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Dans la peau d’un réfugié

Couverture de la bande dessinée
DR

Fabien Toulmé signe une bande dessinée documentaire réalisée sur la base d’interviews avec le protagoniste, un réfugié syrien.

Une bande dessinée nous invite à découvrir le parcours d’un migrant allant de la Syrie à la France

L’auteur de bande dessinée, Fabien Toulmé, a réussi son pari. Après y avoir consacré plusieurs années de sa vie, il a fini sa trilogie intitulée L’Odyssée d’Hakim. Ce roman graphique, dont l’ensemble des trois ouvrages fait près de 800 pages, n’est pas une œuvre anodine, mais plutôt un travail d’envergure, un «coup de maître». Le bédéiste a effectivement eu la passion de transmettre, d’être le porte-crayon d’une vie, d’un périple plein de péripéties, celui d’un migrant syrien qui fuit son pays. Cette histoire donne un reflet du drame humanitaire mortifère qu’a été la crise migratoire des années 2010. Elle en dit long également sur les pays de transit ou d’accueil.

A la suite de différents drames et de leurs traitements par les chaînes de télévision, le dessinateur s’est en effet posé de nombreuses questions. «Au fond, que savons-nous des migrants?» constitue une interrogation qui a mené à une année et demie d’interviews avec Hakim, socle de cette bande dessinée documentaire.

Un destin qui bascule

Hakim, c’est l’histoire du basculement d’un destin, d’une chute sociale. Entrepreneur, sa pépinière était, à tout point de vue, florissante. Le narrateur avait ainsi un commerce prospère et un travail apprécié. Mais les tensions s’exacerbent entre la rue et le pouvoir en Syrie. La répression se caractérise par son arbitraire, sa violence et sa cruauté. Ses terrains horticoles étant réquisitionnés par l’armée, Hakim perd alors son travail. De plus, son frère est emprisonné pour avoir manifesté. Craignant pour sa propre sécurité et devant pourvoir aux besoins familiaux, commence alors la route de l’exode. Dans l’un des tomes, Fabien Toulmé avertit le lecteur: Hakim aurait pu faire sa vie plus près de la Syrie. Il a d’ailleurs essayé. Sans succès. Sa traversée n’était pas originellement «une quête de l’Europe», mais bien plutôt une nécessité afin de survivre, puis de retrouver sa propre famille.

Le choix de la clandestinité

Première étape: le Liban. Il part chez un ami et projette, à cette époque, de revenir chez lui dès que possible. Ensuite, afin de faire face à la disette, il quitte le Liban pour la Jordanie, où il a de la parenté. Il y connaît le travail au noir, l’exploitation et la xénophobie. Les Syriens sont accusés par certains d’être des «voleurs de travail» en raison du dumping salarial de nombreux patrons. Au vu des conditions, Hakim tente sa chance en Turquie. Sa vie – ou plutôt sa survie – est faite de petits boulots. Une bonne étoile cependant luit: il se marie et a un garçon. L’existence demeure très précaire. Le père de sa femme réussit à la faire venir en France par regroupement familial. Hakim reste, par conséquent, seul avec leur enfant en Turquie, dans l’attente des papiers en vue de s’installer sur sol français. La machine administrative est lente, peu sensible aux réalités humaines, et produit son lot d’erreurs. Face à cette impasse, le choix de gagner l’Europe dans la clandestinité est entériné.

Vers la reconstruction

La traversée de la Méditerranée pour rejoindre la Grèce est épique. Le lecteur a le souffle coupé devant le danger encouru sur ce canot. Ce récit haletant constitue un morceau d’anthologie de la bande dessinée. S’ensuit une série de pérégrinations au sein du continent européen, que le lecteur pourra découvrir dans le dernier tome. On y retrouve des aspects caractéristiques de la crise des migrants, comme l’indignité des conditions de vie subies dans les centres de rétention. Après avoir dormi dans la forêt, dans la rue, marché des kilomètres et des kilomètres, bravé le froid, les intempéries, la faim, la fatigue, Hakim et son fils Hadi sont arrivés en France et ont désormais obtenu le statut de réfugiés ouvrant - après ce qui a été vécu - un autre chemin: celui de la reconstruction.

Une œuvre majeure

Cette suite de bandes dessinées se révèle donc remarquable. Le récit marque par sa fluidité, tout s’enchaînant facilement et d’une façon très rythmée. Le style émeut avec simplicité, grâce à des traits nets et l’usage de couleurs douces. Il y a peu de pathos dans cette œuvre, mais beaucoup de tendresse. Le lecteur vit une expérience d’immersion au sein du parcours de ce migrant. Comme relaté, de nombreux thèmes sont abordés. Parmi les plus écœurants figurent incontestablement la politique de certains Etats européens (notamment la Hongrie), mais aussi le rôle des profiteurs de la détresse humaine incarnés par des passeurs ou des employeurs sans scrupule. Des questions clés sont également évoquées comme le dilemme de la clandestinité, et beaucoup d’autres enjeux existentiels – on pense, entre autres, au thème de l’absence, de la séparation… Une œuvre riche et pétrie d’humanité, un travail salutaire au regard de l’actualité…

Couverture de la bande dessinée.
Fabien Toulmé, L’Odyssée d’Hakim, Delcourt.

 

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