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«Il faut mener un travail de construction syndicale en profondeur»

Dialogueurs d'Unia.
© Olivier Vogelsang

Pour recruter, Unia également aussi les services de démarcheurs de rue, les «dialogueurs», qui tiennent des stands dans les grandes villes sur le modèle des ONG.

Le dernier congrès d’Unia a fixé pour objectif le renforcement des réseaux militants et des capacités de recrutement. Un département du syndicat s’attelle déjà à cette tâche

«Notre priorité est de renverser la vapeur, car sans les membres, Unia n’est rien.» Le 4 juin dernier, durant le congrès du syndicat, la présidente, Vania Alleva, a sonné le tocsin de la mobilisation. Entre 2016 et 2020, le nombre d’adhérents et d’adhérentes est en effet passé de 201000 à 182000. Les délégués au congrès ont fixé comme objectif de stopper cette hémorragie et de gagner au moins 1000 membres par année, non seulement dans les branches où Unia est actif, en renforçant les réseaux militants et les capacités de recrutement, mais aussi là où il est trop peu présent, comme dans les services. La branche des soins, où 250000 personnes travaillent pour un taux de syndicalisation de seulement 5%, est particulièrement visée.

«Croître dans les soins est possible et même absolument nécessaire. Y renforcer la présence syndicale est dans l’intérêt de tous, car personne ne peut se passer de soins, et des soins de qualité exigent de bonnes conditions de travail. Or, celles-ci sont, dans cette branche, poussées à l’extrême, comme l’a révélé le Covid. Beaucoup de collègues sont épuisés, souffrent de sous-dotation en personnel, de surcharge de travail et veulent abandonner leur métier, rapporte Enrico Borelli, coresponsable de la branche des soins d'Unia. Au-delà des seuls chiffres de recrutement, ce qui me paraît important, c’est de mener un travail de construction en profondeur, de renforcer les positions du syndicat, les forces militantes et les droits des travailleurs et des travailleuses. L’un des premiers défis que nous avons à relever est le manque de droits syndicaux.»

Cultiver une tradition syndicale

Ce travail en profondeur, cet ancrage plus solide dans les entreprises, le congrès 2016 d’Unia l’avait voulu en décidant de verser 20 millions de francs dans un fonds spécial. Le projet a mis du temps à être lancé, mais un département de construction syndicale a finalement vu le jour. Et 39 nouveaux postes de secrétaires syndicaux ont été ouverts, des programmes ont été lancés dans de nombreuses branches et plusieurs centaines de nouveaux militants ont été recrutés. C’est certainement dans le transport et la logistique que les résultats les plus visibles et concrets ont été obtenus. A Genève, une grève a été menée chez XPO et les conditions de travail et d’engagement des livreurs de repas se sont sensiblement améliorées, tandis que, sur le plan national, une lutte de longue haleine est engagée chez DPD depuis l’hiver dernier. Entre autres. «Le recrutement ne constitue qu’une partie de notre mission. Nous travaillons aussi à construire des réseaux de salariés, à monter des cahiers de revendications dans certaines entreprises et à cultiver une tradition syndicale. Nous essayons de former des comités, d’aller là où les conditions de travail sont difficiles. Avec comme objectif de réglementer la branche, d’obtenir une convention collective de travail (CCT) et de mettre en place des processus de syndicalisation», explique Aymen Belhadj. En charge de la logistique pour la Suisse romande, ce secrétaire syndical avoue que la tâche n’est pas simple. «Paradoxalement, plus il y a de précarité, plus le travail syndical est difficile. Nous ne disposons pas des facilités d’autres branches, comme la construction ou le second œuvre, et faisons face à plusieurs contraintes. Nous nous adressons à une main-d’œuvre d’origine étrangère, qui craint pour son emploi et son statut de séjour. Et nous sommes, en outre, confrontés à des entreprises au comportement antisyndical, à l’instar de DPD.»

Mobilisation d'employés de XPO.
En matière de construction syndicale, des résultats concrets ont déjà été obtenus dans le transport et la logistique A Genève, une grève a été menée chez XPO et les conditions de travail et d’engagement des livreurs de repas se sont sensiblement améliorées, tandis que, sur le plan national, une lutte de longue haleine est engagée chez DPD depuis l’hiver dernier. © Unia/archives

 

«Il est essentiel d’impliquer les membres»

Le rapport d’activité d’Unia présenté au congrès note que les secrétaires syndicaux du département sont «souvent intégrés dans les tâches quotidiennes d’une région». «J’ai dû remplacer une secrétaire syndicale et prendre un secteur, participer à des commissions officielles, des campagnes, et répondre à des urgences, ce qui laisse peu de temps pour participer à la construction syndicale», témoigne Alejo Patiño, actuellement responsable de la branche horlogère à Genève.

«Pour moi, la construction syndicale doit, à partir de petits ou de grands conflits, permettre de créer un rapport de force dans l’entreprise par la consultation permanente et la prise de conscience du personnel que ce n’est que par les décisions collectives, de petits sondages, des pétitions, des actions symboliques ou la grève, qu’il sera possible d’améliorer les conditions de travail.» Pour Alejo Patiño, cette prise de conscience de la nécessité de l’action collective est l’élément primordial pour améliorer le taux de syndicalisation. «Il est essentiel que les décisions importantes soient prises collectivement, que les membres aient conscience d’être impliqués, que le secrétaire syndical n’est là que pour aider et conseiller. Cela peut paraître une évidence, mais le problème est de mettre ce principe en pratique.» Il faut à la fois faire bouger l’appareil syndical et bousculer les directions d’entreprises. «Les CCT et la loi offrent quelques possibilités qu’il faut utiliser. Chez Piaget, par exemple, nous avons récemment dénoncé les horaires fluctuants et voulions faire une assemblée qui nous a été refusée pour des raisons sanitaires. Nous avons alors négocié une consultation par courriel.» Sans rapport de force, les délégués et les secrétaires syndicaux négocient «ce qu’ils peuvent, pas ce qu’ils veulent», remarque le syndicaliste. «Cela peut créer une incompréhension du personnel à qui s’applique l’accord négocié et, finalement, une distanciation vis-à-vis du syndicat et donc moins d’adhésions.»

Les syndicats maigrissent, mais leur poids augmente

Unia n’est pas le seul à perdre des membres, les principaux syndicats voient aussi leurs effectifs s’éroder. En 2002, le taux de syndicalisation en Suisse atteignait 25%, il a fondu à 17,9% en 2019, soit moins de 700000 adhérents. Première explication: dans le secteur secondaire, les emplois dans la production ont diminué, alors qu’augmentait le nombre des techniciens et des cols blancs que le syndicat recrute plus difficilement. Ces pertes n’ont été que partiellement compensées dans le tertiaire. Seconde interprétation possible: la gauche et les syndicats ont essuyé autour de la décennie 1980 une défaite idéologique qu’ils paient encore. On se souvient de la formule de Thatcher: la société n'existe pas. Porté par le libéralisme, l’individualisme s’est répandu là où autrefois les ouvriers et les travailleurs immigrés dans les usines et les chantiers étaient encadrés par des militants de gauche qui servaient de relais. Malgré cet affaiblissement, les responsabilités se sont accrues: plus de 2 millions de salariés dans le privé sont couverts par une CCT, alors qu’ils n’étaient que 1,4 million il y a vingt ans. Et l’on peut rester raisonnablement optimiste sur les possibilités de rebond. Il y a quelques années à peine, le féminisme était vu comme un mouvement ringard et dépassé. Les syndicats ont impulsé la grève des femmes de 2019 et, aujourd’hui, des dizaines de milliers de femmes, notamment de jeunes, s’affichent ouvertement féministes.

Recrutement sur un chantier.
Unia entend pallier la perte de membres et recruter de nouveaux adhérents non seulement dans les branches où il est actif, à l’image de la construction, mais aussi dans des secteurs où il est moins présent, comme celui des services. © Olivier Vogelsang

4000 adhésions par an, l’objectif des dialogueurs

Pour recruter, Unia utilise aussi les services de démarcheurs de rue, les «dialogueurs», qui tiennent des stands dans les grandes villes sur le modèle des ONG. «Depuis le début de l’année, les dialogueurs sont engagés directement par Unia. Nous avons agrandi l’équipe et pouvons tenir chaque jour huit stands, dont trois en Suisse romande», explique Philipp Ginsig, chef de projet développement de membres chez Unia. «Si les secrétaires syndicaux peuvent se rendre sur les chantiers ou dans certaines usines, ils n’ont en général pas le droit d’entrer dans les magasins, les centres de soins ou les établissements publics. Ces stands nous permettent de toucher ces salariés du secteur tertiaire, avec qui nous n’avons pas de contact, lorsqu’ils rentrent du travail ou se promènent en ville. Nous visons à obtenir ainsi au moins 4000 adhésions confirmées par année.»

«Ce travail demande une grande aisance relationnelle, souvent les personnes que nous abordons sont pressées et nous n’avons pas beaucoup de temps pour discuter», souligne Rémi Luce, responsable des stands en Suisse romande. Autre difficulté, les dialogueurs sont en première ligne lorsque le syndicat est le sujet d’articles négatifs dans la presse. Mais la démarche offre une «excellente visibilité et un relais de communication direct. C’est un nouvel outil important, notamment pour le tertiaire, il ne demande qu’à être exploité de façon optimale, nous y travaillons en essayant de l’améliorer.»


Faut-il revoir les cotisations?

Pour faciliter le recrutement, faut-il revoir le barème des cotisations? Machiniste et délégué d’Unia Fribourg, Eric Ducrey est intervenu en ce sens au congrès. Pour un revenu de 1000 francs, les cotisations se montent à 1,59%; à partir de 4000 francs, elles représentent 1%; alors que, dès 6500 francs, elles ne sont plus que de 0,78%, a alors calculé celui qui, entretemps, a été engagé par Unia comme secrétaire syndical. «Ceux qui gagnent 6500 francs et plus travaillent souvent dans une branche conventionnée et bénéficient de contributions professionnelles. Par exemple, dans la construction où je suis actif, la cotisation que nous payons est assez maigre grâce au fonds paritaire. Par contre, une travailleuse de la vente, elle, paie plein pot, soit au moins 30 à 35 francs par mois», explique le syndicaliste, qui verrait bien le barème de 1% s’appliquer à tous. Le règlement d’Unia sur les cotisations précise d’ailleurs que celles-ci doivent correspondre à au moins 1% du salaire mensuel. «On pourrait aussi envisager de se montrer plus solidaire envers ceux qui tirent la langue. Je crois d’ailleurs que c’est indispensable si nous voulons recruter en masse dans le tertiaire comme dans la construction. C’est, en tout cas, un aspect qu’il me semble important de discuter.»

Convoqué en 2023, un congrès extraordinaire consacré aux structures du syndicat, «Unia 2.0», débattra des modèles d’affiliation.

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