Le clown Denis Jolidon, alias Vijoli, a fait de la joie son fonds de commerce. Et enrichi ses prestations par des ateliers sur la fabrication de fours solaires. Rencontre avec un pitre bricoleur
Hauts de Courtételle, dans la campagne jurassienne. Devant la maison de Vijoli, de singulières «boîtes» fermées d’une face vitrée surmontée d’un panneau réfléchissant les rayons du soleil meublent l’espace. Dans l’une d’elles, des bocaux contenant des mélanges de légumes et une compote de fruits; dans une autre, un gratin de pâtes à la sauce tomate. Le repas de midi cuit lentement mais sûrement en cette chaude matinée estivale. «Ce n’est pas un concours de rapidité», rigole le propriétaire des lieux, qui teste plusieurs fours solaires de tailles et de fabrications différentes, tous munis d’un thermomètre. «La température maximale oscille entre 130 et 170 degrés. Il y a cinq ans, j’avais vu un four de ce genre dans un festival renfermant un gâteau. Magique, cette cuisson sans électricité. J’ai alors décidé d’explorer ce créneau», explique Vijoli. Et l’homme de 51 ans de faire le tour des modèles, mentionnant leurs caractéristiques. Plusieurs prototypes ont été créés avec d’anciennes plaques offset récupérées dans une imprimerie. Un corps métallique entouré de parois de bois. «Pour l’isolation, j’utilise de la laine de verre, de mouton, etc.», précise le bricoleur, avant de présenter un séchoir pour plantes aromatiques combiné à un four solaire fonctionnant sur le même mode. A l’intérieur, sarriette, mélisse, menthe... opèrent leur mue. «Il faut dans ce cas bien surveiller la température. Elle ne doit pas dépasser les 55 degrés, sinon les herbes cuisent.» A côté, une parabole fait office de rôtisserie avec pour mission de faire bouillir l’eau dans une casserole. Pour l’instant frémissante...
Prêt à prendre de la hauteur
«Un bon moyen de ralentir», insiste Vijoli, contrôlant encore la bonne orientation d’un de ses dispositifs contenant un œuf à la coque. Comptez alors 35 minutes... Et le bricoleur de souligner l’engouement du public pour ce procédé. «J’organise des ateliers où les intéressés réalisent leur propre four écologique. Il s’agit le plus souvent de personnes soucieuses de l’environnement et adeptes du bio», note le quinquagénaire, qui a aussi intégré ce savoir-faire dans ses prestations burlesques. Clown professionnel, Vijoli a, à la scène, privilégié des animations dans des campings, des festivals, des repas d’entreprise, des anniversaires, etc. Il organise également des camps d’initiation aux arts du cirque. Le joyeux drille ne manque alors pas une occasion d’amener un de ses fours pour mitonner croûtes au fromage, chauffer des raviolis ou agrémenter des petits beurres d’un carré de chocolat fondant. «Certains regardent, étonnés, l’installation et cherchent la prise», rigole le volubile boute-en-train, qui se définit comme un clown bricoleur. Un pitre toujours prêt à prendre de la hauteur. Cet homme de petite taille est en effet d’abord connu pour ses représentations sur des échasses, sa spécialité. «Mon père, menuisier, m’en avait fabriqué quand j’étais gamin. C’était mon jouet», raconte l’artiste, qui a enrichi ses interventions par des numéros de jonglerie, d’équilibrisme sur monocycle, de tours de magie, et propose encore aux enfants des espaces de grimage et de jeux de société. «J’en ai environ 400, en bois, que j’ai fabriqués. Je suis un touche-à-tout et j’ai baigné dans le domaine du bois aux côtés de mon père», indique le Jurassien, avant de montrer un échantillon de ses créations.
Offrir des sourires
Ici, il s’agit de tester son adresse et sa rapidité, là ses connaissances du règne animal, un autre support met à contribution les méninges des joueurs confrontés à un casse-tête... «Ces attractions cartonnent», affirme l’amuseur, qui loue aussi ses jeux lors de manifestations.
Pour rameuter les participants à ses animations, Vijoli opère évidemment avec ses attributs de clown. Barbe bleue, nez mâchuré de rouge, une tétine pendant à son oreille en guise de boucle sans oublier un T-shirt jaune à son nom et des salopettes caractéristiques tombant sur deux godasses distinctes: ainsi travesti, il enfourche son vélo-taxi et ramène à bord de son faux tandem des gosses subjugués. Ou va les chercher hissé sur ses échasses. «J’aime créer la surprise, générer des sourires, offrir des instants de bonheur. Il n’y a pas d’applaudissements mais de la joie dans les regards», s’enthousiasme l’artiste, qui mène sa petite entreprise avec le concours de son épouse et peut aussi compter sur l’aide de ses trois grands enfants ou de collaborateurs extérieurs au besoin. Une affaire qui, l’été, tourne à plein régime. Au volant de son bus tirant une caravane verte, Vijoli sillonne les routes du pays, appelé à amuser la galerie dans différents contextes vacanciers. Si le clown intervient aussi dans des entreprises, il a toutefois renoncé à agrémenter les soupers qu’elles organisent.
Fini d’entarter le chef
«La raison? Je touchais un cachet pour l’animation, mais il y avait aussi souvent en parallèle un travailleur qui me demandait en aparté d’entarter le chef et me payait pour ce job. Une petite vengeance qui me mettait mal à l’aise. Je l’ai fait, mais je ne réitérerai pas», raconte Vijoli, qui a aussi freiné l’activité «peinture sur voiture». Lavable, on rassure tout de suite les parents. Et seulement sur son véhicule. «J’autorisais les gosses à le couvrir de couleur. Ils adoraient ça. Mais là, j’ai une nouvelle automobile. Je vais attendre un peu.» La discussion s’interrompt le temps de contrôler la cuisson des aliments. Un rapide coup d’œil à sa progression, l’animateur revient à grandes enjambées en sifflotant. Une sacrée énergie et un enthousiasme contagieux... Reparlant de son déguisement, l’homme précise la raison de sa simplicité. «Vijoli, c’est un homme, pas un extra-terrestre.» Mais plus qu’un simple mortel. «Le clown a tous les pouvoirs», affirme le Franc-Montagnard qui, derrière son costume, peut continuer à exprimer son âme d’enfant. Et jouer les farceurs. «Je suis resté un grand gamin. Mais je dois prendre garde de ne pas oublier, quand j’ôte ma tenue de clown, de retrouver mon sérieux. Echanger, grimé, les casquettes de personnes par exemple, ça passe, mais sans maquillage.... De quoi devenir parfois schizophrène. Il m’arrive d’avoir du mal à revenir les pieds sur terre», sourit Vijoli qui, lors des périodes plus creuses, loue ses bras pour effectuer différentes activités: travaux de menuiserie, tonte de gazon, pose de carrelage, etc.
A table!
Avant de se lancer en indépendant comme clown, Denis Jolidon exerçait le métier de géomètre et de dessinateur en génie civil. Et jouait, en marge de sa profession, les boute-en-train lors de soirées ou d’occasions spéciales comme les mariages. «A la maison, mon père faisait toujours des gags. Je me suis formé sur le tas et je maîtrisais déjà les échasses», indique celui qui, à la fin du chantier de l'autoroute de la Transjurane sur lequel il œuvrait, passera ensuite par la case chômage et exercera différents petits boulots. En 2010, le Jurassien franchit le pas et se consacre alors à plein temps aux clowneries, «parce que la joie, c’est mon fonds de commerce».
L’heure du repas est arrivée. Vijoli sert les succulents mets préparés dans ses fours solaires. La cuisson lente, réputée pour préserver la qualité des aliments a, grâce à la complicité d’un soleil généreux, tenu ses promesses. De quoi régaler les palais et après avoir goûté pleinement à la saveur d’une rencontre placée sous le signe de la gaieté et de la gentillesse...