Grâce à la bande dessinée Capital & idéologie, Claire Alet et Benjamin Adam rendent accessible à tout un chacun l’imposante enquête historique et mondiale de l’économiste Thomas Piketty sur les inégalités. Un ouvrage didactique, global et nécessaire
Si vous n’avez pas encore eu le courage de vous attaquer aux 1200 pages de Capital & idéologie, l’étude consacrée aux inégalités sociales de l’économiste français Thomas Piketty, rassurez-vous! La journaliste Claire Alet et le dessinateur Benjamin Adam en proposent une version illustrée en bande dessinée. Couvrant une vaste période allant de 1789 à 2020, l’album raconte la destinée d’une famille privilégiée sur huit générations. Au centre de ce récit non chronologique, Jules, le personnage principal, né à la fin du XIXe siècle, incarne le rentier au sommet d’une société hyperinégalitaire où la propriété est sacrée. Mais d’où vient cette fortune familiale? Et comment va-t-elle fluctuer durant le XXe siècle? A travers les parcours des aïeux et des descendants de Jules, le lourd secret à l’origine de ce patrimoine apparaît progressivement. Avec Pierre le propriétaire terrien durant la Révolution française, Marguerite la journaliste humaniste, Elinor la cousine installée dans l’Inde des années 1860, ou encore Christine l’enseignante soixante-huitarde, la «petite histoire» de ce clan s’inscrit dans la «grande histoire».
Car bien au-delà de la saga romanesque teintée d’humour, il s’agit bien d’un ouvrage qui vient décortiquer les inégalités sociales et leur origine. Comment se sont-elles développées, pour finalement devenir la norme? Quels rôles jouent les régimes politiques dans leur constitution et leur justification?
Impôts et esclavage
Parallèlement au récit familial, de nombreuses explications en aparté permettent de contextualiser et d’exposer les analyses économiques et historiques de Thomas Piketty. Faisant preuve d’inventivité et d’un travail de vulgarisation précis, les auteurs proposent des graphiques originaux et des cases de décryptage présentant des exemples concrets qui viennent ajouter une dimension pédagogique au texte.
Au centre des éclaircissements se trouve notamment le système des impôts présentés comme nécessaires non seulement pour réduire les inégalités mais également pour le bon fonctionnement de l’économie. Impôts proportionnels, impôts progressifs, rôle capital des deux guerres mondiales, révolution conservatrice et inefficacité de la politique du ruissellement font partie des points développés.
Abordant aussi la question du commerce d’esclaves, les auteurs analysent: «Déplorer la fin de l’esclavage pour des histoires d’argent est extrêmement choquant. Nos ancêtres n’avaient-ils aucun sens moral? Si. Les arguments moraux ont joué un rôle dans les abolitions, mais ce sont bien les arguments économiques qui ont primé. Non sans un certain cynisme…» Tout en soulignant que le comportement de la société actuelle n’est pas forcément plus respectable: «Qu’est-ce qui dans [notre] mode de vie fera honte à ceux qui [nous] suivront?» Attitude envers les personnes migrantes, exploitation des populations du Sud pour satisfaire la surconsommation des Occidentaux, tourisme de masse, numérisation galopante, etc. Autant de manifestations claires des inégalités actuelles suggérées dans cet ouvrage et qui ne manqueront pas d’être jaugées par les générations à venir…
Claire Alet, Benjamin Adam, Capital & idéologie, d’après le livre de Thomas Piketty, Editions Seuil & La Revue dessinée, 2022.