Boutique du livre, rue des Chavannes 4, Neuchâtel.
Infos horaires d’ouverture: 032 724 40 10
Coresponsable de la Boutique du livre à Neuchâtel, Karim Karkeni voue une véritable passion à cette activité. Quelques chapitres de son histoire...
C’est un être atypique. Dans sa manière, bienveillante, d’appréhender les autres et le quotidien. Dans sa façon de penser, verticale, ou encore dans son apparence, décontractée, et son souci de lutter contre le gaspillage. Chignon de saltimbanque sur la tête, barbe mal taillée, habits de seconde main et sandales qu’il aimerait pouvoir porter toute l’année, Karim Karkeni, 38 ans, vit comme il pense. Et plutôt chichement. Parce que le confort, souligne ce littéraire jovial et sympathique, «met de la graisse autour du cœur et du cerveau». Mais s’il se limite dans ses besoins, sa curiosité pour le monde des livres, du cinéma et de la musique est insatiable. Et sa large connaissance des domaines comme ses goûts, aiguisés par une passion cultivée depuis des décennies. «Adolescent déjà, je dépensais mon argent de poche en allant voir des films et en achetant des polars. Je lisais alors Stephen King, qui me tenait en haleine, et j’achetais déjà ses œuvres ici, à la Boutique du livre», raconte celui qui, avec un autre comparse, a repris l’enseigne depuis une année. Un antre «magique», à l’architecture et à la configuration singulières, qui abrite des dizaines de milliers de livres d’occasion et, dans une moindre proportion, des ouvrages anciens, mais aussi un piano, des fauteuils, une petite table, dans une volonté de convivialité... Un espace qui doit aussi son rayonnement à la gentillesse et aux compétences du Neuchâtelois, plus intéressé par les échanges et la circulation des publications que le chiffre d’affaires.
Détestation du pouvoir
«Mon but? Que l’on puisse assumer le loyer. Je n’ai pas d’autre ambition», affirme Karim Karkeni, précisant que la clientèle, bigarrée, se compose de tous les âges, de tous les profils, «du numismate amateur au pasteur hébraïsant en passant par le kabbaliste arabophone». De quoi réjouir le trentenaire qui a élargi la vocation du commerce à l’organisation d’événements citoyens et culturels, «s’inscrivant dans l’ADN même de la Boutique». Et alors qu’il soulignera plusieurs fois durant l’entretien l’importance du dialogue et de l’écoute. Mais si l’homme consacre une cinquantaine d’heures par semaine à cette activité entre la tenue de la Boutique, le chinage, la logistique, elle ne le dispense pas pour autant... de travailler. Pour payer ses factures, le passionné compte sur un emploi à 20% dans une librairie indépendante à La Chaux-de-Fonds et, les fins de semaine, sur son job de livreur de nuit de produits de boulangerie. «Je peux alors écouter des heures d’émissions enregistrées. Un régal», note le chauffeur intermittent. Des gagne-pains qui permettent à ce titulaire d’une demi-licence en histoire, français et sociologie de mener l’existence qu’il s’est choisie. «Je n’ai pas été convaincu par le milieu académique, trop analytique, structurel, alors que j’entretiens avec les livres et la culture en général un rapport viscéral. Je n’avais pas non plus envie de devenir professeur et de toucher une rémunération trop élevée liée à une adaptabilité au système», déclare Karim Karkeni, opposé à la hiérarchie salariale et ne cachant pas son aversion pour le confort et le pouvoir, comme il se dit irrité par les personnes qui ont réponse à tout et le manque d’attention, de curiosité à l’autre.
L’art de dire bonjour
«Je crois au social, au collectif, au vivre-ensemble, aux voies parallèles, à une capillarité joyeuse. Le politique s’exprime chaque jour, dans la manière, par exemple, de dire bonjour à son voisin.» Une approche «revitalisante» que cet amoureux de Romain Gary et de Camus, de Brel et de Lhassa, a développée au gré de son parcours. Au terme de ses études, le Neuchâtelois aux racines tunisiennes ressent le besoin de prendre de la distance avec son milieu familial qualifié de conservateur. Il part à Fribourg où il œuvre comme assistant personnel d’une patiente souffrant d’une maladie dégénérative. Parallèlement, sa fascination pour le Portugal – ses amis footballeurs ne cessent de lui en parler avec des «papillons dans les yeux» – l’amène à effectuer plusieurs séjours à Lisbonne. «Une capitale aux lambeaux de tous les continents, très chargée et calme en même temps», commente le voyageur. En 2016, Karim Karkeni visite aussi le Chili et travaille dans une petite librairie à Valparaiso. Mais s’il s’y plaît, l’envie de «se rassembler» le pousse quelques mois plus tard à rentrer au pays, où il maîtrise les codes. De fil en aiguille, le bourlingueur décroche les postes actuels, sans avoir jamais cessé de se nourrir de films, musiques et livres, ces amis de papier qui stimulent sa réflexion, le font rire, pleurer, l’effrayent... ou notamment, de poésie, qui aiguise son attention à la beauté, à l’infime.
La peur de la haine
«Les bouquins m’offrent ce que je n’ai pas dans la vie», affirme Karim Karkeni qui se définit comme une personne très sociable, lucide, curieuse, plus encline à voir le verre à moitié plein que son contraire. Sportif, avec un attrait particulier pour la course à pied qui le ressource, heureux de sa vie, le bouquiniste confie n’avoir peur que de la haine... et des frelons. Critique par rapport à un système qui engendre d’innombrables pertes du vivant, «un désastre», il cherche pour sa part à se rapprocher constamment de ce qui a de la valeur pour lui. Et envisage, dans l’absolu, de renoncer à voyager. Son été, il le passera à Neuchâtel avec des virées probables au bord de la rivière l’Arnon, son refuge. Et où résident des castors, qu’il mentionne, interrogé sur le choix d’un animal. «Un rongeur musclé et chou qui embête tout le monde. C’est un perturbateur», s’amuse Karim Karkeni, un large sourire aux lèvres. Atout indéniable de sa personnalité, rayonnante.
Boutique du livre, rue des Chavannes 4, Neuchâtel.
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