Le poumon de la planète en danger
Trois questions posées début août (avant les terribles incendies en Amazonie de la semaine dernière) à Manoel Missias Bezzera, coordinateur du secteur de production et membre de la direction exécutive du Mouvement des Sans Terres (MST):
Qu’avez-vous appris de votre séjour en Suisse?
«C’est très différent du Brésil. J’ai appris beaucoup sur les droits des paysans dans votre pays, sur d’autres pratiques d’agriculture, plus conscientes des enjeux écologiques et de santé, sur les petites machines qu’on peut utiliser pour travailler la terre. La Suisse encourage une agriculture biologique. Au Brésil, c’est tout le contraire. Par exemple, rien qu’au mois de juillet, le gouvernement a réautorisé 52 produits agrotoxiques, interdits auparavant. En plus des 262 pesticides déjà utilisés.
Où en est l’agriculture biologique au Brésil?
Il existe deux modèles au Brésil, l’un c’est l’agrobusiness des grands propriétaires, les latifundios, soutenus par le gouvernement de Bolsonaro qui subventionnent ceux qui promeuvent une agriculture basée sur les pesticides et les semences transgéniques, liés aux multinationales telles que Bayer, Cargill, Syngenta, Monsanto (racheté par Bayer, ndlr). L’autre modèle est celui des petites exploitations familiales, notamment du MST, qui privilégie le modèle agroécologique, les semences naturelles, sans pesticides ni techniques qui détruisent la nature.
Qu’a changé l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro en janvier 2019?
Le président traite les paysans du MST de «sangliers» qu’on peut donc chasser, voire de «terroristes». Le gouvernement change les lois pour détruire encore plus, criminaliser et tuer les gens qui font de l’agriculture respectueuse de la nature, notamment les indigènes et les paysans liés au MST. La déforestation est immense, car tout est fait pour l’agrobusiness ou alors pour l’exploitation des minerais. Un des projets en cours: la déforestation de 2,7 millions d’hectares de l’Amazonie (en comparaison, la surface agricole utile en Suisse est de 1 million d’hectares, soit un tiers du pays, ndlr). Or, l’impact est mondial. Il est important que les gens ici en Europe sachent ce qu’il se passe chez nous, car cela a des répercussions pour le monde entier. Les médias brésiliens promeuvent l’agrobusiness comme la meilleure option pour nourrir le monde. Or, 70% de la nourriture au Brésil provient de l’agriculture familiale. L’agrobusiness est une agriculture d’exportations (soja, viande, canne à sucre). Il n’apporte ni emploi ni lutte contre la faim, et empoisonne les ressources naturelles. Nous devons résister. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que les multinationales ont un gros impact. Et bon nombre d’entre elles ont leur siège en Suisse. Si elle était acceptée, l’initiative fédérale sur les multinationales responsables nous permettrait de porter plainte contre les exactions commises chez nous. C’est essentiel, car nous vivons tous dans le même monde. L’Amazonie doit être protégée d’un président fou qui privatise les ressources naturelles en les vendant à de grosses sociétés. Et la protection des activistes au Brésil passe aussi par une visibilité internationale.