Ils ne veulent pas enterrer la Tuilerie de Bardonnex
Les travailleurs et leurs soutiens demandent le redémarrage de la production sous le contrôle d’une coopérative ouvrière
A Genève, les ouvriers de la Tuilerie de Bardonnex, leurs soutiens et les défenseurs du patrimoine maintiennent la pression. Ils demandent le redémarrage de la production sous le contrôle d’une coopérative ouvrière.
Pour mémoire, l’exploitant de la tuilerie, le groupe Gasser Ceramic, a décidé de fermer l’usine pour concentrer la production sur son site de Rapperswil (BE). Soutenus par les syndicats Unia et Syna, les travailleurs se battent depuis l’été dernier pour sauver cet établissement fondé après-guerre. Ils ont obtenu l’appui des autorités genevoises. Le Conseil d’Etat a trouvé six millions de francs pour poursuivre la production durant deux ans au moins et constituer des stocks de cette tuile plate et jaune caractéristique souvent utilisée lors des rénovations pour habiller les toits des bâtiments et des monuments historiques.
Gasser Ceramic n’a pas donné suite à cette offre, a éteint le four fin décembre et licencié les salariés. Les représentants du personnel ont réussi à conclure un plan social pour les treize ouvriers et les dix employés de l’administration et de la commercialisation, dont sept ont bénéficié d’une solution de reclassement.
Ce retrait de Gasser Ceramic ne signe pas la fin de cette histoire puisqu’il ouvre la voie à la reprise de la production par une coopérative ouvrière. Cette structure a été constituée à l’initiative d’Yves Peçon, architecte et retraité de l’Office du patrimoine et des sites, de l’ancien maire de Genève Rémy Pagani et du sociologue Alain Clémence.
Argramat, la société propriétaire du site, rejette toutefois cette solution. Le président du conseil d’administration, Alexandre Despond, a refusé de rencontrer les représentants de la coopérative. La société Morandi Frères avait cédé la tuilerie à Gasser Ceramic en 2009. Feu Claude Morandi, le dernier propriétaire de l’entreprise, ayant souhaité conserver les terrains, la société Argramat a vu le jour et s’est spécialisée dans l’immobilier. Alexandre Despond n’est autre que le gendre de Claude Morandi.
Une délégation de travailleurs, de syndicalistes et de membres de la coopérative ont voulu, jeudi dernier, se rendre à la tuilerie pour demander à Argramat de revenir sur sa décision. Ils ont été tenus à bonne distance par la police à la demande de l’entreprise. C’est au milieu d’un rond-point qu’ils ont déposé un cercueil portant l’épitaphe «Argramat tue la Tuilerie de Bardonnex».
«C’est un pan d’histoire qui disparaît, l’enterrement d’un savoir-faire lié à ces familles tessinoises émigrées en Suisse romande pour exploiter des tuileries et briqueteries. C’est un véritable crève-cœur», soupire Yves Peçon. «Argramat a clairement des projets pour faire du fric, beaucoup de fric», déplore Ibrahim Diallo, président du comité de soutien des travailleurs. En plus de la tuilerie et du savoir-faire, c’est le gisement d’argile attenant qui risque d’être perdu. «Il s’agit d’un gisement exceptionnel en qualité, une terre extrêmement fine et stable», indique Yves Peçon.
«Nous nous battrons jusqu’au bout»
«Le plus dur est l’impression d’avoir été viré comme un malpropre, pour moi c’est le plus terrible», confie Christian. Cet employé au contrôle qualité est entré à la tuilerie en 1984. «C’est mon premier emploi… C’est dommage que ça s’arrête comme ça. S’il n’y avait pas de boulot, de commandes, nous pourrions comprendre. Mais depuis le mois d’août dernier, on devait refuser des commandes – le groupe nous interdisait d’en prendre de nouvelles – et nous avons beaucoup travaillé pour honorer celles passées avant cette date.» Contremaître à la préparation des argiles, son collègue Toni a aussi fait toute sa carrière à Bardonnex: «J’ai commencé ici à 18 ans. Aujourd’hui, à 54 ans, vous pouvez imaginer qu’il n’est pas facile de retrouver un travail.»
«Tant que l’usine n’est pas détruite, il reste de l’espoir de relancer la production. L’Etat a un rôle à jouer. Nous nous battrons jusqu’au bout», déclare José Sebastiao, secrétaire syndical d’Unia Genève. Une demande de classement de la tuilerie et de ses machines a été déposée par Patrimoine Suisse, ce qui interdit à Argramat de démanteler les installations. Une instruction a d’ailleurs été lancée le 11 février par l’Office du patrimoine et des sites après qu’il a été rapporté que des machines étaient démontées. Les syndicalistes évoquent la possibilité d’une réquisition civile par le Canton. Le tuilier Philippe appelle les autorités à la plus grande fermeté: «Elles doivent montrer les dents.»