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Des travailleurs sur le carreau, sans le sou avant les vacances

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© Olivier Vogelsang

Pas payés pour leur travail de juin, et rien pour juillet. Les travailleurs de Soraco SA ont protesté le 27 juillet dernier, avec leurs syndicats, sur un des chantiers de l’entreprise à l’avenue de Bel-Air à Chêne-Bourg. Ils ont exigé le versement de leur dû et demandé aux autorités de libérer les factures bloquées afin qu’ils puissent toucher leurs salaires.

L’entreprise de génie civil Soraco SA à Genève n’a pas payé les salaires de juin et de juillet de ses ouvriers. Une assemblée de protestation s’est déroulée il y a quinze jours sur un chantier public et les autorités ont été interpellées

Des travaux obtenus sur la base d’offres défiant toute concurrence, des difficultés financières qui s’accumulent, les salaires de juin et de juillet de la soixantaine d’employés non payés. Et une entreprise qui se défausse sur les maîtres d’ouvrage et les entreprises générales qui bloqueraient le paiement de factures. Au final, ce sont les ouvriers qui trinquent.

Cette situation est survenue chez Soraco SA, une entreprise genevoise de construction et de génie civil. Face au non-versement de leurs salaires, juste avant leurs vacances, et en l’absence de réponses de l’employeur sollicité à plusieurs reprises, une douzaine de travailleurs encore actifs ont tenu une assemblée de protestation le 27 juillet à l’avenue Bel-Air à Chêne-Bourg, un de leurs lieux de travail. Les syndicats Unia, Sit et Syna avaient aussi convié la presse pour dénoncer le silence de la direction.

L’entreprise avait convoqué les employés le 8 juillet. Elle leur avait remis un courrier les informant qu’elle était dans l’impossibilité de payer leurs salaires de juin et les suivants, faute de liquidités. «Des montants excédant le million de francs» sont bloqués par des maîtres d’œuvre et des entreprises générales pour des travaux terminés, écrit-elle. L’entreprise indiquait aussi que le bilan avait été déposé et qu’une audience en vue d’un ajournement de faillite aurait lieu le 4 août. Dans ce courrier de deux pages, la société offrait encore aux travailleurs une «marche à suivre» leur expliquant ce qu’ils auraient à faire en cas de faillite pour réclamer leur dû, cela dans un langage juridique des plus ardus. Elle les incitait également à s’autolicencier…

Attitude irresponsable

Réunis à plusieurs reprises en assemblée générale, les travailleurs ont mandaté les trois syndicats. Une rencontre avec la direction a eu lieu le 13 juillet, sans résultat, les syndicats réclamant toujours des documents tels que la liste des employés, des chantiers en cours, des comptes de la société et la preuve des paiements des assurances sociales et de la retraite anticipée. «Malgré de nombreuses sollicitations, l’entreprise a fait l’autruche, laissant les travailleurs dans l’incertitude», indique Mathieu Rebouilleau, secrétaire syndical d’Unia Genève, sans cacher son inquiétude: l’entreprise aurait des poursuites pour des centaines de milliers de francs, notamment vis-à-vis d’entreprises intérimaires, de la fondation pour la retraite anticipée et peut-être aussi des assurances sociales.

«Il est irresponsable de laisser des travailleurs sans argent avant les vacances. Certains ont déjà quitté l’entreprise, n’ayant pas de réserve pour vivre. D’autres sont déjà en vacances et les derniers travaillent encore pour terminer leurs chantiers. De plus, Soraco SA n’a rien fait pour replacer les travailleurs les plus âgés dans une autre entreprise, afin que leur droit à la retraite anticipée soit sauvegardé», s’énerve Mathieu Rebouilleau. Au total, et sans compter le personnel administratif, une bonne vingtaine d’ouvriers étaient encore, fin juillet, sous contrat avec la société.

«L’entreprise ne jure que par la faillite. Ce n’est que lorsqu’on l’a informée de notre action qu’elle s’est manifestée. Elle a appelé Unia pour dire que les fiches de salaire de tous les travailleurs allaient être envoyées. Ce qui ne veut bien sûr pas dire que les salaires seront payés… En cas de faillite, la caisse d’insolvabilité devrait prendre le relais, avec un versement de 70% à 80% du montant dû selon la situation familiale. Soit une perte sèche pour ces personnes ayant travaillé à 100%, sans compter celle qu’ils subiront en cas de chômage.» Aux dernières nouvelles, l’audience de faillite aurait été reportée à la fin du mois.

Autorités complices

«Les autorités sont complices de cette débâcle financière», souligne encore le syndicaliste. L’Etat de Genève ou les communes de Chêne-Bourg et de Presinge ont ainsi fourni à Soraco SA d’importants travaux sur la base de devis bien en-dessous des prix du marché. Les syndicats ont interpellé les autorités, en particulier Serge Dal Busco, conseiller d’Etat en charge des infrastructures, pour qu’il intervienne urgemment auprès des maîtres d’ouvrage afin de débloquer le paiement des factures ouvertes et d’honorer les salaires non versés des employés. Une rencontre à ce sujet est prévue entre les responsables du Département des infrastructures et les syndicats. Mais elle se tiendra sans le conseiller d’Etat et sans la direction de Soraco comme l’auraient souhaité les organisations des travailleurs. A suivre.

 

Témoignage

«J’ai la boule au ventre»

Maçon et chef d’équipe, la quarantaine, Eric* travaille depuis bientôt cinq ans pour Soraco à Genève. Fin juillet, il était l’un des salariés encore actifs de l’entreprise. Interview

Comment cette situation est arrivée? N’y avait-il pas de signes avant-coureurs?

«Mes premières années dans l’entreprise se sont bien passées. Dès le Covid, nous avons senti que ça devenait de plus en plus compliqué, il y a eu des licenciements, des retards de paiement pour des fournisseurs. On sentait que ça n’allait pas dans le bon sens, mais on gardait espoir. Au niveau des salaires, une remise en ordre avait été effectuée. On les touchait avant le 2 du mois suivant, mais, en mai, les responsables de la société nous ont avertis qu’ils ne pourraient pas nous payer dans les temps. Ils ont cherché à débloquer des garanties chez les maîtres d’œuvre, par exemple pour un gros chantier de l’ONU, mais c’était peine perdue. Nous avons touché notre salaire de mai le 12 juin. C’était la dernière fois…

Que s’est-il passé ensuite?

Le 8 juillet, nous avons été informés qu’ils allaient déposer le bilan et que l’on pourrait réclamer nos salaires en justice. Ils nous ont aussi invités à partir. Les premiers à le faire sont ceux qui n’avaient pas d’argent de côté. Une dizaine de chantiers étaient en cours, avec peu de rendement, car les fournisseurs nous livraient de petites quantités, à payer cash. On a fait du rangement, du tri. Comme d’autres, je suis toujours sur mon chantier. Nous attendons une lettre de licenciement. L’automne et l’hiver arrivent. A cette période, il y a moins de travail. J’ai une famille, je ne peux pas me permettre de faire de l’intérim et de ne pas avoir de boulot en fin d’année.

Comment avez-vous vécu l’annonce d’une possible faillite?

Ça a été brutal. L’entreprise était très bien réputée, le personnel très compétent. La suite va être pénible. Si on ne récupère que 70% ou 80% du salaire, ce sera un trou énorme. La faillite nous permettrait d’aller au chômage. Mais cette incertitude est horrible. Ça fait mal, j’ai perdu du poids, j’ai la boule au ventre. Bien sûr, ça touche la vie de famille. Mais on n’est pas seuls, on essaie de se serrer les coudes entre collègues. C’est dur. En plus de cette situation, nous avons perdu récemment un collègue de moins de 40 ans, mort d’une crise cardiaque sur son canapé. C’est un ouvrier qui donnait tout sur le chantier. Il a perdu la vie subitement. Je suis sûr que cette situation l’a affecté. Ce décès nous a retourné le ventre. Et notre employeur est resté complètement insensible face à ça, pas un mot, pas un geste…

Nous espérons tous que cette situation se termine rapidement, sans magouilles. Nous avons besoin d’être respectés.

* Prénom d’emprunt

 

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