Inspiré de la réalité, le troisième roman de Chiara Meichtry-Gonet, Mattmark, ressuscite un chapitre douloureux de l’histoire valaisanne à travers le prisme des émotions humaines
Séisme dans l’histoire du canton aux treize étoiles et résonance nationale: le 30 août 1965, un pan du glacier de l’Allalin s’effondre sur le chantier de construction du barrage de Mattmark, dans le Haut-Valais, provoquant la mort de 88 ouvriers dont 56 saisonniers italiens. Près de 60 ans plus tard, Chiara Meichtry-Gonet revient sur ce terrible accident à travers le regard et les ressentis de personnages fictifs gravitant autour de la catastrophe. Sous sa plume sensible, un survivant du drame, une épouse et une amante laissées à leur solitude et à leur secret, des enfants ayant grandi dans l’ombre du fantôme de leur père... déroulent l’écheveau de souvenirs et de l’absence, entre les Alpes et les ruelles de Rome, réveillant le passé pour mieux comprendre le présent. Avec, en toile de fond, un questionnement sur l’identité, les racines, l’exil ou encore l’intégration. Avec, en filigrane, la volonté de rendre hommage aux victimes et à leurs proches. Tout en recourant à un langage imagé, poétique propre à nourrir l’imaginaire. «La raison de ce roman? Je suis tombée sur une liste des employés italiens disparus dans l’accident, qui avait été dressée par les syndicats de l’époque. Leurs noms, l’entreprise pour laquelle ils travaillaient, la date de retour de leur dépouille au pays... figuraient sur ce document. Mon imagination s’est emballée», précise l’auteure de 46 ans, étonnée qu’on ne lui avait pas parlé de la tragédie bien que constitutive de la mémoire valaisanne collective. «Je me suis surtout intéressée à la question de la mémoire, à savoir comment vit-on avec les morts, comment peut-on se reconstruire?» La Sédunoise souligne encore que, habitant au pied des montagnes, elle juge intéressant de connaître leur passé, leurs dangers potentiels.
La chair de son récit, Chiara Meichtry-Gonet la trouve en contactant des ouvriers qui ont été témoins du drame ainsi qu’une infirmière active sur le site. Elle se rendra aussi au barrage pour s’imprégner des lieux. «Un endroit à forte portée romanesque, creuset, lors de sa construction, de nationalités, langues, cultures», note la romancière, alors que 1965 voit le lancement des premières initiatives anti-étrangers. Et puis, avec son prénom à consonance italienne – sa mère est Tessinoise – elle a aussi pu se frotter, jeune, aux réactions que peut provoquer la différence. «Pas toujours simple d’être abordée à travers un prisme catégorisant», note celle qui a suivi les cours de la Faculté de philosophie à l’Université de Rome et effectué une spécialisation en logique mathématique. Travaillant à plein temps comme sous-directrice de l’Association valaisanne des entrepreneurs, l’ancienne journaliste, mère de deux grands enfants, signe sa troisième fiction. La Sédunoise se consacre à sa passion à l’aube, entre 4h et 6h du matin, à grand renfort de café. «Ecrire est pour moi une nécessité, comme de respirer. Mais ça ne paie pas le loyer», ajoute la quadragénaire, déjà engagée dans de nouveaux projets... Mais on n’en saura pas davantage.
Mattmark, Editions Bernard Campiche, 200 pages, disponible en librairie au prix de 29 francs.