La Marche bleue a démarré à Genève le 1er avril. Samedi, elle arrivera à Berne pour exiger du gouvernement de véritables mesures contre le réchauffement climatique. Reportage de Nyon à Rolle
Lundi, 3 avril. Gare de Nyon. Un petit groupe de femmes arrivent, encore frigorifiées de leur nuit passée dans un abri PC, et après deux jours de pluie. Mais pas de quoi affaiblir leur détermination et leur bonne humeur. «Mes habits ne sont pas encore secs, mais avec le soleil aujourd’hui, ça va aller», lance en souriant Nolanne, jeune femme bien décidée à arriver à Berne, malgré ses cloques. «La marche, c’est bon pour le moral et la santé, mais elle sert avant tout à instiller un changement structurel concret.» Peu à peu, d’autres marcheuses et quelques marcheurs rejoignent la troisième étape de la Marche bleue qui a pour objectif Rolle: dix-huit kilomètres, avec un arrêt à Gland.
«Samedi, vous étiez 477; 282, dimanche; et aujourd’hui 110! Pour un lundi, c’est énorme, merci!» lance le coordinateur de la journée. Sous les applaudissements, il donne le micro à Irène Wettstein, avocate, co-initiatrice de cette marche climatique dont la couleur bleue fait écho aux océans. «La Marche, c’est se mettre en mouvement, sortir de l’inertie, marquer par chaque pas que le climat est important et que les solutions existent. Nous voulons que des mesures, avec une priorité absolue, soient prises par nos politiques pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre.»
Tout au long du parcours de 22 jours, de la place des Nations à Genève au Palais fédéral à Berne, les marcheuses vont à la rencontre des autorités communales, des universités, des organisations. Une assemblée populaire est prévue à Lausanne, des débats sur l’agriculture et la santé à Neuchâtel, ainsi qu’une journée autour des enjeux économiques à Fribourg. Dans la ville du bout du Léman, le Conseil d’Etat était représenté, ainsi que l’ONU. A Nyon, elles ont été accueillies par la faîtière syndicale Uniglobal.
Marche inclusive
A l’heure où vous lisez ces lignes, vous les avez peut-être croisées sur les chemins de campagne ou les trottoirs des villes. En ce lundi venteux, la centaine de participantes s’élancent, entre discussions, confidences, silences, émerveillements face aux magnolias en fleurs, et à la nature qui s’éveille. Quatre personnes sur des vélos-cargos organisent de petites pauses tout au long du chemin et transportent les affaires de celles et ceux qui dormiront sous tente ce soir. Elise, jeune étudiante, a tenu à porter son sac, par habitude: «C’est comme mon doudou», sourit celle qui est familière de périples au long cours en solitaire. «Je trouve génial de marcher en groupe pour cette cause. Seule, on se sent parfois impuissante. Ce qui me frappe, c’est ce très bel esprit communautaire, cette joie d’être là, cette solidarité. C’est l’occasion de faire des rencontres extraordinaires.»
Entre sentiers bucoliques et bords de route, les rives du lac sont quasi délaissées. «Ici, on ne peut pas passer, il y a le golf, puis la maison de Bertarelli, celle de Schumacher et encore une autre de Bertarelli», désigne une habitante de la région. Tout un symbole…
Des gouttes d’eau font l’océan
«Ce mouvement nous réunit au-delà des partis politiques et des frontières», lance Elise Buckle, cofondatrice de l’organisation She changes climate, lors d’une pause. Elle souligne la sororité qui émane de la Marche, et appelle à la solidarité: «Les 80% des réfugiés climatiques sont des femmes. Or, il est prouvé que plus il y a de femmes dans des postes-clés, plus les politiques pour l’environnement sont fortes. Nous sommes encore sous-représentées, il faut donc que ça change. Nous sommes chacune une goutte d’eau, et nous allons créer des rivières et des océans d’espoir. Avec ce fleuve qui arrive sur Berne, le Parlement ne pourra plus ignorer notre message!»
Après des applaudissements nourris, la troupe se remet en marche. Claire Warmenbol, collaboratrice à l'Union internationale pour la conservation de la nature déclare: «Ceux qui ont signé l’Accord de Paris doivent tenir leur promesse. C’est évident. Il n’y a aucune excuse.» A Gland, la Municipalité accueille les marcheuses avec un pique-nique bio et végétarien, tout en lui présentant son plan climat. L’Appel de la Marche bleue qui demande le respect de l’Accord de Paris – notamment la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre de moitié d’ici à 2030 en vue d’atteindre le niveau net zéro avant 2050 – est remis à la syndique. Irène Wettstein souligne: «Nous faisons face à un défi colossal. Nous ne marchons pas pour nous promener, mais pour une question fondamentalement grave: la planète est malade. Les scientifiques doivent être entendus.»
En aparté, Dorota Retelska, spécialiste des questions climatiques, alerte: «Selon le GIEC, les changements sont plus rapides que prévus. Les catastrophes seront plus grandes que ce qui arrive déjà. Rappelez-vous des inondations en Allemagne et en Belgique, et des vagues de chaleur… Il faut agir maintenant, préparer notre société à être résiliente, et à faire le maximum pour arrêter le réchauffement climatique qui menace nos vies.»
Voter oui le 18 juin
Hasard du calendrier, cette marche s’inscrit juste après que les Aînées pour le climat ont été entendues par la Cour européenne des droits humains (CEDH) à Strasbourg, et avant la votation du 18 juin sur la Loi climat. L’occasion de sensibiliser les personnes rencontrées au fil du chemin. Philippe assène: «Il faut à tout prix voter oui pour que les émissions de la Suisse soient réduites de moitié d’ici à 2030. Ce qui signifie mettre un terme aux énergies fossiles, soit modifier notre manière de vivre.» L’ingénieur à la retraite ne cache pas son énervement contre les technophiles: «Le stockage du CO2 ne résoudra rien! Il suffit de faire trois calculs au coin d’une table, pour se rendre compte que c’est impossible.»
Arrivées à Rolle, les marcheuses se dispersent entre la rencontre avec les autorités, l’installation au camping ou encore le train pour rentrer chez elles. Mais toutes se promettent de se retrouver sur le chemin. Enthousiaste, Nolanne enjoint: «La Confédération se doit de nous écouter. Vive la Marche bleue! Rejoignez-nous!»
Zoé et Anna, 10 ans, écolières: «On veut aider notre planète, le climat c’est super important. Donc rater l’école un jour, c’est à peu près rien. Dans le futur, on espère que les villes seront plus naturelles, que les enfants iront tous à pied à l’école, qu’on utilisera moins d’énergie, et qu’il y aura plus de panneaux solaires sur les toits. On demande que le gouvernement nous aide à protéger la nature, et donne de l’argent aux pays les plus pauvres.»
Ella, 19 ans, étudiante: «Quand on lit le dernier rapport du GIEC, cela ressemble à de la science-fiction mais cela n’en est pas. Ma génération a toujours su que cela allait être difficile, mais on pensait que nos manifs pour le climat allaient suffire pour que les politiciens agissent. On ne se rendait pas compte de la force des lobbies des énergies fossiles. Mais il n’est jamais trop tard. Toutes les fractions de degré de réchauffement qu’on peut éviter, c’est des vies sauvées. Remettre en question la surconsommation, revenir aux choses qui ont du sens, prioriser l’entraide et la solidarité, imaginer, à chacun de trouver son action pour contribuer à sauver la vie sur Terre.»
Laurence, 51 ans, artiste: «On a pris conscience des problèmes, mais on reste dans le déni ou dans la sidération. Mon déclic a été de voir le glacier du Rhône bâché. J’ai compris que l’environnement demandait qu’on s’engage. Traverser nos villes, nos villages, cela permet de vivre par le corps, cette disponibilité au changement. On a été habitué au confort et à la vitesse. Face aux réseaux sociaux, face à la panique, il nous faut redécouvrir la contemplation, l’émerveillement sans jugement, ce calme intérieur, cette sérénité...»
Françoise, 65 ans, médecin: «Tout le monde se moquait de moi quand j’ai posé des panneaux solaires sur le toit de ma maison il y a trente ans. Même si on avait des idées, même si on manifestait contre l’énergie atomique et pour la paix, même si j’ai toujours dénoncé le rouleau compresseur néolibéral, on n’a pas réussi à faire le contrepoids pour barrer la route à la politique des trois A: argent, argent, argent.»
Catherine, 71 ans, enseignante à la retraite: «Je marche pour la paix et pour l’écologie. Ça nous rassemble, ça nous met en confiance, c’est important. Les grandes manifs pour le climat ont eu des effets. Nous devons continuer à mettre la pression sur le Parlement et le Conseil fédéral. On n’a plus le temps de tergiverser. J’espère qu’il y aura beaucoup de monde à Berne pour faire avancer la cause climatique et sauver la biodiversité.»
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