L’écrivain Alberto Prunetti nous emmène au sein d’usines mortifères en Italie. Une histoire marquée par le deuil et l’injustice
Amianto. Une histoire ouvrière. Ce livre, paru récemment en français, évoque l’un des plus grands scandales industriels émergents au siècle passé, catastrophe meurtrière due à un poison nommé l’amiante. A la lecture de cet ouvrage, on plonge, grâce à une approche biographique, au sein du monde ouvrier italien. La question de la protection des travailleurs constitue l’ossature du récit, mais aussi, en toile de fond, la cupidité d’un certain nombre d’employeurs courant après le profit et mettant en péril la santé de leur personnel. L’auteur, Alberto Prunetti, restitue ainsi le parcours professionnel de son père Renato, victime de la fibre cancérigène.
Une vie de labeur
Il s’agit en premier lieu de l’histoire d’un enfant qui a arrêté l’école à 14 ans, devient maître-nageur, puis garçon de café. Très vite, l’usine le happe. Il troque alors le costume de serveur pour le bleu de travail, vêtement emblématique de sa vie, de sa condition.
De manœuvre, il devient soudeur, puis soudeur-tuyauteur. Renato se déplace de chantier en chantier à travers la péninsule. Les années 1970 sont décrites comme des années heureuses. L’emploi abonde. La conflictualité liée aux rapports sociaux demeure forte. Les ouvriers font donc entendre leurs voix et cela rapporte. Renato se trouve dans la force de l’âge. Il travaille vigoureusement.
Toutefois, les coups de marteau ne sont pas sans effet. Son ouïe est endommagée. Les flammes de l’électrode abîment sa vision. Et, ses dents tombent sous l’action des métaux lourds. A 40 ans, il porte un appareil auditif, des lunettes et un dentier. Une rente partielle lui est accordée en tant qu’invalide ne pouvant exercer pleinement son travail. Ensuite, les années 1980 marquent un reflux du mouvement ouvrier, selon l’auteur. Les termes «chômage technique» résonnent. L’alternance entre périodes de travail et celles chômées rend les fins de mois difficiles. Renato se résout à se mettre à son compte en obtenant un numéro de TVA. Cela rime avec précarité. En clair, il effectue le même travail qu’auparavant tout en payant lui-même ses charges sociales. De fait, la domination patronale s’accroît dans ce cadre sur l’autel de la flexibilité. Les forces de Renato commencent à décliner. Il devient retraité en 1998. Progressivement, il perd son souffle.
Une tumeur. Elle monte des poumons au cerveau, recouvert désormais de métastases. Anticoagulants, antidépresseurs, antiépileptiques, cortisone rythment désormais le quotidien de Renato. Après 72 heures d’agonie, il meurt à 59 ans.
Rendre justice aux morts et à leurs proches
Tout au long des pages, on sent l’amertume d’un fils qui a perdu son père. L’aspect funeste de la situation domine. Comme de nombreuses familles ayant vécu de pareils drames, la saisie de la justice est considérée comme un devoir même si elle apporte peu en l’occurrence, soit une légère réévaluation de la pension de veuve. La rancœur reste tenace. Alberto Prunetti affirme: «La justice, c’est de ne pas mourir au travail et de ne pas voir mourir ses collègues.» Le caractère biographique du récit estompe cependant la dimension collective de la lutte des victimes de l’amiante. En effet, on voit apparaître, au crépuscule du XXe siècle et à l’échelle nationale ainsi qu’internationale, de véritables mouvements sociaux contre l’amiante regroupant des chercheurs, des professionnels du droit ou de la santé, des syndicalistes… Cela débouche sur une série d’actions judiciaires. Par exemple à Casale Monferrato, ville du Piémont où Renato a travaillé dans une raffinerie, les familles d’anciens employés d’une autre société Eternit se sont portées parties civiles dans un procès qui a fait date, malgré les aléas des procédures (prescription des faits…). Dans un même mouvement, l’industriel suisse Stephan Schmidheiny a récemment été condamné à quatre ans de prison pour homicide involontaire en lien avec une affaire où deux employés exposés à l’amiante sont décédés. Les méfaits dus à cette substance toxique marquent donc l’histoire ouvrière dévastant des régions entières, décimant des familles, semant la mort à profusion.