A la chasse aux mots
Auteur d'une douzaine de livres Joseph Incardona vient de recevoir le Prix du roman des Romands avec Permis C
Pas question pour Joseph Incardona de renoncer à l'une ou l'autre nationalité. Fils de père italien et de mère suisse, l'homme, tout juste 49 ans au compteur, possède les deux passeports. Et s'est largement inspiré de son appartenance à cette double culture pour écrire Permis C. Un livre nerveux et joliment ciselé où il évoque de manière romancée sa jeunesse de «rital», la difficile intégration dans nos frontières, la Sicile idéalisée de ses vacances «d'où l'on revenait bronzés, plus beaux». Un récit lézardé des fêlures de l'adolescence, rythmé par des déménagements, des mondes qui se côtoient sans se toucher, marqué du sceau de la dure condition d'immigré. «Mais plus que le fait d'être étranger, c'était le statut de nouveau arrivé qui rendait la position assez inconfortable. Il fallait à chaque fois faire ses preuves. Et les autres vous mettaient plus volontiers les bâtons dans les roues qu'ils n'ouvraient de portes», relève Joseph Incardona qui vient de recevoir le Prix du roman des Romands pour cette histoire. Une distinction qui, attribuée par un jury de 500 lycéens, l'enchante. «C'est un très beau prix qui me correspond bien. Particulièrement intéressant puisque décerné par la nouvelle génération et non l'académie», relève l'auteur qui a déjà vu plusieurs de ses ouvrages récompensés. Consécration de son talent allié à sa pugnacité, sa force de travail - rien n'étant allé de soi.
Fragile...
«Après le gymnase, je ne savais pas trop quoi faire. Aucun job ne trouvait grâce à mes yeux. J'ai fini par m'inscrire en sciences politiques.» Sa licence en poche, le jeune homme d'alors décide de devenir journaliste. Trois mois plus tard, le quotidien qui lui a donné sa chance le licencie. «J'écrivais des histoires. Pas des articles. Mais j'ai alors réalisé que c'est ce qui m'intéressait vraiment.» S'ensuit une période de petits boulots, de voyages, de flottement, de pertes de repères, de désarroi où l'écriture demeure néanmoins une constante quand bien même les manuscrits de Joseph Incardona ne trouvent preneur. En 2000, le Vaudois décide de partir à Paris - «une forme de renaissance» - continue à coucher sur le papier des histoires et travaille en parallèle dans un bar. Deux ans plus tard sort son premier livre. Il poursuit alors sur sa lancée, dans la Ville Lumière d'abord, puis déménage à Bordeaux avant de s'installer en 2008 à Genève, exerçant différents métiers en marge de sa passion. «Il m'a fallu du temps avant que je puisse vivre de l'écriture. Je me consacre à cette seule activité depuis cinq ou six ans», observe Jospeh Incardona, également auteur de scénarios pour le cinéma, qui mesure la fragilité de son statut. «Je dépends de mon imaginaire, de ma santé. Je pars à la chasse aux mots. Rien n'est jamais gagné.» Pas de quoi décourager cet homme solitaire, cet individualiste dans le sens anarchiste du terme forgé, via son grand-père italien, à l'idée de ne compter que sur lui. Et engagé dans cette conquête de la liberté, hors système, dans une forme idéale du travail, celle qui «ennoblit, réalise la personne».
Le pouvoir de suggérer
Ecrivant quotidiennement et plus volontiers dans l'inspirante fraîcheur du matin, Joseph Incardona utilise cet «art du pauvre» - il rappelle au passage qu'il vient d'une famille modeste - pour communiquer et exprimer ses points de vue sur le monde, la société. Le roman noir, social, sert le plus souvent ses objectifs. Ses thèmes de prédilection? L'amour, la mort, la trahison, l'ambition, l'amitié, la sexualité, l'abandon... En deux mots, la condition humaine. Avec, en toile de fond, l'époque contemporaine. Et le plus souvent des environnements urbains et des trames ancrées dans des univers concrets. «On en a toujours eu besoin du conteur. De tous temps. Pour échapper à nous-mêmes. Prendre du recul. Les arts, en général, sont indispensables à notre équilibre mental», précise encore l'écrivain qui adore lire et raconter des histoires en soignant la langue. Amoureux du style et de son pouvoir de suggérer, entre les lignes, des émotions. Plutôt que d'écrire qu'une femme est heureuse, il opterait par exemple pour la variante suivante: «Elle croisa son reflet dans une vitrine et elle sourit.»
Les stimuli du désir
Boulimique de vie, doux mais parfois aussi colérique - «j'exprime mes émotions» - Joseph Incardona dit se ressourcer dans la nature. Ou plutôt dans ses interactions avec les éléments. Il aime ainsi se baigner dans le lac, courir dans les bois... Dans la salle de boxe, il se plaît à éprouver son corps, «à intégrer le mouvement dans sa vie». Son atout? L'ironie. Sa capacité à rire de lui-même, à prendre de la distance, si nécessaire «pour éviter dépression et suicide, rebondir lors de situations difficiles».
En couple, père d'un enfant de 9 ans, l'écrivain confie encore être heureux, associant le bonheur à une somme de petites choses. Et sans exclure dans l'existence, le malheur, la friction «qui font partie du jeu». «Il faut prendre ce qui vient. Eviter d'élever des cloisons. Et tendre dans la joie consciente du monde. Le plus important, c'est d'avoir des désirs. Peu importe qu'on les réalise ou non.» Avec cette envie toujours chevillée au cœur, celle d'être lui-même. Cet écrivain qui file, rêvant déjà de la prochaine page à noircir...
Sonya Mermoud
Permis C paru aux éditions BSN, G. Merrone, 227 pages, disponible en librairie