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«En tant que jeune, c’est dur de comprendre qu’on est “illégal”»

Conférence pour les 20 ans du collectif.
© Olivier Vogelsang

Des membres fondateurs du Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers, dont Byron Allauca (à droite), ainsi que des représentants d’associations membres de la Plateforme Papyrus Vaud et de nombreuses personnes sans statut légal ou récemment naturalisées étaient présents dans les locaux de la Fraternité à Lausanne le 1er juin dernier.

Le Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers et la Plateforme Papyrus Vaud ont célébré les 20 ans du collectif luttant pour la régularisation des personnes sans statut légal. L’occasion de remettre en lumière une problématique toujours actuelle

«Il y a 20 ans, c’était la chasse aux sans-papiers. Les policiers montaient dans les bus pour contrôler les migrantes sud-américaines. Lorsque nous avons créé le Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers (CVSSP), nous pensions qu’on obtiendrait la régularisation de tous après deux ou trois ans. Eh bien, non. Cette situation continue d’exister. Tant qu’il y aura de la pauvreté sur les autres continents, les gens chercheront à travailler ailleurs.» Membre fondateur et président du collectif, Byron Allauca a introduit la conférence de presse tenue le 1er juin dernier au Centre social protestant de Lausanne, à l’occasion du 20e anniversaire du CVSSP. Un moment annonçant la fête tenue deux jours plus tard, et permettant de faire le point sur les travaux de la Plateforme Papyrus Vaud, lancée en 2019. Une plateforme regroupant 46 associations, services sociaux, syndicats, dont Unia, Eglises et partis politiques.

L’avocat Christophe Tafelmacher, également fondateur du CVSSP, a rappelé les débuts du mouvement de défense des personnes sans statut légal, qui a culminé fin 2001 avec une manifestation à Berne rassemblant 10000 participants dont de nombreux sans-papiers. «Cet événement fondateur a fait sortir de l’ombre ces gens qui ne sont pas des clandestins, pas des délinquants, seulement des travailleurs voulant vivre ici. La plupart ont un passeport, une carte d’identité, mais pas de permis de séjour. Et beaucoup sont “au gris”, ils paient leurs assurances sociales.» A l’heure actuelle, la scolarité des enfants n’est plus un problème, a-t-il ajouté, mais les choses se gâtent dans le postobligatoire. D’où l’importance d’une opération Papyrus en terres vaudoises, telle que celle menée à Genève qui a permis de régulariser près de 3000 personnes. L’avocat a encore souligné le paradoxe d’une économie qui a besoin de leur travail et d’une législation extrêmement restrictive, pouvant envoyer en prison un père de famille parce qu’il travaille.

L’opération Papyrus à Genève a écarté deux risques, a expliqué Myriam Schwab, du CSP Vaud: celui d’occasionner un appel d’air et celui d’une hausse de l’aide sociale. Dans le canton de Vaud, un tel processus a été bloqué par un vote du Grand Conseil, a-t-elle indiqué. Mais cela n’arrêtera pas le mouvement. «En collaboration avec Unia, le CSP a organisé une conférence sur la question début 2019. La salle était comble. Au vu du nombre de personnes, on s’est dit qu’il fallait aller de l’avant.» Peu après naissait la Plateforme Papyrus Vaud. Une pétition exigeant la régularisation des travailleurs et des travailleuses sans papiers est lancée, et remise, en décembre 2020, au Conseil d’Etat. Près de 10000 personnes l’ont contresignée. Une entrevue était prévue avec le conseiller d’Etat Philippe Leuba, mais seuls étaient présents des responsables du Service de la population, ouvert pour sa part à des régularisations au cas par cas. Or, c’est loin d’être suffisant: 50 à 100 personnes seulement obtiennent un permis chaque année, alors que le canton compte environ 12000 sans-papiers. Les élections passées, la plateforme va solliciter le nouveau Conseil d’Etat. «Il faut que deux ou trois conseillers d’Etat aillent à Berne pour discuter d’une régularisation collective. Nous avons besoin du soutien politique des autorités, comme à Genève», a plaidé Bryan Allauca, avant de laisser la parole aux personnes sans statut ou fraîchement régularisées, prêtes à partager leur vécu. Témoignages.

TÉMOIGNAGES

Claudelina, 35 ans, nounou, femme de ménage, dame de compagnie, serveuse, Paraguay.

J’ai été régularisée il y a neuf mois. Le plus dur, lorsque j’ai démarré le processus, c’est le temps fou pour faire les démarches et rassembler les documents. J’ai d’abord pris un avocat, et ça n’a pas marché. J’ai continué avec le collectif. Ça a duré trois ans en tout. Si j’avais pu commencer plus tôt, j’aurais démarré des études. Durant la procédure, je n’ai pas eu peur de l’expulsion, je savais que c’était un processus administratif. Mais j’ai été choquée du premier refus, basé sur des mensonges: il était prétendu que j’avais cinq enfants au pays, ce qui est faux! Je suis ici depuis quinze ans et demi. J’avais rejoint ma sœur. J’ai toujours travaillé chez des familles. J’ai eu des employeurs magnifiques, très humains, mais d’autres où c’était tout le contraire.

Ce qui est important pour moi, c’est que notre travail soit reconnu. Avec mon permis de séjour, les portes professionnelles s’ouvrent. Je souhaite me former dans la petite enfance, domaine où j’ai de l’expérience et qui me passionne. Avec cette régularisation, je suis quelqu’un, un être humain, reconnue en tant que tel.

Durant ces années sans permis, je n’ai jamais eu peur de la police. Petite, je voulais être policière! Mais un permis change tout, surtout pour mon avenir professionnel. Je suis aussi plus tranquille émotionnellement. Ça a été une sorte de délivrance. Je me suis rendu compte que quelque chose me pesait sans que j’en aie pleinement conscience.


Toni*, 39 ans, ouvrier dans le second œuvre, Kosovo.

Je suis en Suisse depuis 2008, chez ma sœur. J’ai attendu un an avant de trouver un emploi. Depuis, je travaille légalement, mes charges sociales sont payées, je paie mes impôts, ma caisse maladie. Aujourd’hui, je fabrique des meubles de luxe pour les horlogers dans une grande entreprise. J’allie mon métier d’électricien, dont le papier n’est pas reconnu en Suisse, avec la menuiserie. J’ai été très bien accueilli dans cette société. J’en suis très reconnaissant.

J’ai déposé mon dossier le mois passé. J’attends une réponse du Service de la population. J’espère qu’il prendra une décision positive! Avoir un statut légal est important. Depuis 2008 j’ai construit ma vie ici, j’y ai mes amis. C’est très difficile, on ne peut pas passer de frontière, on est enfermé en Suisse. Ça me pèse de ne pas pouvoir me déplacer. Bien sûr, en Suisse il y a de beaux endroits à visiter, mais je n’y vais pas, je crains les longs trajets et les risques de contrôles.


Lucia, 56 ans, femme de ménage, dame de compagnie, Amérique du Sud.

Je suis arrivée il y a seize ans. A la télévision, on nous parlait tous les jours de l’Australie, de l’Irlande, qui manquaient de main-d’œuvre. J’avais des amis en Suisse et m’y suis arrêtée pour les voir avant d’aller en Irlande. Finalement, je suis restée. J’ai trouvé un travail dans une famille, avec trois enfants. Je faisais tout, de 6h du matin à minuit, tous les jours de la semaine, pour environ 1500 francs par mois, nourrie, logée. Il m’arrivait de faire du repassage jusqu’à 2 ou 3 heures du matin... Je me suis ensuite occupée de personnes âgées, chez qui j’étais logée, car je n’avais pas d’argent pour un appartement. J’ai aussi travaillé chez une personne handicapée. C’est elle qui m’a poussée à faire des ménages. Cela m’a permis de gagner assez pour vivre de manière indépendante.

Maintenant, j’ai un studio, mais au début, je louais une chambre chez des gens qui profitaient de moi et d’autres personnes. Je payais 600 francs juste pour un lit. En cas de problème, on est menacée, et on ne peut appeler la police, risquant une amende et l’expulsion. C’est triste, et c’est horrible de vivre comme ça. Une autre fois, je dormais sur un canapé-lit. Durant tout l’hiver, ils mettaient toutes mes affaires, draps, habits, etc., sur le balcon. Quand je rentrais le soir, tout était glacé…

J’ai fait deux demandes de régularisation. La première a été refusée, et j’ai écopé d’une amende de 3000 francs pour travail sans permis! La 2e aussi. J’ai reçu un avis d’expulsion. Je risquais de passer 18 mois en prison, sans avoir droit à un avocat! La cause du premier refus était que je n’étais pas depuis dix ans en Suisse, mais mon salaire était suffisant. Et le 2e, le temps passé en Suisse était correct, mais mon salaire, de 1500 francs, était trop bas. Maintenant, j’ai trouvé davantage de ménages. Je suis inscrite à chèques-emplois. C’est très important, pour les charges sociales et pour prouver que l’on gagne suffisamment. Je vais bientôt déposer une nouvelle demande. J’ai trois enfants au pays. Grâce à mon travail, j’ai pu payer l’université à ma fille. J’espère bientôt les revoir.


Vitoria, 21 ans, gymnasienne, 1re année, Brésil.

J’avais presque 16 ans quand je suis arrivée. J’ai fait trois mois en classe d’accueil, mais je n’avais pas le droit d’aller au gymnase. Ma demande de permis de séjour a été déposée l’an passé. On doit prouver que l’on a des bonnes notes, qu’on est bon élève. Cela aide aussi pour les démarches de nos parents. Ma maman est femme de ménage, mon papa travaille dans un restaurant. Durant le Covid, ils n’avaient plus d’emploi, ils ont dû chercher des aides financières. J’ai fait des stages pour trouver un apprentissage, mais les employeurs me disaient tous: «Malheureusement, on ne peut pas vous garder.» Finalement, j’ai réussi à entrer au gymnase du soir. Le papier attestant que notre demande de régularisation est en cours m’a aussi permis de trouver un emploi dans un grand magasin. Ça change tout de faire cette démarche, et je n’ai plus peur de prendre le train.

On fait partie du marché du travail. On a besoin d’une loi qui nous rassure, nous protège. On a envie d’étudier, de fonder une famille. Avec un permis, les gens peuvent travailler sans être exploités et défendre leurs droits.


Jeovana, 20 ans, étudiante en médecine, 1re année, Brésil.

Depuis trois ans, ma maman et moi avons un permis. Cela faisait quatre ans que j’étais en Suisse, et ma maman entre huit et dix ans, quand nous avons entrepris la démarche. C’était horrible d’être ici sans permis. J’avais en permanence la crainte de devoir repartir. Ma tante avait été arrêtée lors d’un retour au pays et a dû y rester trois ans avant de pouvoir revenir. Ça a été un grand choc pour moi, j’ai été angoissée pendant des semaines.

Je suis arrivée à l’âge de 13 ans. A l’école, j’étais en prégymnasiale. Ce n’était pas évident de se dire que mes camarades avaient le droit d’être là et moi pas. En tant que jeune, c’est dur de comprendre qu’on est «illégal». On sent qu’on fait partie d’une communauté, mais on n’est pas assez Brésilienne pour être Brésilienne, et pas assez Suisse pour être Suisse. Je suis heureuse d’avoir obtenu ce permis, qui me permet d’aller à l’université, ce que j’avais toujours souhaité. Sans papiers, on ne nous donne aucune chance, même pour un apprentissage. Et les profs manquent d’informations pour nous aider.

Il y a beaucoup de xénophobie en Suisse. Certains pensent qu’on vient pour être au social; or, ce n’est pas ça du tout. Même avec le permis B, je n’ai pas le droit à une bourse d’études. Ma maman fait énormément de ménages pour nous offrir une bonne vie. Ne pas donner de permis à des personnes qui travaillent, c’est accepter qu’elles soient exploitées!


René*, 39 ans, jardinage, employé de maison, aide de cuisine, île Maurice.

Cela fait onze ans que je suis en Suisse. Je suis marié, j’ai une fille de 7 ans née ici. Nous sommes venus chez la tante de ma femme. C’est plus difficile pour un homme de trouver du travail. Mon épouse a tout de suite fait des ménages. J’avais des petits boulots, des déménagements, du jardinage. Après un an, j’ai trouvé un emploi fixe dans le magasin d’un oncle, mais un matin, le Service de l’emploi est passé pour un contrôle. Par chance, je n’étais pas là, mais j’ai dû arrêter. J’ai travaillé chez une riche famille indienne. Des gens impolis, qui maltraitaient leurs employés. La patronne nous insultait. Je faisais un peu tout, du nettoyage, l’aide à la cuisine. Nous avions un salaire, mais c’était de l’esclavage. Je démarrais mes journées à 6h et je ne savais jamais quand je finirais. Je n’ai pas osé les dénoncer au syndicat. Une dame sans papiers l’a fait et a déposé une plainte pour maltraitance. Après six mois, j’ai arrêté. Sans permis, je ne pouvais pas faire partie du personnel qui les accompagnait durant leurs vacances. Maintenant, je suis jardinier un jour par semaine chez une famille très gentille et respectueuse. Ils m’ont déclaré à l’AVS et paient les impôts et toutes les charges sociales. Le reste du temps, je suis aide-cuisinier dans un restaurant.

Ma fille est scolarisée, elle a des bonnes notes et est bien intégrée. Je prépare le dossier pour la régularisation. Il faut que l’on gagne 2300 francs par personne plus 300 francs par enfant, pour pouvoir le faire. C’est beaucoup… On doit aussi rechercher toutes les factures ou pièces prouvant que l’on est là depuis un certain nombre d’années.

Nous comptons beaucoup sur Papyrus. J’ai lu ce matin dans la presse qu’il manquait 100000 personnes sur le marché de l’emploi. J’ai un grand sentiment d’injustice. Ils veulent des Européens qui doivent apprendre la langue, et nous, on est déjà là, et on parle le français! Ça fait mal au cœur. Nous ne demandons rien, juste de pouvoir travailler honnêtement.

* Prénoms d’emprunt.

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