvoie des personnes qui ont parfois des décennies d’ancienneté et qui avaient toujours été bien notées jusque-là. Tout d’un coup, le moindre prétexte, qui en temps normal leur aurait à peine valu un blâme, est invoqué pour justifier leur licenciement. On pousse les gens à l’erreur et, forcément, ils finissent toujours par en faire une. Chaque fois que c’est possible, nous contestons ces licenciements, qui sont en augmentation actuellement. Nous venons d’ailleurs d’obtenir gain de cause dans deux cas concernant Swatch Group. Il y a aussi une pratique, fréquente en temps de crise, qui consiste à soumettre les salariées et les salariés à une pression croissante, par des avertissements, des remontrances ou un contrôle constant, afin de les inciter à partir d’eux-mêmes. Rien qu’en une semaine, j’ai eu deux cas comme ça.
