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La centrale à béton, sa deuxième maison

Paulo Morais aime son métier. Il est employé dans l’entreprise Marti depuis son arrivée en Suisse en 2008.
© David Prêtre

Paulo Morais aime son métier. Il est employé dans l’entreprise Marti depuis son arrivée en Suisse en 2008.

Paulo Morais, maçon depuis l’âge de 12 ans, devenu centraliste béton, raconte son parcours et son amour du métier. Immersion

«Chaque jour, j’arrive vers 6h30 sur le chantier, je me change, je bois un café tranquille avec les collègues, je prépare la machine et je démarre le béton.» C’est avec un grand sourire que Paulo Domingos De Oliveira Morais parle de son quotidien de centraliste au sein de l’entreprise de construction Marti. «J’aime mon métier, sinon je ne serais pas ici…» Une fonction unique au cœur du chantier, un peu à part, même si moins isolé que le grutier. 

En cette journée de février, le soleil peine à percer le brouillard du bord du lac. «Normalement, l’hiver on commence à 8h mais il y a beaucoup d‘équipes genevoises sur ce chantier, donc ça les arrange de débuter à 7h. Et moi aussi. J’aime arriver plus tôt à la maison», admet l’habitant d’Echallens, qui connaît les journées à rallonge quand il doit, à son tour, se déplacer sur des chantiers genevois.

Chantier essentiel

Sur le chantier de la Station d’épuration de Lausanne (STEP), une cinquantaine de travailleurs sont à pied d’œuvre. Les travaux d’agrandissements et de rénovation, devisés à 300 millions de francs, ont commencé en 2015. Pour l’entreprise Marti, le mandat se monte à 21 millions et court d’octobre 2022 à juin 2024 pour la construction de bassins de traitement, soit quelque 18'000 m3 de béton. «Au début du chantier, j'ai dû en fabriquer des quantités énormes pour les murs. Le chantier est technique, car nous avons six sortes de béton, donc six recettes», explique Paulo Morais. «Cette centrale peut faire entre 400 et 600m3 de béton par jour. Les constructions de la STEP sont en béton armé.» Les bassins de traitement des eaux doivent résister à la corrosion, à la carbonatation, et aux attaques sulfatiques. Autant de termes techniques qui désignent le processus de vieillissement du béton. 

«Ce chantier est essentiel pour Lausanne. C’est pour la bonne cause, pour la protection du lac», souligne le travailleur. Le grand défi de l’ouvrage réside dans le fait que la STEP a dû continuer à fonctionner à plein régime. «On a fait un nouveau canal, avant de fermer l’ancien.…»

Travail intellectuel

Maçon, le quarantenaire s’est spécialisé depuis une dizaine d’années dans la fabrication du béton, avec l'une des plus grosses machines de Suisse romande. «Le métier de centraliste demande de la concentration. On travaille surtout avec notre tête. Physiquement, c’est facile…», explique-t-il derrière ses écrans, commandant la centrale par quelques clics de souris. Reste qu’on est loin d’un travail de bureau, car l’ancien maçon s’occupe aussi d’accrocher le tuyau («la chaussette» dans le jargon) et de lourdes chaînes aux bennes pour permettre le transport du béton fraîchement mélangé. Entre autres tâches, il s’agit aussi de contrôler, graisser et nettoyer la machine au Kärcher; et comme dans tous chantiers, être attentif à chaque pas. 

En remontant l’escalier en métal qui mène à sa cabine, il prévient: «Attention à ne pas glisser». A l’intérieur, au moment où le béton est fabriqué, la cabine vibre. «Les silos sont bien pleins, donc ça bouge peu aujourd’hui», sourit celui qui est aussi responsable de la gestion et des commandes des matières premières. Dans la centrale, six silos permettent le stockage et la distribution des différents granulats: des petits cailloux de la gravière de L’Isle au sable d’Ouchy, en passant par le ciment. S’y ajouteront les adjuvants nécessaires pour garantir la bonne consistance du mélange. «Il y a vingt ou trente ans, une dalle ne devait pas être touchée pendant un mois, maintenant c’est sec en trois jours», raconte Paulo Morais. Dans la cabine chauffée, climatisée en été, équipée d’un frigo et d’un micro-onde, il regarde attentivement ses écrans. «Parfois, je prends ma pause et je mange ici, ce qui permet d'éviter d’arrêter la production trop longtemps. C’est confortable! Mais je préfère voir les copains à la pause.» Il regrette que la camaraderie se perde depuis quelques années, faute au stress, faute aux natels… «A chacun de faire comme il veut, mais pour moi l’esprit d’équipe est important», précise-t-il.

Maçon de père en fils

Le talkie-walkie toujours allumé, la communication se fait en français ou en portugais entre deux grésillements. Le centraliste parle surtout avec le grutier qui déplace le béton et avec l’équipe qui réceptionne la benne.

Originaire du nord du Portugal, Paulo Morais a appris le métier, dès l’âge de 12 ans, avec son père. «Après l’école, le samedi pendant les vacances, mon frère et moi on travaillait avec lui dans la construction ou dans l’agriculture», se souvient-il. Il se forme sur le tas, se marie, devient père, achète un appartement. C’est en 2008 qu’il décide de venir en Suisse grâce à son cousin déjà employé par Marti. Son projet: travailler quelques années pour rembourser son emprunt et rentrer au pays. Finalement, c’est son épouse et sa fille, alors âgée de 9 ans, qui le rejoindront. «Pendant cinq ans, c’était dur de vivre loin d’elles, même si je retournais souvent les voir. Aujourd’hui, nous ne pensons plus repartir. Nous sommes bien ici, même si j’adore le Portugal. Mon épouse est femme de ménage pour la commune d’Echallens où nous vivons. Ma fille suit des études de médecine à l’Université de Lausanne. Depuis petite, elle a toujours voulu faire ce métier.» 

Le français, il l’a perfectionné grâce à elle. «Elle m’a toujours corrigé, comme certains amis aussi. C’est important pour apprendre. Mais mon déclic est venu d’une visite chez le médecin peu de temps après mon arrivée. La femme d’un ami m’a accompagné pour faire la traduction. Et cette situation m’a beaucoup gêné.» C’est surtout en regardant des films en français, sous-titré en portugais, qu’il apprendra en autodidacte. «Je savais que le syndicat donnait des cours aussi, mais je n’ai pas pris le temps de les faire…»

Sa deuxième maison

Entre deux remplissages de benne, Paulo Morais raconte des bribes de sa vie d’immigré, et son amour du métier: le béton que l’on mélange, les tests pour les contrôles et les normes, le coup d’œil du spécialiste dans le malaxeur pour savoir si le béton est beau… 

Sa première construction en Suisse est celle qui tient le plus à cœur à l’ancien joueur et fan de foot: les bâtiments de l’UEFA à Nyon en 2009, puis en 2011. Il a participé aussi à la construction du Mudac, à celle de l’Unithèque et, depuis 2022, à la STEP. «Je suis la machine là où elle va… C’est ma deuxième maison. Elle est confortable, car la cabine me protège de la poussière. Quand on travaille avec de petites centrales, c’est plus compliqué, car la cabine est souvent plus petite, voire inexistante», précise celui qui a toujours travaillé pour l’entreprise Marti, comme temporaire au début, avant d’obtenir un poste fixe et de se spécialiser comme centraliste. «Dans le canton de Vaud, il n’y a pas de formation spécifique externe. On apprend sur le terrain par le biais de formations internes», indique Paulo Morais.

Devant ses écrans, il contrôle notamment la température. «On peut sortir le béton au minimum à 15°C et jusqu’à 25°C. Une chaudière en hiver est nécessaire pour maintenir le béton à une température lui permettant de faire sa prise. Dans ce métier, on doit avoir le sens des responsabilités. Même si on n’a pas signé pour faire des heures sup’, parfois on n’a pas le choix quand on doit finir le bétonnage.» 

Supporter le stress

«Heureusement, il y a moins d’efforts physiques. Avant, on coulait le béton à la force des bras, avec pelle et râteau. Maintenant, on a un vibreur. Mais il faut savoir supporter le stress. Tout va beaucoup plus vite qu’avant. Les délais sont plus courts. Et on atteint la limite. Avec toutes les boîtes qui cassent les prix, c’est compliqué aussi pour les patrons…»

Alors que les associations patronales ont refusé d’augmenter les salaires cette année, malgré l’inflation, plusieurs grandes entreprises, dont Marti, ont décidé d’une hausse. «Les conditions sont différentes d’une boîte à l’autre. Je suis chez Marti depuis quinze ans, car elles sont bonnes. Ce n’est pas normal que les salaires n’aient pas été augmentés partout, avec la hausse des prix des assurances, des loyers, de l’électricité. Finalement, au Portugal, on gagne moins mais on s’en sort mieux…», analyse Paulo Morais, syndiqué depuis son arrivée en Suisse, et actuellement vice-président du groupe des maçons d’Unia Vaud. «C’est important pour moi de pouvoir informer et sensibiliser les collègues, car plus on est nombreux plus on est fort.» 

En sortant de la cabine, le soleil inonde l’ouvrier. Il est temps de nettoyer le malaxeur et la benne. Méticuleux, le travailleur souligne l’importance de prendre soin du matériel pour éviter une usure prématurée et le gaspillage. Celui qui connaît toutes les ficelles de la profession conclut, toujours avec le sourire: «J’apprends encore chaque jour dans mon métier, comme dans la vie.»

La STEP, chantier phare

La STEP de Vidy a été construite dans les années 1960. Elle est contemporaine de l’Exposition nationale et de l’autoroute Lausanne-Genève. Actuellement elle traite les eaux usées de Lausanne et d’une quinzaine d’autres communes. L’augmentation de la population et des exigences écologiques ont amené la Ville de Lausanne à réfléchir, dès 2005, à sa rénovation et à son agrandissement. Les travaux ont commencé dix ans après. La Ville estime que d'ici 2030, l’installation sera à la pointe dans le traitement des micropolluants. Gregor Maurer, directeur des projets d’Epura SA*, précise: «La STEP de Vidy est un chantier modèle en termes d’application et de respect des normes légales conventionnelles. Seuls les ouvriers munis d’une carte professionnelle peuvent accéder au chantier. La carte professionnelle est émise par l’Association des commissions professionnelles paritaires (ACPP) de l’industrie vaudoise de la construction qui vérifie le respect des dispositions conventionnelles par l’employeur, ce qui permet de lutter contre les conditions de travail précaires et en particulier contre le travail au noir.»


* Le 20 août 2015, la Municipalité a créé une société anonyme, baptisée Epura, chargée de réaliser les nouvelles chaînes de traitement et d’exploiter les installations de la STEP.

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