Témoignages
«Faites-vous un sport extrême? Non je travaille dans un frigo à 2°»
Marina a travaillé deux ans chez Hilcona, de fin juin 2016 à juillet 2018, avec un contrat de temporaire pour Adecco. Maman de deux enfants de 6 et 13 ans, elle a choisi de quitter l’entreprise pour préserver sa santé.
«J’ai commencé comme garnisseuse à la production. Nous étions 10 ou 12 femmes sur une ligne. Nous garnissions le pain avec le jambon, les cornichons, les tomates, etc. C’était pénible. A regarder toujours vers le bas, on a les épaules bloquées en fin de journée. On est dans le froid, à 6°, avec des gants chirurgicaux. Des femmes ayant quitté Hilcona ont des problèmes aux mains.»
Après 9 mois à la production, et une première formation en sécurité et hygiène, Marina se forme pour travailler au frigo et à l’étiquetage, afin d’améliorer de quelques centimes son salaire horaire. Ce dernier est passé de 16,99 francs brut de l’heure à 17,66 francs depuis janvier 2018. «A l’étiquetage, c’était un travail lourd et répétitif. Nous étions deux, debout, à côté d’un tourniquet où défilent les sandwichs. Ça va très vite, avec 45 à 50 sandwichs à la minute. Nous devions éliminer ceux qui avaient des défauts, prendre les autres par cinq pour les déposer dans les caisses, puis porter ces caisses. Il fait 2° dans le frigo. La règle pour travailler dans le froid est de sortir 10 minutes toutes les deux heures. Mais ce n’était jamais comme ça. Je commençais vers 4h30 ou 5h du matin. On prenait la première pause après deux heures, puis une pause plus longue à 9h. Mais depuis 9h30, alors qu’il nous restait encore 5 ou 6 heures de travail, nous ne pouvions plus sortir. Les journées pouvaient durer jusqu’à 10, 11 ou 12 heures, on était tributaire des commandes. On savait toujours quand on commençait, jamais quand on finissait. Au niveau des habits, je prenais ceux de la maison, ceux du travail étant trop légers. J’ai eu de la chance d’avoir un bonnet de l’entreprise. Un jeune collègue n’en avait pas. Il s’est plaint d’avoir mal aux oreilles. Je lui ai conseillé d’en prendre un chez lui même si c’est interdit.»
Après un an de travail au frigo, Marina commence à avoir des problèmes de dos. Elle consulte une rhumatologue. «Elle m’a demandé: “Est-ce que vous faites un sport extrême?” Mon dos a 10 ou 15 ans de plus que mon âge! La doctoresse m’a recommandé de changer de travail. J’y ai réfléchi, il faut payer les factures... J’étais toujours plus fatiguée, toujours moins disponible pour ma famille, mon humeur en pâtissait. J’avais besoin de beaucoup plus de temps pour récupérer. Je ne pouvais plus être la femme et la maman d’avant. Finalement, j’ai choisi la santé.»
Marina évoque aussi le climat dans l’entreprise. Certains groupes «préférés» pouvant parler leur langue, d’autres obligés de parler français même s’ils ne le connaissent pas. Les «entretiens» pour un rien. «C’est presque des avertissements, le pas juste avant». J’ai vu des collègues revenir en pleurs. Je n’ai jamais compris pourquoi certaines personnes pouvaient dire quelque chose et d’autres n’avaient pas droit à la parole. Certaines s’étant plaintes ont reçu un avertissement ou ont été licenciées. Moi, j’ai préféré me taire. Même si, pendant la formation, le directeur nous disait qu’il fallait oser dire si quelque chose n’allait pas. Par exemple, je n’ai jamais osé demander pourquoi, depuis le début de cette année, ils ont supprimé la formation en sécurité et hygiène pour les temporaires. J’avais peur de le faire. Pourtant, cette formation est très importante. Nous fabriquons des produits que les gens mangent, c’est leur santé qui est en jeu.»
«Nous sommes des êtres humains, pas des esclaves»
Ils sont quatre ce jour-là, rassemblés au secrétariat d’Unia. Pour des raisons évidentes, certains étant toujours en poste, ils témoignent avec un prénom d’emprunt. Le nombre de griefs à l’encontre de l’entreprise est énorme.
Ces hommes travaillent toutes les nuits ou dès le petit matin pour que les onze lignes soient prêtes à la production. Ils dénoncent le sous-effectif permanent. «Nous sommes 7 ou 8 pour faire le travail de 13 personnes», s’indigne Mario. «Les plannings changent du jour au lendemain, signale Lucas. Ils nous appellent n’importe quand pour nous dire qu’on doit travailler. Ou alors ils nous renvoient à la maison s’il n’y a pas de travail. Pendant longtemps je n’ai pas osé dire à ma copine quand j’avais congé, de peur qu’ils changent de jour. On ne peut pas avoir de vie privée.» «On doit faire beaucoup de sacrifices, lance Daniel. Parfois, on doit travailler 7 jours d’affilée, mais ils s’arrangent pour que ça n’apparaisse pas sur les papiers. Nous sommes déjà abattus en commençant le travail, et ils nous demandent d’être des “travailleurs enthousiastes”!» Les vacances sont elles aussi aléatoires. «Nous devons donner les dates souhaitées en fin d’année, explique Michel, mais on ne sait jamais si elles sont acceptées ou non. Certains ne savent pas aujourd’hui s’ils pourront prendre leurs vacances à Noël.»
Produits toxiques
Des salariés se plaignent de l’usage de produits chimiques dangereux. «Quand tu vas au local d’hygiène, c’est impossible de rester tellement ça sent fort. Je ne sais pas comment ils tiennent», raconte Lucas. L’un de ses collègues ne voulait pas nettoyer une machine avec un produit non dilué. «Le chef l’a obligé à finir. Si tu refuses, c’est un abandon de poste», proteste Daniel. «Si tu résistes, tu es un élément à abattre», appuie Michel. Produits, humidité, absence de ventilation pendant une année, les conditions dans ces locaux sont intenables. Mais la pression est telle que règne la loi du silence. «Chaque fois que l’on parle, ils notent, font leur commentaire et t’obligent à signer alors que beaucoup ne savent pas le français. Il faut que les équipes soient muettes. Pour nos chefs, l’essentiel est que le travail soit fait», protestent les travailleurs, indiquant d’autres abus tels que l’interdiction d’aller aux toilettes faite par un chef à une dame sur la ligne, avec de pénibles conséquences, ou le licenciement d’un collègue temporaire ayant demandé de passer en fixe…
Autre moyen de pression: la gestion des absences pour maladie ou accident avec des formulaires 1, 2 et 3. Le stade suivant? C’est la porte... «Nous sommes obligés d’appeler tous les trois jours quand on est malade. Quand on revient, on doit dire si on pense avoir une rechute. Des gens travaillent en étant malade. Et si on a un accident dans l’usine, c’est à nous d’aller à l’hôpital. S’ils appellent l’ambulance, ils nous font signer un papier disant que c’est à nous de payer!»
Spécialité d’Hilcona
«Chez Hilcona tu n’as pas de vie privée. Tu dois être en disponibilité totale. Nos chefs nous le disent. La plupart des employés sont étrangers, ils ne parlent pas français. Quand tu as besoin d’un travail, et d’un permis, tu viens et tu te tais. Hilcona a bien compris qu’avec 80% de main-d’œuvre étrangère dans un marché du travail pas facile, ils pouvaient nous exploiter comme ils le veulent», résume Michel. Qui ajoute: «La spécialité d’Hilcona, c’est un climat de peur et de terreur, des pressions, des menaces toujours déguisées.»
«Si nous dénonçons cela aujourd’hui, ce n’est pas que pour le salaire, mais pour le personnel, poursuit Daniel. Nous sommes des ouvriers, des collaborateurs, des êtres humains et nous devons être respectés. On ne peut pas être maltraités comme de simples esclaves. Nous avons la liberté d’expression et devons dire les choses qui vont mal. Chez Hilcona, nous n’avons aucune valeur. Nous voulons retrouver notre personnalité, notre dignité. Beaucoup de monde est derrière nous.»