Conditions de travail loin d’être luxueuses
Le chantier d’un palais émirati à Cologny froisse Unia, qui a pointé plusieurs infractions. Le syndicat a alerté les organes de contrôle étatiques et paritaires
Les Emirats arabes unis (EAU) ont obtenu, en 2020, l’autorisation de construire une villa à Cologny. Un véritable palais princier, dans lequel devrait loger – par déduction – le consul général des EAU à Genève. Un chantier grandiose à la pointe du luxe, mais qui interroge Unia après une visite de routine. «Nous avons constaté plusieurs infractions, rapporte José Sebastiao, secrétaire syndical en charge du gros œuvre. Les travailleurs n’ont pas de local chauffé pour se changer et pour manger. Ils ne sont pas équipés correctement: ils travaillent en baskets classiques, n’ont pas de casque ni de gants ou de masques antipoussières, qui devraient pourtant être fournis gratuitement par l’employeur. Quant aux mesures sanitaires de lutte contre le Covid-19, nous n’avons vu ni gel hydroalcoolique, ni masque, ni distanciation sur le chantier. Enfin, la sécurité n’est pas assurée, car du matériel est stocké directement sur les échafaudages.» Les syndicalistes, qui ont convié la presse le 5 octobre sur les lieux, au 24, chemin de Ruth, montrent des photos prises sur ledit chantier, où l’on voit un micro-ondes à même le sol dans une salle de pause. «Sur un chantier aussi luxueux que celui-ci, les conditions de travail devraient être optimales, et ce n’est vraiment pas le cas», dénonce le syndicaliste.
Dénonciations en cours
Ces infractions ne pourraient être que la pointe de l’iceberg. Unia a réussi à identifier la présence de cinq entreprises du second œuvre sur le chantier, venues tout droit du Portugal et d’Italie. Recourir à des travailleurs détachés n’est pas une infraction, mais les entreprises doivent se déclarer et respecter les conventions collectives et les salaires minimums en vigueur en Suisse. «C’est très difficile pour nous de retracer un organigramme précis, tout est très confus, confie José Sebastiao. D’après les travailleurs, qui n’osent pas nous communiquer toutes les informations, une première entreprise générale portugaise serait repartie, laissant les ouvriers ici, sans salaire.»
Impossible de savoir combien ces ouvriers sont payés, s’ils ont leur panier-repas et si la CCT est respectée. «Nous ne pouvons pas affirmer que la convention n’est pas appliquée, mais notre expérience nous permet d’émettre des gros doutes. Avec les travailleurs détachés, nous avons toujours beaucoup de mal à savoir qui fait quoi, pour qui, et à contrôler la bonne application des conditions de travail locales.»
Pour lever le flou sur cette situation, Unia a demandé aux organes de contrôle étatiques et paritaires (à savoir l’Office cantonal de l’inspection des relations de travail, l’Inspection paritaire des entreprises et la Commission paritaire du second œuvre) de se saisir urgemment du dossier. Ces derniers, selon leurs compétences respectives, devront contrôler les conditions sanitaires, la sécurité, les conditions de travail et le respect des CCT sur place. La balle est désormais dans leur camp.
Affaire à suivre...
Mandataire du chantier, le bureau d’architecture Christen Architectes SA n’a pas donné suite à nos questions. Jean-Louis Christen a toutefois répondu à nos confrères du Temps dans un article publié le 6 octobre. «On m’impose des gens qui viennent d’ailleurs, des entreprises générales qui sont défaillantes. Ils n’ont ni la formation ni la capacité de travailler selon nos normes SIA. Comment voulez-vous que nous les contrôlions? Ce n’est d’ailleurs pas mon job.» Pour Unia, ces déclarations ne font que confirmer ses soupçons. «Dans l’intervalle, certains travailleurs ont pris contact avec nous, informe José Sebastiao. Nous sommes en train de recouper les informations. C’est un dossier que nous allons suivre de très près.»