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«Le métier d’horloger a métamorphosé l’enfant turbulent que j’étais»

«Parler d’argent reste tabou. Les gens ont peur de perdre leur travail», souligne Pascal Greffet.
© Olivier Vogelsang

«Parler d’argent reste tabou. Les gens ont peur de perdre leur travail», souligne Pascal Greffet.

Horloger tout juste retraité, Pascal Greffet a longtemps été un délégué syndical très actif au sein d’Unia.

Après avoir consacré sa vie à fabriquer et à réparer des garde-temps, il n’a plus besoin de compter le sien, de temps. Tout jeune retraité, Pascal Greffet a raccroché son tablier d’horloger en juin. Il savoure cette nouvelle liberté et en profite, entre autres, pour faire découvrir la Suisse à son épouse.
Frontalier installé en Franche-Comté, il connaît bien notre pays. Ces quinze dernières années, il a traversé la frontière chaque jour pour aller à la vallée de Joux, berceau de la haute horlogerie, travailler à la manufacture Jaeger-LeCoultre. En tant que délégué syndical durant plus d’une décennie, il est aussi venu régulièrement à Lausanne, pour des réunions du comité régional d’Unia, ou à Berne, pour des assemblées du secteur de l'industrie.

Les hasards de la vie
C’est le hasard qui guide les pas de Pascal Greffet jusque chez Jaeger-LeCoultre. A l'époque, il est indépendant, tenant depuis 23 ans une boutique de bijouterie-horlogerie dans le sud de la France. «En faisant des recherches sur internet pour trouver une cuve à ultrasons, un outil d'horloger, je suis tombé sur des offres d’emploi en Suisse, se remémore-t-il. Un mois plus tard, je commençais chez Jaeger-LeCoultre.» Cette opportunité tombe à point nommé, car la crise économique de 2008 et des problèmes personnels ont mis à mal ses finances.
Le Français ne tarde pas à s'inscrire chez Unia, comme la plupart de ses collègues. «En Suisse, les syndicats défendent vraiment les travailleurs, note-t-il. En France, c’est trop politique. En plus, le fonctionnement y est très vertical, alors qu'ici, c’est la base qui décide.» 
Grâce à ses fonctions de délégué, l'horloger se félicite d'avoir pu jouer un rôle de garde-fou: «Cela m'a permis de faire remonter des infractions de cadres aux ressources humaines, par exemple quand on nous demandait de faire des heures supplémentaires illégales.» Pascal Greffet se méfie cependant des coups de sang: «Un délégué doit prendre le temps de réfléchir avant d’agir. C’est toujours mieux d’aborder les conflits à tête reposée.»
A ce titre, il a également participé à des négociations salariales. Un sujet délicat. «La vallée de Joux est l’une des régions où les horlogers sont les moins bien payés, déplore-t-il. C’est pour ça que nous sommes en grande majorité des frontaliers. Les Suisses vont travailler ailleurs.» Pourtant, parler d’argent reste tabou: «J’ai toujours eu de la peine à convaincre les collègues de me montrer leurs fiches de salaire, pour vérifier que l’employeur respecte la convention collective. Les gens ont peur de perdre leur travail.»

Horloger de A à Z
Lui qui a appris à être un horloger complet, sachant fabriquer une montre de A à Z, regrette l’évolution de la profession, où la division du travail s’est imposée dans les grandes entreprises. «Chacun n’apprend qu’une partie du métier et effectue un nombre réduit de tâches. Du coup, on dépend beaucoup de son employeur, alors que quelqu’un qui sait tout faire trouvera plus facilement du travail ailleurs. C’est comme ça que les patrons nous tiennent.»
Pour sa part, Pascal Greffet a réussi à éviter que son travail ne devienne trop répétitif, en se spécialisant sur la fin de sa carrière dans la restauration de montres anciennes. «On y fait face à des problèmes très variés, et on voit passer des mouvements de montres de toutes sortes et de toutes époques. En plus, on ne manque jamais de travail. Quand je suis parti, il y avait encore des commandes pour un an.»
S’il n'appartient pas à ces gens effrayés par la retraite, Pascal Greffet avoue toutefois une petite nostalgie pour ce métier exercé avec passion. Une voie qu’il a choisie contre l’avis de ses parents viticulteurs, quittant sa Bourgogne natale pour faire l’école d’horlogerie de Morteau, en Franche-Comté. «Déjà tout jeune, j’aimais démonter et remonter les jouets de mon grand frère, confie-t-il. Une fois, j’ai même réparé le vieux réveil de mon grand-père. Mais j’étais un enfant très turbulent et médiocre dans les études. Personne ne m’imaginait capable de rester tranquillement assis à un établi. Pourtant, dès que j’ai commencé à apprendre l’horlogerie, je retenais tout sans efforts. Ce métier m’a métamorphosé.»

Une vidéo d'Olivier Vogelsang