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«L’écriture m’a tout donné»

Dunia Miralles se définit comme une pessimiste joyeuse...
© Olivier Vogelsang

Dunia Miralles se définit comme une pessimiste joyeuse...

Dans son dernier livre, Dunia Miralles retrace le parcours de sa famille et plus largement d’immigrés espagnols qui, fuyant le franquisme, se sont installés à Neuchâtel. Un récit qui, comme la plupart de ses publications, se nourrit de son vécu.

C’est une histoire composée de courts tableaux. De séquences inspirées de souvenirs de l’auteure, de ses proches et d’une documentation fouillée. Une approche factuelle, intime et instructive, rythmée, ressuscitant une page d’Histoire à travers celle de l’écrivaine et des siens au cours des années 1960-1975. Dans son dernier livre, Caravelles du Seyon*, Dunia Miralles retrace le parcours de sa famille et d’autres immigrés espagnols qui, ayant fui le régime de Franco, ont refait leur vie à Neuchâtel. L’écrivaine revient sur la sombre période de la dictature, la position de la Suisse durant la guerre froide, l’anticommunisme ambiant et la méfiance envers les gauchistes ou encore les questions d’intégration. Elle aborde l’attachement de la communauté hispanique à ses racines et le rayonnement du Centre espagnol de Neuchâtel, Las Tres Carabelas (Les Trois Caravelles). Autant d’éléments constitutifs de l’identité de l’écrivaine de 61 ans dont la jeunesse aura largement été marquée par ces événements ou leur narration. 

Milieu porteur

«Mes parents ont fui l’oppression et la précarité. Ils évoquaient souvent la guerre quand j’étais petite. Mon père a vécu à Madrid dans une mansarde. Il a été élevé par sa grand-mère dans la promiscuité, aux côtés d’autres adultes de sa famille, ayant perdu sa mère à l’âge de 5 ans, et son propre père se trouvant en prison pour des raisons politiques», raconte la sexagénaire qui, elle, est née en Suisse, deux ans après l’arrivée de ses parents et de proches. L’enfant d’alors s’épanouit au sein d’une famille élargie soudée, clairement à gauche, et très attachée à la culture. De quoi l’influencer dans sa volonté de devenir comédienne ou écrivaine. Puis, la plume remportant au final sa préférence, dans le choix des sujets de ses livres: Dunia Miralles privilégie les thèmes sociaux, même si le fantastique sert aussi ses desseins littéraires. Cette passion s’est concrétisée aujourd’hui par la rédaction d’une dizaine de livres dont des pièces de théâtre et des nouvelles. 

Elan brisé

«Je me rappelle encore, gamine, l’histoire que j’avais écrite sur une petite fille et un poulailler, qui avait épaté la maîtresse. Puis, la facilité que j’avais, plus tard, pour rédiger des rédactions. J’adorais cet exercice.» Mais bien que bonne élève, Dunia Miralles ne sera pas encouragée à poursuivre son cursus scolaire. Son instituteur la juge immature. Et la brise dans son élan, rognant les ailes de cette adolescente différente qui fera aussi l’apprentissage du racisme en milieu scolaire. «Tout s’est joué en deux minutes et demie. J’ai commencé à sombrer, à fumer, boire, sortir...» soupire Dunia Miralles, ajoutant qu’elle était aussi mal vue en raison de sa difficulté de socialisation. «On me trouvait taciturne. J’avais de la peine à aller vers autrui.» Cette situation pèsera toute la vie sur la sexagénaire qui n’a été que récemment diagnostiquée borderline. Ces troubles de la personnalité ne l’auront pas éloignée pour autant de son amour de l’écriture. Bien au contraire. Et ce quand bien même elle effectuera un apprentissage de vendeuse, travaillera en usine, suivra les cours de théâtre Florent à Paris – «Mais je n’étais pas psychologiquement armée pour la scène» – et collaborera avec différents médias.

Les mots comme bouée

«Ecrire est ma raison de vivre et m’aide à contrôler mes émotions, à m’ancrer dans le quotidien», indique Dunia Miralles, qui puise largement dans son parcours et ses rencontres la matière à ses récits. «Mes livres parlent souvent de solitude, de dépression, d’autodestruction, d’alcool et de drogues. Je croyais que ce mode d’expression contribuerait à me faire mieux comprendre des autres. A tort. Chacun aborde mes textes à travers ses ressentis, son propre prisme éducatif, culturel.» Pas de quoi décourager l’auteure du roman culte Swiss Trash (2000) ou encore du Baiser d’Anubia (2023), convaincue de devoir exploiter cette facilité dont elle bénéficie de coucher les mots sur le papier. Un talent reconnu qui lui permettra, souligne-t-elle encore, de ne pas se laisser couler. «L’écriture m’a tout donné», affirme cette pessimiste joyeuse, comme elle se définit elle-même. Cette femme expansive, animée d’un besoin intrinsèque de soleil, de lumière – l’hiver la déprime et le noir l’angoisse – et aimant faire le clown. Une personnalité haute en couleur, aux antipodes des donneurs de leçons, de ceux qui lui demandent de se calmer ou qui tentent de la manipuler – catégories qu’elle déteste. Mais si Dunia Miralles se montre critique sur la nature humaine et la propension des êtres à agir le plus souvent de manière odieuse, tout en étant fascinée par leur inventivité à détruire, elle ne s’engage pas pour autant dans la défense de causes. 

Des humains à l’image des rats

«Je suis dépitée, mais me distancie de toute forme de militance. Il me faudrait autrement y consacrer tout mon temps», note la Neuchâteloise, qui ne croit pas à la possibilité de construire une «société pacifiée». Un propos qu’elle illustre en prenant l’exemple de rats, elle qui a élevé sous son toit jusqu’à quarante de ces animaux «choupinous, malins et joueurs». «En les observant, j'ai pu constater que chaque rongeur a un caractère unique. J'en déduis qu'il en est de même pour l'être humain, puisque nous sommes des mammifères plus perfectionnés. Mais, à cela, s'ajoutent notre orgueil, notre vanité, notre cupidité, notre besoin de pouvoir... choses que l'on ne trouve pas chez le rat.»

Bien que secouée par l’existence, l’humeur soumise aux montagnes russes, Dunia Miralles s’estime chanceuse. Elle note bénéficier d’une bonne santé, être solidement entourée, et trouve du bonheur dans des petites choses du quotidien: la vue d’une fourmi transportant une brindille, l’herbe sauvage qui défie le béton dans les villes, un rai de soleil... Sa joie s’exprime aussi quand elle parvient au bout de la rédaction d’un livre. Elle apprécie particulièrement, le premier jet terminé, de procéder aux retouches. «Au début du processus, il y a une souffrance, il faut trouver l’impulsion, le bon ton, mais me surpasser me rend heureuse.» Autant dire l’histoire d’une vie...


Caravelles du Seyon, Editions Livreo Alphil, 168 pages, disponible en librairie.