Le voyage halluciné de Maurice-Guillaume
La dernière fiction du sociologue, historien et romancier valaisan Gabriel Bender, Cuba libre, emmène le lecteur dans un voyage ethnographique et onirique
Le décor: un Cuba crépusculaire à l’extrême fin des années 1990. Destination de rêve et de misère. De vacances, de sexe et de luttes quotidiennes. Le protagoniste, Maurice-Guillaume Boniek, garagiste valaisan de mère espagnole et de père polonais. Personnage ordinaire et bizarre à la fois. Frustré. Intriguant. Paru aux Editions Faim de siècle, Cuba libre narre l’histoire de cet homme, marié et père d’une adulte, qui s’envole pour La Havane. Initialement, le voyage aurait dû s’effectuer en compagnie de son épouse, Brigitte, avec l’idée de la reconquérir, alors que leur relation – ou plutôt leur absence de relation – en fait depuis toujours deux étrangers ou presque. Un contretemps change toutefois la donne mais pas les plans du Valaisan qui, ravi d’échapper à son oppressante famille, gagne l’île des Caraïbes. Débute ainsi un périple halluciné d’une semaine où le lecteur va faire plus ample connaissance avec Maurice-Guillaume Boniek. Ses mensonges. Sa libido brimée. Sa radinerie. Son inculture face à des interlocuteurs au niveau d’éducation élevé qui lui posent des questions pointues sur la Suisse. Le portrait stéréotypé d’un vacancier souvent imbuvable qui lui, en revanche, se soûle beaucoup...
Sommet du fantasme
«Il incarne tout ce que je n’aime pas chez certains touristes, relève Gabriel Bender. Levy-Strauss disait que chaque voyage géographique est un déplacement dans le temps et les classes sociales. Situation que l’on retrouve chez mon personnage confronté à une grande pauvreté qu’il explore à vélo-taxi avant d’aller, le soir, se régaler d’un homard. Un côté détestable.» Le roman nous plonge aussi dans la réalité d’un pays, «donnant à voir ce que la propagande montre et que les touristes ignorent». Une immersion dans un monde marqué par la routine des disettes et des pénuries, les petites combines quotidiennes de ses habitants pour tenter de s’en sortir. Loin de l’idyllique carte postale. «Cuba, c’est le sommet du fantasme. Une île qui fait rêver et peur en même temps. Une merveille photogénique, des gens chaleureux, de la musique, une révolution comme un gigantesque pied de nez aux USA mais, parallèlement, un prix très lourd à payer pour les Cubains. J’ai choisi d’y ancrer mon récit pour l’aspect visuel théâtral exacerbé de l’île», note encore l’auteur qui porte depuis toujours un intérêt marqué pour l’Amérique latine et a émaillé son roman de clins d’œil à la littérature et au cinéma de cette partie du monde. Alors que son inspiration se nourrit directement de ses voyages à Cuba. De personnes qu’il a rencontrées. De quoi donner chair, profondeur et réalisme à l’histoire.
Le meilleur et le pire
Quant au titre, l’auteur a voulu jouer avec cet «oxymore même pour les plus communistes des Cubains tant les contraintes se révèlent grandes», alors que l’embargo américain reste d’actualité. Cuba libre fait aussi allusion au cocktail éponyme. «Ce mélange qui allie le meilleur des Caraïbes, le rhum, et le pire des Etats-Unis, le coca-cola.» L’histoire de Maurice-Guillaume Boniek, c’est en bref celle d’un homme qui a réussi économiquement mais raté sa vie sentimentale et sexuelle, à l’inverse de Cubains. Un être à l’humour désespéré, prisonnier de ses mensonges, déambulant dans cette île des illusions perdues, de la débrouillardise, d’autres tromperies, rêves et vérités. Un «aventurier de carambar» qui, le masque tombé, se retrouve face à lui-même, seul avec son désir et sa peur des femmes, sa libido qu’il va peut-être reconquérir... Une trame originale, passionnante, soutenue par une belle écriture, visuelle, rythmée. Un roman débridé, corrosif, foutraque qui figure comme le premier volet d’une œuvre en triptyque. On attend impatiemment la suite...
Cuba libre paru aux Editions Faim de siècle, 204 pages, 25 fr., disponible en librairie.