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La machine à écrire, une mécanique intemporelle

Jacques Perrier.
© Thierry Porchet

Jacques Perrier, fondateur et cheville ouvrière du Musée de la Machine à écrire.

Jacques Perrier répare les machines à écrire depuis près de 50 ans, et les collectionne depuis plus de trente années. Son musée à Lausanne est l’un des rares dans le monde à présenter l’histoire de cet outil qui a révolutionné le monde du travail

Jacques Perrier a la passion des machines à écrire dans la peau. Sur son avant-bras, un tatouage: une Hermès 3000. Plus précisément, le numéro de série 30003279 de celle-ci, fabriquée en 1958, l’année de sa naissance. «C’est une machine iconique avec un confort de frappe hors du commun», explique-t-il, fasciné par ce petit bijou technique construit à Yverdon. Sur le site internet du Musée de la Machine à écrire (MMàE) de Lausanne, on peut y découvrir ses caractères. Scannée puis vectorisée, son écriture est devenue la police personnelle du lieu. Unique en Suisse et l’un des rares au niveau international dédié exclusivement à la machine à écrire – et, par extension, aux machines de bureau comme les calculatrices ou les perforatrices –, le musée a verni son nouvel espace en mai au cœur de Lausanne, sur la place des Terreaux. Une visibilité bienvenue, voire une renaissance pour une collection hors du commun qui invite jeunes et moins jeunes à un voyage hors du temps.

De père en fils

Dans la famille Perrier, l’amour de la mécanique remonte à loin. Charles, le père, est réparateur de machines à écrire dès 1937. Son fils, Jacques, passe son temps à l’atelier et démonte sa première machine à 5 ans déjà. Il ne s’arrêtera plus. A la fin de son apprentissage, dans les années 1970, le métier est cependant déjà en mutation. Jacques Perrier se forme alors à l’électronique. Mais tout va décidément très vite. Au milieu des années 1980, la profession n’existe plus, ou presque. A la même époque, la mythique usine Hermès à Yverdon est rachetée par Olivetti, avant de fermer complètement ses portes quelques années plus tard. «Je continue à en réparer et à en vendre, mais mon gagne-pain, ce sont surtout les réparations d’imprimantes et d’objets de bureau. En fait, je fais du développement durable depuis toujours», explique le spécialiste.

Celui qui ne se définit pas du tout comme nostalgique souligne, en revanche, son profond respect pour les inventeurs du XIXe siècle. «Avec presque rien, nos aïeux ont inventé des choses extraordinaires», lâche-t-il en décryptant sur l’une des machines exposées dans son musée la mécanique à l’œuvre. Et d’expliquer la tirette qui monte, bascule, tire, monte à nouveau, … jusqu’au tampon-encreur qui va frapper le papier. «C’est une cinétique exceptionnelle», ajoute celui pour qui les origines se retrouvent déjà dans les croquis de Léonard de Vinci, avant de citer Malling-Hansen, inventeur de la «boule écrivante», ou encore Scholes et Glidden qui ont créé The Typewriter de Remington en 1875…

Une collection au fil du temps

Il y a une trentaine d’années, soit la moitié de sa vie, Jacques Perrier, avec son père, commence sa collection. «Je ne cherchais pas vraiment, mais lors de mes voyages, j’aimais aller aux puces et dénicher quelques trésors, généralement bon marché.» De très vieux modèles, des claviers spéciaux (grec, arabe, cyrillique, japonais, portugais, devanagari…) jusqu’aux machines électroniques plus récentes composent l’exposition. «Certaines n’ont rien d’extraordinaire, mais représentent une trace de l’évolution», souligne Jacques Perrier, très attentif à la transformation des technologies et du monde du travail, au sein duquel la machine à écrire a représenté, selon lui, une révolution. «Les lettres bien structurées, – et donc plus faciles à lire que celles calligraphiées à la main – ont permis de démocratiser la lecture, mais aussi l’écriture. Je crois que Mark Twain a été l’un des premiers à écrire ses romans à la machine. Dès 1875, cet outil a permis le développement social et économique des entreprises. Les femmes sont entrées dans les bureaux. Ce n’était peut-être pas le plus valorisant, mais moins pénible et mieux payé que lavandière ou ouvrière. J’ai d’ailleurs beaucoup d’admiration pour ces secrétaires qui écrivaient parfaitement et avec une concentration à toute épreuve. Il n’y avait pas de correcteur d’orthographe ni de copier-coller», rappelle celui qui a participé, en tant qu’expert, au film Populaire. Une romance qui retrace le parcours, dans les années 1950, d’une secrétaire qui se lance dans des concours de vitesse dactylographique, à l’image de Simone Walt sacrée championne de France en 1956. «En une heure, elle a tapé 31400 signes. En comparaison avec le concours de 1920, où 7100 signes avait été réalisé en 20 minutes, la progression a été fulgurante, explique Jacques Perrier, qui confie n’avoir jamais pris de cours de dactylo et admet en riant se sentir «comme un mécano voiture qui n’aurait pas son permis». Ce qui n’enlève rien à ses connaissances hors du commun d’une mécanique éternelle.


Musée de la Machine à écrire, rue des Terreaux 18b, Lausanne.
Lundi 14h-18h, mardi fermé, mercredi 11h-18h, jeudi 14h-18h, samedi 11h-18h, dimanche 11h-17h

Pour plus d’informations ou pour une visite guidée (sur rendez-vous) aller sur: machineaecrire.ch

Le «Mécanoscriptophile», café du musée

«J’ai dû sortir ma collection de mon sous-sol à l’avenue de France, car mon bail a été résilié. Au moins, ici, la visibilité du lieu et l’association du musée, composée surtout de jeunes, assure la pérennité de la collection. Je peux mourir demain.» C’est avec le sourire que Jacques Perrier résume la nouvelle vie de son Musée de la Machine à écrire (MMàE). Située sur la place des Terreaux, au centre de Lausanne, la collection s’accompagne d’un charmant café doté d’un nom aussi complexe que les mécanismes des objets exposés: le Mécanoscriptophile. En guise de déco, des pièces de machines ont été récupérées pour créer lampes, porte-manteaux et mobiles artistiques, jusque dans les toilettes. Sur une longue table, devant la baie vitrée, des machines sont à disposition pour taper lettres, coups de gueule ou poèmes. Jacques Perrier ne cache pas son admiration pour cette «bande de jeunes» (dont fait partie l’un de ses deux fils) qui gère boissons et petite restauration, et raffole de cette mécanique vintage. «Les moins de 30 ans, cette génération qui a grandi en jouant sur des tablettes, ont envie de toucher. Ils aiment l’acte créatif imposé par la machine, qui demande effort et concentration, le bruit de la mécanique, le papier, le côté rigolo. Ils organisent également des ateliers d’écriture et de lecture…» Ce sont eux aussi qui gèrent les entrées au musée, à prix libre désormais. Le site internet n’a pas encore été modifié, avec à l’origine des tarifs différenciés pour les femmes et pour les hommes, soit 20% de moins pour les premières puisque l’égalité salariale n’est encore que chimère.

Si les portes du nouveau musée sont ouvertes depuis octobre 2021, la pandémie a mis des bâtons dans les roues à l’accueil d’un large public. Le vernissage officiel a donc eu lieu le 7 mai dernier. Aussi convivial que le maître des lieux, il s’est déroulé en fanfare et en spectacles, accueillant sur la journée des centaines de personnes. «Je ne comprends toujours pas pourquoi cet espace n’est pas considéré comme un musée, mais un café neuf places. A chaque événement, je dois demander des autorisations et payer», lâche Jacques Perrier, fourmillant d’idées, en quête de liberté comme de subventions. Et d’ajouter avec humour: «Les méandres de la Police du commerce sont décidément impénétrables.»