Le Jura, canton modèle de l’inspection du travail
Le Jura se démarque des autres cantons par la rapidité, le volume et la qualité des contrôles de l’application des mesures en matière d’hygiène et de distance
Avec 205 cas confirmés d’infection au coronavirus et seulement sept décès (chiffres au 29 mai), le Jura s’en sort plutôt bien. Ce qui n’était pas évident. Situé aux portes de l’Alsace et donc d’un important foyer de contamination, le Jura était exposé et aurait pu, s’il n’avait su bien se protéger, connaître le sort de Bâle-Ville, de Genève ou du Tessin, pour citer des cantons particulièrement touchés par l’épidémie. Sa politique de contrôle du respect des recommandations de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) en matière d’hygiène et de distance dans les entreprises a sans doute joué un rôle essentiel. Le canton s’est en effet démarqué par la rapidité, le volume et la qualité de ses inspections.
«Le Jura a non seulement réagi très vite, mais s’est montré aussi proactif. Dès le mois de mars, une cellule de crise a été créée pour surveiller la mise en œuvre des prescriptions de l’OFSP, alors qu’ailleurs, il fallait souvent d’abord convaincre de la nécessité des contrôles. Le Canton a mené beaucoup de vérifications et a montré l’exemple des bonnes pratiques», estime Christine Michel. La responsable santé et sécurité au travail d’Unia loue en particulier l’action menée par l’hygiéniste du travail Jean Parrat, fonctionnaire rattaché à l’inspection du travail du Service de l'économie et de l'emploi. «Il a le mérite d’impliquer les personnes concernées, salariés, employeurs et syndicats, et de mener des réflexions sur la nature des activités concrètes que le personnel effectue et leurs conséquences sanitaires pour les travailleurs.»
Des plexi pour les vendeuses
«Nous avons agi très vite, reconnaît Jean Parrat. Dès le 16 mars, nous étions sur le terrain pour vérifier l’application des mesures de protection. Rapidement, nous avons constitué une équipe, qui a compté jusqu’à vingt personnes, en allant chercher d’autres fonctionnaires, que nous avons formés. Le 10 avril, nous avions déjà rendu 70 décisions d’arrêt d’activité. Nous avons visité énormément de chantiers et, à partir de fin mars, les commerces de détail, y compris les grandes chaînes. Nous avons immédiatement demandé d’améliorer la protection des caissières, notamment en augmentant la largeur des plexiglas. Ensuite, nous avons contrôlé les coiffeurs, qui ont fait de gros efforts pour mettre en œuvre leur plan de protection, puis les restaurants.» Alors que la police avait donné un coup de main en faisant la tournée des magasins, l’Etat jurassien a aussi délégué des tâches aux communes lors de la réouverture des restaurants. Les Villes de Delémont et de Porrentruy ont mis à disposition trois personnes chacune pour les contrôles. «Nous avons visité en tout 1100 entreprises, ce qui est énorme pour le Jura», se félicite Jean Parrat. Certaines sociétés ont été inspectées à plusieurs reprises afin de vérifier les mises en conformité demandées. «Il y a toujours de petits ajustements que nous demandons, mais tout le monde est volontaire et joue le jeu.»
La Suva débordée
«Le Canton a pris très rapidement les bonnes mesures et n’a, fort heureusement, pas attendu la Suva», remarque la secrétaire régionale d’Unia Transjurane, Rébecca Lena. Le Conseil fédéral a chargé la Suva de surveiller l’application des normes de l’OFSP dans les entreprises de l’industrie et des arts et métiers. «Mais on ne disposait au départ que d’une seule contrôleuse de la Suva pour les cantons du Jura et de Neuchâtel. Au 30 avril, 32 contrôles seulement avaient été effectués par la Suva dans le Jura. A la même date, le Canton, de son côté, avait visité 216 entreprises.» Sur les chantiers, les ouvriers ont vu les contrôleurs cantonaux défiler. «Au début, des travaux continuaient à être réalisés alors que les règles de protection sanitaire n’étaient pas respectées. On a remarqué que le ferraillage ou le coffrage, par exemple, étaient impossibles à réaliser sans prendre des mesures et on a alors arrêté les activités concernées.» En plus des chantiers, passablement d’usines ont vu des inspecteurs se pointer. «Les salariés étaient contents des contrôles, ils ont ainsi pu travailler de manière sécurisée et protéger leur santé. Quant aux employeurs, ils se sentaient légitimés à demander la réduction d’horaire de travail.»
Rien à voir avec le Jura Bernois, selon la syndicaliste: «C’est fondamentalement différent. J’ai indiqué des situations au service cantonal compétent, qui déléguait à la Suva. Celle-ci arrivait tardivement, parfois même en avertissant des visites, sans discuter avec les travailleurs, cela ne permettait pas de résoudre les problèmes. Alors que nous étions prévenus par nos membres que les prescriptions n’étaient pas respectées, nous ne pouvions pas intervenir ou alors cela mettait des semaines, ce qui est dommageable pour les travailleurs.»
Avec le ministre chaque semaine
Dans le canton du Jura, par contre, les représentants syndicaux avaient rendez-vous chaque semaine pour une vidéoconférence avec le ministre de l’Economie et de la Santé, Jacques Gerber. «On a pu lui faire des retours, j’ai été écoutée et toutes les problématiques que j’ai présentées ont été examinées. Le ministre a fait son travail de manière adéquate et rigoureuse», explique Rébecca Lena, qui est convaincue que l’Etat a pris de bonnes mesures ayant permis de limiter le nombre de victimes. «Que le ministre dirige à la fois l’Economie et la Santé était une chance. Il a la connaissance des capacités hospitalières et du nombre de places disponibles en réanimation.»
Autre point du dispositif, une hotline a été ouverte le 16 mars. «Quantité de questions nous ont été posées sur les mesures de protection et l’interprétation de l’ordonnance fédérale, indique Jean Parrat. De nombreuses entreprises nous ont contactés pour nous demander d’aller vérifier leurs mesures. Nous avons délivré beaucoup de conseils et de soutien. Je pense que c’est aussi le cas ailleurs, la particularité chez nous, c’est que nous avons commencé très vite et que nous avons une approche holistique de la santé au travail avec une composante hygiène du travail. Mais ce qui est intéressant avec ces événements, c’est que, tout à coup, la protection des salariés est devenue encore plus importante. La très grande majorité des entreprises a fait de gros efforts pour assurer des conditions de travail respectueuses de la santé de leur personnel.»
Protection ou production?
D’après l’hygiéniste cantonal, les entreprises de l’industrie des machines et de l’horlogerie n’occuperaient aujourd’hui que 50 à 60% du personnel. «Si les carnets de commandes se remplissent de nouveau, il faudra faire une pesée d’intérêts: assouplit-on oui ou non les mesures afin de favoriser la production? Il y a le problème des deux mètres de distance à respecter. La situation sanitaire nous dictera la marche à suivre.» Aujourd’hui, il ne reste que trois personnes à l’inspection du travail, qui vont continuer à vérifier et à répondre aux plaintes. «Nous allons également mettre sur pied une petite cellule qui suivra les manifestations, l’idée étant que tous les organisateurs d’événements présentent et appliquent un plan de prévention.»